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ENCHANTED (2007)
Kevin Lima

Par Louis Filiatrault

2007 fut une autre année de belle vitalité pour le cinéma indépendant américain (Anderson et les Coen eux-mêmes n'y ont-ils pas oeuvré en relative liberté?), mais du côté du cinéma commercial, plusieurs symptômes se sont clarifiés: les adaptations de bandes dessinées s'y sont faites rares (et généralement médiocres), mais les studios se sont rabattus sur une quantité phénoménale de « valeurs sûres », et particulièrement sur des « troisièmes parties » de qualité variable (Shrek 3, Spider-Man 3, Bourne 3, Pirates des Caraïbes 3, Ocean's Eleven 3, Harry Potter... 5 ; j'en oublie sans doute). Les dernières années ont vu les retours bien accueillis de Batman, Superman, John McClane, John Rambo, et celui d'Indiana Jones se profile à un horizon peu lointain. Tout cela pendant que se solidifient les retrouvailles avec une certaine conception classique du film musical, de l'adaptation de la littérature fantastique, et que l'un des plus jouissifs morceaux récents de blockbuster ne s'est avéré rien d'autre que la transposition... d'une marque de jouets vieille de plus de vingt ans. Que déduire de cet amas d'observations pêle-mêle? Peut-être quelque chose comme la confirmation d'une crise particulièrement aiguë de l'imaginaire cinématographique populaire, accompagnée d'une inévitable confusion des motifs justifiant la consommation. Interpréter la réponse des plus grandes corporations face à la disette : voilà ce qui pourrait pousser le cinéphile curieux au visionnement d'Enchanted, croisement de conte féérique et de comédie sentimentale classique extrêmement représentatif de ce climat.

Cette production de Walt Disney, mêlant aussi animation et prises de vue réelles, n'apparaît donc pas seulement comme une nouvelle entrée parmi les Shrek et autres torsions post-modernes et plus ou moins ironiques appliquées à l'imaginaire des princes et princesses, mais bien comme une manifestation particulièrement étrange de la crise en question. Un peu comme le film The Purple Rose of Cairo de Woody Allen (dans lequel, comme ici, l'imaginaire cinématographique pénétrait le « réel »), mais avec une nostalgie moins sincère et davantage motivée par le profit et le conservatisme, Enchanted est un film élaboré en pleine conscience de sa désuétude et de son statut d'anomalie dans le paysage actuel ; plus personne, pas même les fillettes, n'attribuant vraiment de valeur aux histoires de princes charmants et de vilaines sorcières, il convient d'ouvrir sur une explosion parfaitement surannée de couleurs et de chansons, avant d'orchestrer rigoureusement une certaine rencontre avec la réalité engendrant une remise en question chez les protagonistes, et possiblement chez le spectateur (ce qui reste encore à confirmer). Enchanted rejoint ainsi davantage le comparable (mais moins malhonnête) Last Action Hero de John McTiernan que n'importe quel film produit depuis, et relève d'une logique franchement savante.

Le scénario voit donc la ravissante Giselle, nouvellement éperdue du prince Edward, atterrir, par l'entremise d'un vil stratagème de la terrifiante reine Narissa, en plein Times Square (ce qui permettra l'intrusion répétée du logo de McDonald's à l'image). Complètement désemparée au sein de cet univers parcouru de bêtes automobiles et d'individus rustres, elle fait rapidement la rencontre de l'avocat Robert, père monoparental (mais financièrement confortable, tout de même) sur le bord de se remarier. Tous deux commenceront donc par s'entraider dans l'accomplissement de leurs amours respectifs, avant de se découvrir des sentiments communs et de changer de cap. Il s'organise ainsi un face-à-face, non pas entre l'ignorance et le savoir, ni même entre la naïveté et le cynisme, mais bien entre un mythe et un autre qui, le premier s'étant éventuellement déclaré dépassé, s'est simplement avéré plus commode, parce que plus terre à terre. Ce qu'Enchanted (et la quasi-totalité des comédies sentimentales depuis le « définitif » Four Weddings and a Funeral) présente, en y croyant plus ou moins, comme réaliste, ne s'avère en fait bien sûr qu'aussi partiel, féérique et arbitraire que le conte conventionnel. À l'exception qu'ici, c'est aussi l'admission d'un peu de fantaisie assumée dans la vie, par l'entremise de folies, d'intermèdes musicaux et de décisions hâtives, qui complète ce portrait légèrement plus complexe des rapports humains, proposant un apprentissage mutuel.

Le problème, c'est que plutôt que d'apparaître comme la revendication sincère d'une «lucidité fantasque», Enchanted se présente avant tout comme un exercice d'autopromotion fondamentalement méprisable. Recyclant les tics, les dispositifs, le rythme et la structure de leurs productions passées, les artisans de Walt Disney ne sont manifestement gouvernés par aucune autre ambition que d'oblitérer toute autre présence de l'imaginaire mondial et de renvoyer le public à ce catalogue fourni, comme s'il s'agissait de la seule bouée culturelle viable en temps de déroute. Oeuvre mue par une certaine énergie du désespoir capitaliste, à savoir le besoin de reconquérir le consommateur sans pour autant renforcer la valeur nutritionnelle du produit, il pratique une esthétique de la domination par l'optimisme et de l'enfermement dans le passé ; c'est de cette façon qu'il transforme un manifeste honnête pour l'épanouissement libre en plaidoyer pour la sottise obstinée, une attitude explicitement affirmée dans les paroles de la chanson de clôture (« Happy endings, fairy tales coming true / Deep down inside we wanna believe they still do »). Une intention légitime neutralisée d'avance par une logique hypocrite.

L'évidence confirmée par Enchanted, c'est bien sûr que les studios Disney n'ont jamais eu avantage à donner dans l'expression d'une quelconque vérité. Vendeurs de rêves à rabais, il leur fait encore le plus grand plaisir d'entretenir l'enfant intérieur de tout bon citoyen contemporain, quand bien même cela passerait par des récits abracadabrants, moralement uniformes et désespérément simplistes. Récit qui a ici l'avantage d'être plaisant: bien réalisé et dialogué, épicé d'effets spéciaux approximatifs et par le fait même sympathiques, le film de Kevin Lima bénéficie surtout d'une distribution «parfaite», à défaut d'un mot plus significatif. Mais les minois de la jolie Amy Adams, du gaillard James Marsden, du télévisuel Patrick Dempsey, du talentueux Timothy Spall (alias « celui-qui-ne-trouvera-jamais-de-premier-rôle-auprès-des-Américains ») et de Susan Sarandon (qui, pour une fois, ne verse pas une larme) ne suffiront jamais à justifier un tel étalage de bêtise fondamentale, qui constitue néanmoins un objet éloquent et fascinant.




Version française : Il était une fois
Scénario : Bill Kelly
Distribution : Amy Adams, Patrick Dempsey, James Marsden, Timothy Spall
Durée : 107 minutes
Origine : États-Unis

Publiée le : 20 Mai 2008