A B C D E F G H I
J K L M N O P Q R
S T U V W X Y Z #
Liste complète



10 - Chef-d'oeuvre
09 - Remarquable
08 - Excellent
07 - Très bien
06 - Bon
05 - Moyen
04 - Faible
03 - Minable
02 - Intolérable
01 - Délicieusement mauvais



Cotes
Décennies
Réalisateurs
Le Cinéma québécois
La Collection Criterion



2005
2006
2007
2008
2009

DISTRICT 9 (2009)
Neill Blomkamp

Par Jean-François Vandeuren

La petite histoire de District 9 commença étrangement avec le projet d’adaptation cinématographique de la très lucrative franchise de jeux vidéo Halo. Agissant à titre de producteur exécutif, Peter Jackson engagea le cinéaste sud-africain Neill Blomkamp - qui avait déjà été acclamé pour la série de publicités qu’il avait réalisée à l’occasion de la sortie du troisième chapitre de la trilogie - pour assurer la mise en scène de l’effort. Malheureusement, des opinions divergentes entre les studios et Microsoft finirent par miner la production. Croyant que Blomkamp méritait tout de même d’avoir la chance de réaliser un premier long-métrage, Jackson et ses acolytes acceptèrent de financer une expansion de son court-métrage de 2005 intitulé Alive in Joburg. Le réalisateur nous amène ainsi à Johannesburg où un immense engin spatial flotte en permanence au-dessus de la cité depuis 1982. Alors qu’aucune trace de vie ne sembla provenir de l’appareil, une équipe fut envoyée à son bord pour effectuer un premier contact avec la civilisation extra-terrestre. Ce qu’elle découvrit est un équipage au bord de l’agonie. Ne sachant trop quoi faire de ces visiteurs, la communauté internationale décida de remettre le sort de ceux-ci entre les mains d’une multinationale ayant beaucoup plus à coeur de découvrir les secrets de leur armement que leur bien-être à proprement parler. Le seul problème, c’est que l’arsenal fonctionne de manière biologique et ne répond qu’au code génétique des étrangers. Mais lors d’une opération de relocalisation, un employé de la firme, Wikus Van De Merwe (Sharlto Copley), entrera en contact avec un fluide qui modifiera son ADN et lui fera prendre peu à peu l’apparence de l’un des voyageurs de l’espace. Ce dernier deviendra du coup le bien le plus précieux de la compagnie qui cherchera par tous les moyens à tirer profit de cette mutation. Évidemment, le plan de la corporation échouera et Wikus réussira à prendre la fuite…

Pour l’une des rares fois où le cinéma traite de l’arrivée hypothétique de « petits hommes verts » sur la planète bleue, ce ne sont pas les visiteurs qui sont en position de pouvoir dans District 9, et ce, même si ceux-ci possèdent une longueur d’avance considérable sur l’être humain sur le plan technologique. L’idée de départ du film de Neill Blomkamp est en soi tout ce qu’il y a de plus originale - pour ne pas dire carrément géniale. Sa mise en scène se traduira d’ailleurs par un premier acte absolument fascinant au cours duquel le réalisateur et sa coscénariste Terri Tatchell mettront en place avec une force de frappe et une intelligence sidérantes les bases d’une métaphore particulièrement grinçante de la politique d’apartheid. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le présent effort se déroule en Afrique du Sud, alors que son titre se veut une référence directe au sixième district de Cape Town où des dizaines de milliers d’habitants furent forcés d’abandonner leur demeure pour des raisons essentiellement raciales au cours des années 70. Cela ne prendra en soi qu’une simple visite au coeur du ghetto en question pour prendre conscience du climat de haine, d’extrême pauvreté et de violence qui y règne en permanence. La transformation de Wikus forcera alors ce dernier à travailler avec l’un de ces étrangers qui se dira apte à le ramener à son état originel pour autant qu’il puisse retourner sur sa planète. Une relation qui amènera le protagoniste à voir l’envers de la médaille et à comprendre les positions d’une population envers laquelle il s’était toujours montré arrogant. Il s’agit là d’une morale évidemment assez classique - mais bien construite - sur l’acceptation et la coopération entre individus que tout séparait au départ. Wikus fera ainsi preuve de plus en plus d’ouverture alors que ses motivations foncièrement égoïstes laisseront progressivement la place à un réel désir d’aider son « compatriote ».

