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COUNT DRACULA (1970)
Jesus Franco

Par Alexandre Fontaine Rousseau

De loin le personnage fictif auquel le plus de pellicule aura été consacré, le comte Dracula demeure l'ultime mythe du film d'épouvante classique; plus de 160 films ont été consacrés au fameux vampire, l'acteur anglais Christopher Lee l'ayant notamment incarné à huit reprises. Si ce sont les films pour le compte de la firme Hammer qui l'ont rendu célèbre, ce géant de l'horreur - littéralement puisque, du haut de ses six pieds cinq pouces, Lee demeure l'uns des plus grands acteurs de premier plan de l'histoire du septième art - a aussi travaillé pour le compte du notoire cinéaste espagnol Jesus Franco. Le Count Dracula de celui-ci, réalisé en 1970, a le mérite d'être aux côtés de l'opulente version orchestrée par Francis Ford Coppola en 1992 l'une des adaptations les plus fidèles du fameux roman de Bram Stoker. Tout comme dans le livre, le jeune Jonathan Harker est envoyé en Transylvanie afin de gérer les affaires d'un vieil aristocrate craint pour d'obscures raisons par la populace locale. Attiré par les charmes de la banlieue londonienne, le comte a semble-t-il l'intention de s'installer dans une vieille villa abandonnée située aux abords d'un asile psychiatrique. Toutefois, au risque de vendre la mèche, ce n'est pas la vie mondaine de la pluvieuse capitale anglaise mais bien la jugulaire gorgée de sang de ses habitants qui attire le célèbre vampire, affublé pour l'occasion d'une généreuse moustache. Preuve que les Espagnols sont incorrigibles.

S'il respecte avec une révérence certaine le texte de Stoker, reprenant au-delà des grandes lignes plusieurs scènes spécifiques de celui-ci, le film de Franco ne porte pas la même affection pour les conventions cinématographiques: Count Dracula est une oeuvre à la mise en scène étriquée, à la limite parfois absurde, cumulant les effets étranges au gré d'une logique profondément obscure. Tout, des cadrages aux zooms incroyablement insistants, vient profondément déstabiliser le regard du spectateur qui apprend à son corps défendant une définition plus irritante qu'horrifique de l'insolite. Ce cinéma ne peut qu'être qualifié de cheap, occupant au-delà des étranges pirouettes de bon mauvais goût qui sont nommées kitsch un espace où l'exécution générale laisse vraiment à désirer. Des éclairages sommaires viennent d'ailleurs découvrir l'inégalité des décors, leurs faisceaux crus révélant une supercherie qui ne saurait être dissimulée bien longtemps. Bref, l'ambition de Franco outrepasse sans réserve aucune les moyens dont il disposait; il illustre avec les moyens du bord une vaste fable fantastique, cherchant à reproduire quelques fins détails avec un énorme pinceau au poil grossier.

Pourtant, ce Dracula n'est pas exempt de qualités au delà de son désir manifeste de plaire aux puristes, à commencer par l'excentrique prestation de Klaus Kinski dans la peau de Renfield. Kinski, qui jouera quelques années plus tard le comte lui-même dans le formidable Nosferatu: Phantom der Nacht de Werner Herzog, confère aux scènes dans sa cellule - parmi les meilleures du film - un climat d'étrangeté et de folie viscéral que Franco est cette fois en mesure de capter par l'entremise de plans claustrophobes. Mais le principal problème du film devient probant lors de ces moments passagers où il fonctionne: si la sauce refuse de prendre à grande échelle, quelques scènes arrivent à leurs fins avec une étonnante compétence. On pense notamment à celle où Lucy, devenue vampire, attire un enfant dans un cimetière. Lorsqu'il tourne à l'extérieur, Franco arrive parfois à un juste milieu entre réalisme et onirisme et propose un fantastique parfaitement matérialisé. Sauf que, malheureusement, ces rares instances où son film trouve sa voix sont désamorcées par une transition maladroite à une autre scène, mal intégrée au récit, où les acteurs débitent leurs répliques sans grande conviction.

D'emblée, le roman de Bram Stoker pose un défi de taille à tout réalisateur s'y attaquant; comment peut-on raconter cette histoire, si souvent mise en image, sans s'embourber dans les lieux communs et les clichés. Franco, en signant cette adaptation d'une surprenante fidélité, croyait peut-être avoir trouvé le moyen de contourner les conventions. Néanmoins, cette opération pose un problème auquel même un réalisateur de la trempe de Coppola se butera quelques vingt-deux ans plus tard. En effet, la narration atypique du roman s'étend sur une foule de lieux à la fois, tandis que certains raccords narratifs y sont escamotés grâce au voile que procure sa forme éclatée. Le dernier tiers de Count Dracula, au cours duquel les récits parallèles se multiplient, confirme qu'il faut un certain doigté pour ne pas précipiter cette conclusion. Or, les ressources extrêmement limitées avec lesquelles travaillait Franco ne font qu'aggraver la situation, comme en font foi la qualité inégale des séquences de son film ainsi que l'affreuse inconsistance de son rythme. En ce sens, celui-ci fait piètre figure lorsque comparé aux productions de la Hammer, un peu plus classiques mais sans conteste plus maîtrisées. Ici, l'élégance du Horror of Dracula de 1958 n'est pas même effleurée; ce Count Dracula est donc à réserver aux inconditionnels du cinéma d'horreur de l'époque, qui trouveront un intérêt d'historien à décortiquer l'échec de Franco.




Version française : -
Version originale : Nachts, wenn Dracula erwacht
Scénario : Augusto Finocchi, Jesus Franco
Distribution : Christopher Lee, Herbert Lom, Klaus Kinski, Soledad Miranda
Durée : 98 minutes
Origine : Espagne, Allemagne, Italie, Liechtenstein

Publiée le : 8 Juin 2007