A B C D E F G H I
J K L M N O P Q R
S T U V W X Y Z #
Liste complète



10 - Chef-d'oeuvre
09 - Remarquable
08 - Excellent
07 - Très bien
06 - Bon
05 - Moyen
04 - Faible
03 - Minable
02 - Intolérable
01 - Délicieusement mauvais



Cotes
Décennies
Réalisateurs
Le Cinéma québécois
La Collection Criterion



2005
2006
2007
2008
2009

DÉLICE PALOMA (2007)
Nadir Moknèche

Par Louis Filiatrault

On ne saurait dire de l'Algérie qu'elle occupe une place dominante sur les écrans du monde. Plus souvent qu'autrement, on retrouve sa présence entre les lignes du cinéma français, ruminant le souvenir d'un passé colonial pas si lointain, ou dans quelques oeuvres du terroir bouillonnantes de rage. C'est un peu pourquoi il fait tant de bien de rencontrer une oeuvre algérienne faisant preuve de sérénité sans pour autant compromettre son intelligence. Annoncé dans un ton convenablement léger, Délice Paloma ne réinvente pas la comédie dramatique mais fait plutôt oublier cette catégorisation, démontrant une admirable originalité dans son écriture ainsi qu'un don pour une cartographie psychologique multiple et nuancée. De ce film dont on retient les personnages touchants, il se dégage la chaleur humaine particulière des cultures de la Méditerranée, ainsi qu'une cadence relâchée mais agréable ne se réduisant pas non plus à un enchaînement banal de scènes de ménage.

Plus nerveux et résolument urbain, le Viva Laldjérie de 2003 traçait un portrait intéressant de la femme algérienne contemporaine, mais se dénouait de façon légèrement confuse, peu concluante. Entre autres interprètes, la chanteuse Biyouna (sorte d'équivalent algérois de notre Ginette Reno) y composait un personnage de mère et de veuve très crédible, poursuivant un rêve et parvenant à l'exaucer (quelque peu platement, d'ailleurs). Délice Paloma reprend ce motif maternel et le place en son centre, n'en faisant pas le seul objet de son attention mais bien le pivot autour duquel s'articulent tous les éléments de sa fiction. Ainsi, autour d'une prémisse générale impliquant une petite entreprise de « services » plus ou moins légaux (une sorte de micro-mafia, en somme), se dessinent un jeune homme désirant retrouver son père en Italie, une femme mûre caressant l'idée de fonder une famille et vivre dans la tranquilité, ainsi qu'une fille de campagne encore à la recherche de sa place dans le monde ; le tout sous l'oeil un peu dépassé de la soeur sourde et muette de la protagoniste principale. L'accomplissement de ces enjeux personnels est entravé par la personnalité à la fois contrôlante et adorable de cette dernière, se surnommant «Madame Aldjérie» (ainsi que « bienfaitrice du peuple »), et visant quant à elle depuis toujours (et de façon plus que légèrement fantasque) l'acquisition de thermes antiques situées près de sa ville natale. La gestion équilibrée de ces motivations contribue largement à faire de Délice Paloma une réussite scénaristique non négligeable, mais son intérêt s'étend aussi à d'autres qualités.

Tandis que le film précédent de Nadir Moknèche s'efforçait de suivre des fils narratifs plus ou moins indépendants (à l'instar du récent, moins sombre mais tout de même similaire Caramel de Nadine Labaki), la particularité de celui-ci est d'établir une unité de groupe et de n'en démordre qu'à quelques rares occasions. Rarement isolés des autres (même au simple niveau du cadrage), les personnages sont plus ou moins contraints à composer les uns avec les autres, à « supporter » la flamboyance de la matriarche sans dire un mot, en se rappelant cependant toujours leur amour pour elle, pour sa vanité comme pour sa naïveté. Il en résulte une dynamique très particulière que le réalisateur prend le temps d'explorer en profondeur par l'entremise d'un récit long, aux revirements nombreux, mais jamais forcés. La narration est dynamisée par un système de flash-backs simple, efficace mais aussi mélancolique, par quelques trouvailles intéressantes dans la manière de relier les temporalités, voire même de carrément briser la transparence (une adresse au spectateur en clôture d'une très belle scène apparaît à la fois surprenante et naturelle dans son contexte). La même subtilité s'applique à la mise en images, qui réserve quelques panoramas splendides ainsi qu'une place prédominante à la lumière du soleil, gorgeant les espaces de façon agréable.

En somme, Délice Paloma n'est pas un film frappant de ses qualités cinématographiques inédites et n'inspirera pas de passions brûlantes ou de revisionnements précipités. Ce qu'il offre à son spectateur est plutôt l'harmonie toute simple d'une écriture maîtrisée et d'une mise en scène versatile, allouant aussi tout l'espace nécessaire à des prestations remarquables de la part des comédiens. Cette conciliation apparaît particulièrement évidente au cours d'une longue et complexe séquence de résolution, observant patiemment la dissolution du petit groupe et préférant l'ambiguïté à l'excès mélodramatique. Ailleurs, c'est la création d'instants de musique, de tension, ou simplement d'humour qui témoigne d'une capacité à faire flèche de tout bois. Pour son troisième essai à la réalisation, Nadir Moknèche, sans nécessairement parvenir ou même vouloir aboutir à des observations sociales d'une grande pertinence, a plutôt réussi à créer un ensemble de figures attachantes et à les faire évoluer avec grâce, en passant par une progression psychologique mesurée et un sens de la nostalgie très juste qui ne passe jamais pour complaisante. À défaut de passer parmi les incontournables, il entre tout en candeur à cette école de sympathiques cinéastes que l'on suivra avec intérêt.




Version française : -
Scénario : Nadir Moknèche
Distribution : Biyouna, Nadia Kaci, Aylin Prandi, Daniel Lundh
Durée : 134 minutes
Origine : France, Algérie

Publiée le : 17 Juin 2008