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BRANDED TO KILL (1967)
Seijun Suzuki

Par Alexandre Fontaine Rousseau

Branded to Kill fut le dernier film que réalisa Seijun Suzuki pour la Nikkatsu, la goutte qui fit déborder le vase selon ses supérieurs. Pourtant, ce n'est pas un film aussi éclaté que le Tokyo Drifter de 1966 et, étonnamment, s'avère à la fois plus cohérent et respectueux des normes du cinéma de yakuzas que le fameux délire en Technicolor qu'avait réalisé au préalable Suzuki. Premièrement, ce n'est pas, au contraire de son prédécesseur, une comédie musicale au fil narratif étrangement complexe, mais plutôt un opéra sauvagement orchestré de violence stylisée, un film policier dur et sombre explorant à la fois les jeux du désir et de la peur avec une agressivité mordante et une grande inventivité visuelle. S'il ne jouit pas de la même exubérance amusante que Tokyo Drifter, Branded to Kill est un film bien plus riche où les effets de styles sont beaucoup moins gratuits et la tension véritablement tangible. Virer un réalisateur pour un tel accomplissement relève du manque total de jugement.

Si la manière qu'a Seijun Suzuki d'approcher le cinéma rappelle en général la Nouvelle vague, et en particulier les films de Godard, jamais cette affiliation ne fut plus tangible et logique qu'ici. On le sent non seulement dans certains gadgets visuels utilisés et dans une manière particulière et fragmentée de filmer l'amour mais, surtout, dans ce culte de la spontanéité et l'énergie vive qui en découle. Branded to Kill évite cependant l'approche intellectuelle des cinéastes français pour plutôt employer ce dynamisme pur à coordonner des combats explosifs et à créer des scènes d'une tension psychologique forte. La confrontation finale entre Goro Hanada (Joe Shishido) et le mythique «tueur numéro un» (Koji Nanbara) vaut à elle seule le détour, alors qu'Hanada est poussé au bord du délire par les diverses machinations manipulatrices de son adversaire.

Tourné en noir et blanc, le film n'a certes pas une énergie visuelle aussi évidente que Tokyo Drifter. Ceci étant dit, la recherche esthétique de Suzuki est ici beaucoup moins gratuite et le réalisateur japonais offre en fait un film qui peut beaucoup plus facilement aspirer au titre de cinéma d'auteur. Ici, l'excentrique japonais ose vraiment explorer la psyché torturée de ses personnages marginaux et offre même un personnage féminin fort qui vient déstabiliser son antihéros sadique. Sa personnification demeure simple et efficace mais étonne lorsque l'on considère que l'on a ici affaire à un film d'action rondement mené. Car Branded to Kill demeure un divertissement grand public d'abord et avant tout. Seulement, Suzuki et son équipe arrivent à utiliser un genre populaire comme tremplin pour offrir une expérience cinématographique relevée plutôt que d'en suivre bêtement les règles.

On est donc bien loin du cinéma japonais exporté à travers le monde à l'époque. Alors que le cinéma de Kurosawa, accusé pas ses compatriotes d'être trop occidental, s'appuie sur une approche classique et épurée du cinéma et sur les références à la culture médiévale japonaise, Suzuki est le reflet d'un tout autre pays plus moderne et éclectique. Associées à une musique jazz frénétique, les images frappantes de Suzuki s'avèrent un régal pour les sens qui demeure remarquable encore aujourd'hui. Tant pis s'il brise des règles aussi simples que celle du croisement des axes. Il n'y a pas de place ici pour les normes aussi généralement acceptées soient-elles.

Brutal et fascinant, Branded to Kill se nourrit à même la philosophie nihiliste de son réalisateur. Cependant, le spectateur en ressort habité par l'énergie qui animait ses créateurs en 1967. Loin du psychédélisme naïf cultivée dans le monde occidental à la même époque, l'esthétique sombre et violente de Suzuki précède de quelques années le pessimisme des années 70 et à la limite, même, le cinéma japonais contemporain qui cultive à l'extrême ces chorégraphies tourbillonnantes et ce sens étudié de la destruction dont le réalisateur fut un pionnier en son pays. Suzuki, sans doute, demeure l'un des maitres de la série-B japonaise. Branded to Kill demeure un point culminant de sa carrière, son chef d'oeuvre peut-être. Un gros morceau de culture populaire sale et débridée à prendre cul-sec pour obtenir un effet maximum.




Version française : La Marque du tueur
Version originale : Koroshi no rakuin
Scénario : Hachiro Guryu, Takeo Kimura
Distribution : Jo Shishido, Mariko Ogawa, Annu Mari, Koji Nambara
Durée : 98 minutes
Origine : Japon

Publiée le : 8 Mars 2005