Mais là où le cinéaste sud-africain tire véritablement son épingle du jeu, c’est au niveau de l’esthétisme alors que ce dernier réservera à ce récit déjà assez particulier un traitement visuel tout aussi insolite. Blomkamp s’appropriera d’une part la fameuse approche du faux documentaire popularisée au cours des dernières années et la poussera jusqu’à ses limites afin de conférer toute la crédibilité et tout le réalisme nécessaires à l’exposition de cette histoire qui, d’une certaine façon, n’a absolument rien de fictive. La progression dramatique de District 9 est d’ailleurs le fruit d’une recherche on ne peut plus exhaustive, explorant la situation pour le moins difficile des réfugiés d’une manière à la fois crue et sensible tout en la transposant de façon tout à fait convaincante dans le contexte d’un récit de science-fiction. Le premier tiers du film se veut d’ailleurs un formidable collage de prises de vue imitant celles propres au reportage télévisuel, au film d’archive, à l’entrevue et même à la caméra de surveillance, illustrant ainsi d’une façon tout ce qu’il y a de plus morbide et effrayante ce moment où les relations entre les deux espèces n’auront jamais été aussi tendues. L’expérience apportera toutefois son lot de confusion au départ alors que Blomkamp tentera de combler certains troues narratifs par l’entremise de divers plans tournés à la manière d’une simple fiction. Le tout sera évidemment beaucoup moins problématique par la suite alors que le film utilisera presque exclusivement cette forme de mise en scène - pour des raisons évidentes - à partir du moment où Wikus ira se réfugier dans le neuvième district. Mais c’est aussi à ce moment que l’effort perdra un peu de sa verve sur le plan scénaristique alors que District 9 prendra soudainement les traits d’un thriller d’action qui, même si d’une redoutable efficacité, se révélera parfois un peu trop convenu.

Mais malgré ses fautes, le film de Neill Blomkamp brille de par son audace et la pertinence de son propos dans un genre qui aura vu sa substance être souvent éclipsée par des préoccupations d’ordre essentiellement spectaculaire au cours des dernières années. Ainsi, malgré un changement de cap tout de même assez important d’un point de vue narratif, le réalisateur et sa complice auront toujours fait de leur discours leur première priorité, illustrant cette mise en situation déjà peu rassurante de la manière la plus sale qui soit tout en s’acharnant à montrer l’être humain sous son jour le plus obscur. Le duo édifie alors un savant plaidoyer sur la condition de ces réfugiés qui, malgré leur immense force physique, seront continuellement écrasés sous le poids de l’oppression, de l’ethnocentrisme et du mépris le plus total dont leurs hôtes feront preuve à leur égard. District 9 ouvrira à cet effet diverses pistes de réflexion à savoir si un tel comportement serait simplement envisageable si leurs instigateurs prenaient en considération l’éventualité d’un revirement de situation. Dans la peau d’un personnage pris entre deux mondes, Sharlto Copley livre une performance absolument foudroyante, lui qui réussira à nous rendre sympathique à la cause de cet individu pourtant tout ce qu’il y a de plus méprisable. Mais le coeur de l’oeuvre se retrouvera en soi dans la relation entretenue par son complice venu de l’espace et son fils, que Blomkamp parviendra à rendre étonnamment prenante, et ce, malgré les nombreuses contraintes dramatiques avec lesquelles il devait composer. Le cinéaste propose ainsi une mise en scène multipliant les prouesses techniques et scénaristiques à laquelle nous pourrions seulement reprocher de ne pas toujours arriver à soutenir l’effort d’écriture avec lequel il avait réussi à nous renverser au cours des quarante premières minutes.




Version française : District 9
Scénario : Neill Blomkamp, Terri Tatchell
Distribution : Sharlto Copley, Jason Cope, Nathalie Boltt, Sylvaine Strike
Durée : 112 minutes
Origine : Nouvelle-Zélande, Afrique du Sud

Publiée le : 17 Août 2009