A B C D E F G H I
J K L M N O P Q R
S T U V W X Y Z #
Liste complète



10 - Chef-d'oeuvre
09 - Remarquable
08 - Excellent
07 - Très bien
06 - Bon
05 - Moyen
04 - Faible
03 - Minable
02 - Intolérable
01 - Délicieusement mauvais



Cotes
Décennies
Réalisateurs
Le Cinéma québécois
La Collection Criterion



2005
2006
2007
2008
2009

THE FLY (1986)
David Cronenberg

Par Alexandre Fontaine Rousseau

Peu de réalisateurs ont su concilier avec le même aplomb que David Cronenberg les excès du cinéma de genre aux réflexions récurrentes d'un cinéma d'auteur plus classique. Durant la phase charnière - charnelle diront certains - de son oeuvre s'étirant en définitive de Videodrome à Naked Lunch, le réalisateur canadien montera à l'aide d'oeuvres aussi fortes qu'excentriques une perturbante réflexion sur les limites de l'expérience humaine et sur la nature même de son évolution. Chez lui, le génie côtoie en tout temps la folie. L'hallucination envahi la réalité jusqu'à ce que les deux matières soient fusionnées. Dans Dead Ringers, cet état second ronge la raison et détruit la carrière d'un éminent savant. Dans Videodrome, cauchemar médiatique digne des plus obscures élucubrations de Marshall McLuhan, on brouille l'esprit pour mieux le manipuler. Au contraire, le protagoniste de Naked Lunch puise de son délire et de sa confusion la créativité à l'état pur. Même le héros de The Dead Zone, capable de contrôler son don, devra se sacrifier pour assumer les responsabilités imposées par son état.

En quelque sorte, The Fly est à première vue l'anomalie commerciale de ce pan prolifique de la carrière de Cronenberg. C'est un film de commande - un remake de surcroît - duquel le réalisateur arrivera par ailleurs à prendre le contrôle créatif total. Ce qui aurait pu n'être qu'un simple hybride entre l'horreur et la science-fiction deviendra grâce à cet habile tortionnaire de la psyché humaine une expérience éprouvante. Il n'existe qu'une seule direction dans le monde de Cronenberg, et c'est vers le bas. Tout chez lui est prétexte à une descente aux enfers, à l'anéantissement des barrières traditionnelles de la pensée emmurée. Les racines de son cinéma s'alimentent à même l'horreur, à même sa mécanique perverse et son goût du sacrilège. C'est poussé hors de notre zone de confort que nous commençons à penser.

L'expérience déstabilisante est une occasion d'évoluer. Cronenberg comprend le pouvoir de l'inconfort et, contrairement à la horde de tâcherons versant dans l'horreur sans motif réel, respecte cette fragilité temporaire. La folie n'est pas pour lui un simple phénomène scientifique. C'est justement lorsqu'il approche de manière académique cette condition qu'il échoue. En ce sens, la caricature freudienne Spider était malgré sa richesse esthétique certaine condamnée à rater sa cible. Cronenberg est un philosophe approximatif puisant sa vérité non pas dans la méthode et la raison mais plutôt à même son imagination. Pourchassé par les démons de l'évolution, que ce soit la nouvelle conscience médiatique de Videodrome ou les mutations physiques imaginées par Beverly dans Dead Ringers, Cronenberg fabule les voies possibles de l'humanité à partir de ses cauchemars.

En ce sens, la créature de The Fly est si typique de l'auteur qu'elle en devient presque pittoresque. Ce croisement génétique monstrueux, cet accident de la science voué à une déchéance prématurée, emprunte la même spirale descendante que ses pairs. Mais l'illusion qu'entretient d'abord Seth Brundle (Jeff Goldblum), est d'avoir été purifié par l'expérience d'être détruit puis remonté par son prototype de téléporteur. Redéfinir la chaire. Cette obsession récurrente chez Cronenberg revient encore une fois le hanter. L'humain craint les changements physiques drastiques. Qu'à cela ne tienne! N'épargnant aucun détail juteux, Cronenberg, le savant fou, s'adonne aux expériences les plus grotesques sur le corps humain. The Fly fait preuve d'une certaine retenue à ce niveau, mais demeure visuellement osé selon les standards du grand public.

Pourtant, les effets spéciaux sont ici au service du propos. Figure tragique parmi les plus pitoyables du répertoire de Cronenberg, l'homme-mouche Brundle se détériore à vue d'oeil. C'est une victime de sa curiosité, mais surtout de son empressement impétueux. Certains liront entre les lignes une critique de l'éthique scientifique contemporaine, une obsession fondamentale de l'horreur depuis Frankenstein. Mais ces considérations sont secondaires dans cet univers où l'humain redécouvre constamment les capacités de son corps, tant au niveau purement sexuel - aspect que tempère légèrement Cronenberg pour l'occasion - qu'à un degré plus philosophique.

Bien sûr, The Fly aborde d'une perspective moins dérangée ces thématiques ; à tout le moins, Cronenberg nous y épargne certains détails. Par contre, il arrive à orchestrer un savant spectacle à partir d'un scénario particulièrement riche. On reconnaît instantanément la signature du maître, jusque dans cette conclusion très appropriée où la fusion ultime entre le technologique et l'organique aura raison de notre aventurier génétique. Du début à la fin, The Fly arrive à condenser en une matière plus facile à digérer pour le grand public toutes les lubies de Cronenberg. Si Frankenstein est une fondation somme toute inévitable du genre, The Fly en est une ramification si raffinée que l'on ne peut en bout de ligne qu'en saluer l'ingéniosité. L'archétype tordu de toutes les façons possibles retrouve tout son sens dans un contexte moderne. Désormais, les règles ne sont plus les mêmes. Cronenberg en est conscient. C'est parce qu'il refuse les limites normalement imposées que son cinéma outrepasse le stade de l'horreur pour devenir autre chose. Insidieux à souhait, The Fly n'est pas son film le plus fascinant. Mais il demeure, encore aujourd'hui, une formidable porte d'entrée à un univers somptueusement troublé.




Version française : La Mouche
Scénario : David Cronenberg, George Langelaan, Charles Edward Pogue
Distribution : Jeff Goldblum, Geena Davis, John Getz, Joy Boushel
Durée : 95 minutes
Origine : États-Unis

Publiée le : 16 Avril 2006