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THE DARK KNIGHT (2008)
Christopher Nolan

Par Jean-François Vandeuren

Avec Batman Begins, Christopher Nolan ressuscitait l’une des plus grandes icônes de la culture populaire américaine tout en balayant du revers de la main une décennie d’échecs au cours de laquelle le célèbre personnage créé par Bob Kane et Bill Finger avait fait bien piètre figure au grand écran. Cette vision beaucoup plus sombre et réaliste proposée par le cinéaste britannique se distinguait d’ailleurs passablement de celle avancée par la plupart des productions du genre de par l’incroyable rigueur technique et scénaristique avec laquelle ce dernier y déployait les thèmes et les nombreux enjeux dramatiques de son récit. Suite à un tel triomphe, les attentes face à ce deuxième épisode ne pouvaient évidemment qu’être anormalement élevées… Batman (Christian Bale) aura donc changé les choses à Gotham City, mais pas nécessairement que pour le mieux. L’homme chauve-souris aura certes su redonner espoir aux représentants des forces de l’ordre, en particulier au nouveau procureur général Harvey Dent (Aaron Eckhart) qui semble bien déterminé à débarrasser la ville de ses grandes organisations criminelles, mais il aura également inspiré d’honnêtes citoyens à prendre les armes et à risquer bêtement leur vie au nom de la justice. Un nouveau venu cherchera toutefois à renverser la vapeur et à briser cette harmonie en déclarant la guerre au héros masqué. Contrairement à ses semblables, ce mystérieux individu vêtu de bien curieux atours et répondant au nom de « Joker » (Heath Ledger) ne semble pas être motivé tant par l’appât du gain que par la belle et douce idée de plonger Gotham et tous ses habitants dans un chaos sans précédent.

Le Joker de Christopher et Jonathan Nolan n’a évidemment rien à voir avec celui du Batman de Tim Burton, et encore moins avec le sympathique bouffon que combattait Adam West dans le mythique feuilleton télévisé des années 60. Le Joker de The Dark Knight est plutôt le psychopathe sanguinaire et évasif que le grand public n’avait pas encore vraiment eu la chance de voir à l’oeuvre en dehors du médium qui l’a fait naître. Plaçant d’abord le célèbre criminel aux antipodes de leur sombre héros par l’entremise d’un costume ridiculement flamboyant et d’un maquillage tout ce qu’il y a de plus grotesque, les deux frangins jouent ensuite de finesse en dévoilant progressivement les caractéristiques de leur antagoniste en lui faisant suivre sensiblement le même parcours que celui emprunté par Bruce Wayne dans Batman Begins. En fait, la seule différence notable dans le développement des deux personnages se situe au niveau des origines du Joker sur lesquelles les deux auteurs refusent de faire la lumière, prenant plutôt un malin plaisir à brouiller les pistes en capitalisant sur le caractère particulièrement instable et énigmatique de ce dernier. Les protagonistes de The Dark Knight évoluent ainsi sous la forme de puissants symboles les unissant autant qu’ils les divisent, mais aussi à travers l’idée d’interdépendance entre deux grands rivaux dans un contexte où l’inexistence de l’un enlèverait toute raison d’être à l’autre. Le Joker se manifestera du coup comme l’inévitable réplique de l’ombre face à la figure chevaleresque qui avait osé lui tenir tête. Refusant un tel équilibre, Bruce Wayne sera poussé de son côté jusqu’aux limites de sa propre morale, prisonnier malgré lui des traits d’un personnage qu’il aimerait bien voir disparaître.

Malgré la nature de ses protagonistes, le film des frères Nolan se rapproche beaucoup plus de la saga policière que du film de super-héros à proprement parler. À l’instar du remarquable Heat de l’Américain Michael Mann, dont il s’inspire fortement sur le plan narratif, The Dark Knight s’inscrit dans cette rare catégorie de divertissements hollywoodiens à grand déploiement dans laquelle l’évolution de l’intrigue et des personnages prime sur l’action et les considérations d’ordre purement spectaculaire. Christopher Nolan se présente ainsi comme un réalisateur ayant fortement gagné en patience et en précision, en particulier dans l’exécution de ses différentes scènes d’action pour lesquelles il aura su brillamment évité la surdose d’images inconsistantes dont souffrait parfois Batman Begins. Ce dernier évoque d’ailleurs la forme de la bande dessinée avec un flair visuel et une retenue inouïs en accordant une attention particulière à la composition de certains cadres ainsi qu’aux mouvements de la caméra et de ses personnages. Pour sa part, la bande originale d’Hans Zimmer et de James Newton Howard complète à la perfection cet ensemble des plus sophistiqués en accompagnant avec fougue ses moments les plus musclés tout en baignant constamment celui-ci dans une atmosphère lourde et prenante devenant vite synonyme de confusion et de désespoir. Et si la présence d’un individu comme le Joker à l’intérieur d’un univers filmique aussi maniéré aurait pu s’avérer catastrophique en théorie, c’est étrangement l’esprit tordu et malveillant de ce dernier qui finit par refléter le plus l’essence et le ton de ce deuxième opus. La performance terrifiante et d’une rare intensité d’Heath Ledger y est évidemment pour beaucoup vu le caractère insaisissable et déstabilisant qu’il confère au criminel par ses moindres faits et gestes.

Outre la performance phénoménale de Ledger, The Dark Knight est également appuyé par le travail d’une distribution impeccable dont se distinguent particulièrement Aaron Eckhart dans le rôle d’un procureur idéaliste pourtant destiné à un bien triste avenir ainsi que Gary Oldman, campant avec une remarquable sobriété un Jim Gordon auquel on accorda une place beaucoup plus significative. Christian bale, quant à lui, est toujours aussi à l’aise dans la peau d’un Bruce Wayne forcé de jouer les playboys immatures lorsqu’il n’est pas accablé par le devoir qu’il s’est lui-même imposé. Directeur d’acteurs exceptionnel, Christopher Nolan s’impose une fois de plus comme l’un des réalisateurs populaires les plus talentueux de sa génération. Le moins que l’on puisse dire est que le Britannique ne manque aucunement d’ambitions, et qu’il a surtout l’intelligence et le talent nécessaires pour arriver à des résultats de haut niveau. Le réalisateur affiche d'ailleurs une compréhension de plus en plus aiguisée de l’univers du célèbre justicier, laquelle lui permettra notamment de corriger l’erreur fatale commise par Tim Burton dans le film de 1989. Même chose pour le reste des principaux protagonistes qu’il guide à travers une progression dramatique absolument sidérante, en particulier la figure tragique que finira par incarner Harvey Dent, et sur qui reposera ultimement l’avenir de la métropole. Nolan donnera une connotation d’autant plus significative à cet événement en clôturant son film sur une séquence absolument magistrale dans laquelle il poussera l’homme chauve-souris à remettre en question la totalité de son oeuvre tout comme la nécessité de sa présence future dans les rues de Gotham City suite à la naissance de cet être brutal et anarchique à laquelle il aura directement contribué.




Version française : Le Chevalier noir
Scénario : Christopher Nolan, Jonathan Nolan
Distribution : Christian Bale, Heath Ledger, Aaron Eckhart, Michael Caine
Durée : 152 minutes
Origine : États-Unis

Publiée le : 18 Juillet 2008