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CASHBACK (2006)
Sean Ellis

Par Jean-François Vandeuren

Une rupture amoureuse est toujours un moment difficile à passer et les symptômes qu’elle engendre ne sont évidemment pas les mêmes pour tout le monde. Si certains réussissent à se remettre sur pied et passer à autre chose en un rien de temps, d’autres s’enfoncent dans une profonde déprime retardant de façon considérable la guérison de blessures psychologiques qu’ils aimeraient évidemment voir cicatriser beaucoup plus rapidement. Pour Ben Willis (Sean Biggerstaff), le tout se traduira en une longue et pénible période au cours de laquelle il lui sera impossible de fermer l’oeil. Fonctionnant désormais à plein régime pendant des journées entières, le jeune étudiant en art décidera de troquer les huit heures durant lesquelles il aurait normalement dû être au lit pour un valeureux emploi de commis dans une épicerie à grande surface. Errant dans les allées du magasins tout en côtoyant des personnages plus absurdes les uns que les autres, Ben verra son univers se confondre graduellement à un monde illusoire dans lequel il a le pouvoir d’arrêter le temps. Ce dernier profitera alors de cette curieuse anomalie pour s’épanouir en tant qu’artiste en immortalisant d’un coup de crayon la beauté des jeunes femmes s’étant enracinées dans son champ de vision durant ces longs instants.

Après avoir obtenu une nomination aux Oscars pour son second court-métrage de fiction, le photographe de mode de renommée mondiale Sean Ellis décida de reprendre la même prémisse et de l’étirer sur un peu plus de cent minutes. Cashback ne renie toutefois aucunement ses origines et en reprend même plusieurs attributs, en particulier au niveau de la forme où ce genre d’essai de courte durée est souvent l’occasion pour de jeunes cinéastes de mettre en valeur quelques concepts artistiques bien définis. Le photographe britannique y va d’une part d’une panoplie d’effets de style tout en réussissant à éviter la surdose (même s’il s’en approche parfois dangereusement) afin de donner le ton à un film lent et contemplatif qui évolue en marge des conventions sans toutefois les ignorer. Chaque élément semble ainsi parfaitement à sa place et contribue à la fluidité d’un effort au rythme déjà réglé au quart de tour plutôt que de le saccader inutilement. Entre les confidences en voix-off de son personnage principal, l’utilisation de nombreux ralentis et quelques transitions inusitées qui ne déboussoleront pas les adeptes de l’excellente série télévisée Minuit, le soir, le cinéaste orchestre un univers cinématographique qui n’obéit plus qu’à sa propre logique. Son personnage peut ainsi agir d’une manière tout à fait naturelle même s’il n’a pas dormi depuis des semaines et modifier les attributs d’un monde avec lequel il ne pourrait entrer en harmonie autrement.

Évidemment ce genre d’exercice visuel est devenu monnaie courante au cinéma depuis le début du siècle. Si la démarche visuelle de Sean Ellis n’a en soi rien de bien novatrice, le photographe démontre néanmoins qu’il a su faire des choix éclairés devant les nombreuses possibilités techniques qui s’offraient à lui afin d’illustrer les grandes lignes de son discours d’une manière à la fois cohérente et poétique. Ellis propose ainsi une réflexion intelligente et empreinte de naïveté sur le temps, l’amour, la beauté et la façon dont ces idées peuvent autant se compléter que se nuire l’une à l’autre. Le temps est alors présenté comme un fléau nous éloignant prématurément des moments les plus marquants de notre existence tout en nous empêchant de contempler toute la beauté qui nous entoure. La mise en scène à la fois dense et volatile de Sean Ellis reproduit d’ailleurs d’une manière particulièrement effective ce moment entre la rupture et l’attente du renouveau qui mène bien souvent à une profonde remise en question alors qu’un épais brouillard semble effacer toute perspective d’avenir. Une situation que le jeu simple et nuancé de Sean Biggerstaff rend palpable tout en permettant à son personnage de tomber rapidement dans les bonnes grâces du spectateur.

Cashback prend ainsi les allures d’un portfolio pour Sean Ellis qui réussit à rehausser une prémisse fort simple en apparence d’une aura onirique évoluant au rythme de ses propres impulsions. Le photographe britannique signe du coup un de ces films gravitant en retrait dans l’univers du cinéma tout en suivant une constante bien définie chez certains jeunes réalisateurs qui continuent d’explorer les plus infimes recoins du septième art à la recherche d’une nouvelle idée de génie à une époque où tout semble avoir déjà été fait. Ellis laisse ainsi ses images compléter les milles mots que ses écrits ne pouvaient pas toujours exprimer sur papier, trimballant alors le spectateur dans une vaste gamme d’émotions entre le désarroi de son protagoniste et un monde peuplé de personnages immatures avec qui ce dernier n’a en soi rien en commun. Le tout se veut le résultat d’une mise en scène au goût du jour orchestrée avec la plus grande attention, laquelle prend les allures d’un ovni visuel qui s’était déjà manifesté dans le passé, mais qui parvient malgré tout à charmer et surprendre même s’il ne fait au fond que modifier le ton d’un discours déjà maintes fois prononcé.




Version française : Cashback : La Beauté du temps
Scénario : Sean Ellis
Distribution : Sean Biggerstaff, Emilia Fox, Shaun Evans, Michelle Ryan
Durée : 102 minutes
Origine : Royaume-Uni

Publiée le : 29 Mai 2007