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THE DISTRICT! (2004)
Áron Gauder

Par Jean-François Vandeuren

Si les grands studios occidentaux délaissèrent progressivement les formes d’animation plus traditionnelles pour se tourner massivement vers les nouvelles technologies numériques, nous assistons depuis peu à un bien étrange revers de situation. Guidé par un profond désir d’innover et de repousser les limites de leur art, plusieurs cinéastes issus de divers milieux indépendants trouvèrent le moyen d’utiliser tous ces nouveaux outils non pas pour poursuivre ce rêve ridicule de reproduire un jour la réalité, mais plutôt pour donner un second souffle à de vieilles techniques n’ayant en soi rien perdu de leur lustre ou de leur pertinence. Un retour aux sources qui mena à la création de nombreuses démarches artistiques tout ce qu’il y a de plus flamboyantes, dont celles des deux superbes essais à la rotoscopie de l’Américain Richard Linklater (Waking Life, A Scanner Darkly) et de ce The District! du cinéaste hongrois Áron Gauder, qui concocta pour sa part un mélange assez unique de dessin, de photographie et d’effets numériques. Tous les personnages du présent effort furent ainsi dessinés à la main et articulés comme de simples marionnettes alors que 350 prises du visage des différents acteurs furent nécessaires à la création de leurs expressions faciales. Un procédé pour le moins intrigant servant ici un récit cru et bordélique que nous n’avons pas vraiment l’habitude de voir associé à ce type de format, en particulier de ce côté-ci de l’Atlantique. Mais l’exubérance technique et narrative de cet exercice de style s’avère-t-elle justifié - et justifiable? Ou n’avons-nous pas plutôt affaire une fois de plus qu’à une simple curiosité visuelle?

The District! se déroule à l’intérieur d’un quartier peu nanti de Budapest où les nombreuses tensions ethniques et territoriales ont depuis longtemps divisé les diverses communautés culturelles y ayant élu domicile. Si le foudroyant générique d’ouverture du film d’Áron Gauder semble vouloir donner le ton à une version animée du Snatch. de Guy Ritchie servie sur un fond de romance nous ramenant directement au Roméo et Juliette de William Shakespeare, cette prémisse somme toute attrayante s’enfonce rapidement dans un chaos narratif aussi absurde qu’agressant. The District! se concentre alors sur le cas des jeunes du secteur qui s’uniront pour élaborer un plan abracadabrant devant leur permettre de s’en mettre plein les poches et de rapprocher les différents clans. Comme le pétrole mène le monde, leur stratégie consistera tout simplement à créer une immense réserve d’or noir sous la cour de leur école. Pour ce faire, ils n’auront qu’à remonter le temps jusqu’à l’ère préhistorique pour y exécuter quelques troupeaux de mammouths pour ensuite revenir au temps présent et extraire le produit de leur fossilisation. L’opération sera un franc succès, mais entraînera également une crise politique et économique sans précédent qui obligera l’administration Bush à employer la manière forte afin de rétablir l’ordre et la paix partout sur la planète. Mais si ce récit tout ce qu’il y a de plus imprévisible va évidemment de pair avec la désinvolture d’une facture visuelle aussi marginale, le film d’Áron Gauder finit malheureusement par s’embourber dans une suite de séquences peu cohérentes pour laquelle nous perdons vite tout intérêt.

En ce sens, si les trouvailles visuelles et scénaristiques proposées par Gauder et son équipe s’avèrent souvent fort originales, le projet dans son intégralité semble pour sa part incomplet. The District! s’aventure ainsi de façon téméraire et nonchalante dans un nombre effarant de directions différentes sans jamais réussir à unir celles-ci en un tout moindrement fonctionnel ou à établir une certaine constance au coeur d’une évolution dramatique bigarrée et somme toute peu excitante. Un tel éparpillement aurait pourtant pu s’avérer bénéfique vue la forme déjà peu orthodoxe du présent effort. Mais les nombreuses ruptures de ton et l’insertion maladroite de numéros musicaux aussi vulgaires qu’inutiles ne font malheureusement que ralentir la cadence du film plutôt que de lui insuffler le dynamisme dont elle avait pourtant cruellement besoin. Le problème est que Gauder et les quatre scénaristes à la tête du projet exécutent la plupart de leurs stratagèmes d’une manière si puérile que ceux-ci perdent inévitablement de leur mordant et le côté plus provocateur qui aurait dû normalement ressortir d’une telle prémisse se voit alors pratiquement réduit à néant. Le même phénomène est également observable sur le plan technique alors que certaines déficiences au niveau du montage et de l’animation se révèlent parfois si sérieuses qu’elles ne peuvent tout simplement pas être gardées sous silence. Ainsi, si l’ensemble impressionne au départ de par son style coloré et justement imparfait, The District! finit par agresser les sens plutôt que de les stimuler, perdant du coup la place de choix qu’une production aussi inusitée aurait dû être en mesure d'occuper dans le paysage du nouveau cinéma d’animation.

Gauder pourra toujours se défendre en insistant sur le fait qu’il n’a jamais pris son projet trop au sérieux. D’un autre côté, c’est précisément ce relâchement et ce manque d’attention - autant au niveau de la forme que du fond - qui font le plus mal à l’ensemble en bout de ligne. À l’instar de ses homologues américains Trey Parker et Matt Stone (South Park), le cinéaste hongrois se sert lui aussi des possibilités infinies de son médium pour jouer la carte de l’absurde et de la vulgarité afin de courtiser un public majoritairement composé d’éternels adolescents. Mais si le duo a toujours su utiliser son humour de fond de bécosse pour porter un regard sanglant et d’une redoutable intelligence sur l’état actuel de notre société, The District! ne parvient jamais de son côté à rendre ses nombreux efforts à ce niveau réellement défendables. Le commentaire sociopolitique du film d’Áron Gauder ne se limite ainsi qu’à une caricature peu étoffée des différentes communautés culturelles de Budapest, du monde des affaires et des politiques étrangères du gouvernement américain. Il ne reste plus qu’à voir si le tout sera relégué aux oubliettes, ou si Gauder et ses animateurs chercheront un jour à approfondir les bases de cette ébauche stylistique tout de même fort prometteuse. Car même si la fin ne justifie jamais totalement les moyens dans le cas de The District!, nous devons à tout le moins reconnaître les mérites de cette facture visuelle certes inachevée, mais néanmoins tout ce qu’il y a de plus originale. Même si celle-ci n'aura servi finalement qu'à illustrer de bien modestes idées.




Version française : -
Version originale : Nyócker!
Scénario : Máriusz Bari, Viktor Nagy, Erik Novák, László Jakab Orsós
Distribution : L.L. Junior, László Szacsvay, Gyözö Szabó, Csaba Pindroch
Durée : 87 minutes
Origine : Hongrie

Publiée le : 28 Septembre 2008