A B C D E F G H I
J K L M N O P Q R
S T U V W X Y Z #
Liste complète



10 - Chef-d'oeuvre
09 - Remarquable
08 - Excellent
07 - Très bien
06 - Bon
05 - Moyen
04 - Faible
03 - Minable
02 - Intolérable
01 - Délicieusement mauvais



Cotes
Décennies
Réalisateurs
Le Cinéma québécois
La Collection Criterion



2005
2006
2007
2008
2009

THE BOW (2005)
Kim Ki-Duk

Par Jean-François Vandeuren

Un artiste a généralement deux façons de faire évoluer son œuvre. Il peut ajouter une nouvelle pièce à son répertoire sur une base régulière afin de lui assurer une progression lente, mais continue, ou, à l’image du parcours d’un maître de la trempe de Stanley Kubrick, il peut se manifester d’une manière plus disparate et prendre de nombreuses années pour concocter un nouvel opus et voir à ce que le détail le plus infime serve entièrement ses intentions. Le cinéaste sud-coréen Kim Ki-duk appartient évidemment à la première école. Depuis The Isle, le prolifique réalisateur nous a habitués à une signature suivant une trajectoire bien définie dont elle bifurque rarement tout en devenant un peu plus précise avec chaque nouvel effort. Cet univers formé de grands espaces dont l’accalmie se perd dans le chaos émanant des grands centres urbains et où se côtoient des personnages volontairement muets, Kim Ki-duk le connaît sur le bout des doigts. Ainsi, The Bow, son douzième long-métrage en neuf ans, ne surprendra aucunement les fans de longue date du réalisateur, mais propose néanmoins une variation fort substantielle des thèmes que ce dernier a déjà entièrement assimilés.

Kim Ki-duk dépeint une fois de plus une histoire d’amour insolite prônant un mode de vie que ceux appartenant à la majorité n’arrivent tout simplement pas à comprendre. The Bow raconte ainsi le récit d’un pêcheur qui sauva jadis la vie d’une jeune fille abandonnée à l’âge de six ans. Dix ans plus tard, les deux complices vivent sur le rafiot du vieil homme et accueillent les nombreux amateurs de pêches venus y taquiner le poisson. Depuis son abandon, l'adolescente n’est jamais retournée sur la terre ferme et son champ de vision fut ainsi limitée qu’à cette embarcation flottant au milieu d’une immense masse d’eau. Le jour de ses 17 ans approche et cet anniversaire marquera également l’union des deux marginaux. Mais voilà que débarquera un jour un étudiant dont la jeune fille tombera instantanément amoureuse. Une rencontre imprévue qui viendra contrecarrer les plans du couple pour qui l’existence était jusque-là des plus paisibles.

Sans être aussi marquant que les exceptionnels The Isle, Samaritan Girl et 3-Iron, The Bow forme en soi un joyeux mélange des meilleurs éléments de l’univers cinématographique de Kim Ki-duk. S’il ne sent pas forcément le réchauffé, ce douzième film ne laisse toutefois pas énormément de place à l’innovation. Le cinéaste sud-coréen a trouvé chaussure à son pied et compte visiblement en user la semelle pour encore quelques miles. Ainsi, Kim Ki-duk dévoile un jeu déjà bien connu dès les premiers instants du film. Ses décors minimalistes surplombés par la mer tiennent ses deux protagonistes, qui ne disent pas un seul mot du film si ce n’est pour chuchoter la bonne aventure à l’oreille de qui veut bien l’entendre, à l’écart des traquas de la société moderne. Si les dialogues se font de plus en plus rares dans les œuvres de Kim Ki-duk, le langage visuel et sonore de ce dernier se devaient évidemment de mener à bon port un navire à l’héritage aussi particulier. La facture visuelle on ne peut plus maîtrisée du cinéaste demeure cette fois-ci en retrait alors qu'un montage des plus fluides se laisse bercer et chambarder par les impulsions de ses personnages et une trame sonore plus traditionnelle venant remplir des espaces que le réalisateur aurait ordinairement gardés immaculés.

Au delà de cette histoire d’amour assez inhabituelle se forme un désir de préserver un mode de vie dont la validité est difficilement reconnue à l’intérieur de notre définition de ce qui est « normal ». Kim Ki-duk donne ainsi un nouveau souffle à son traditionnel duo de marginaux s’enivrant d’un quotidien dont ils sont les seuls au départ à en déterminer les règles. Le cinéaste profitera par contre de l’éveil sexuel de sa jeune protégée pour renouer avec les thèmes ayant fait sa renommée depuis The Isle tout en forçant constamment son public à remettre en question son point de vue face aux actions de ses personnages. Le réalisateur remue ainsi différents fondements qu’implique désormais la vie en société pour proposer sur un ton onirique, voire mystique, une alternative qui semblera de moins en moins saugrenue à mesure que progressera le récit. Sans adopter une position aussi ambiguë que dans Samaritan Girl, Kim Ki-duk pousse tout de même le spectateur à réflexion tout en respectant son hésitation face à une telle proposition. De la grande force de ses protagonistes et de sa mise en situation découlera la formation d’un idéal imparfait face auquel le réalisateur ne cherchera pas à prendre position pour plutôt le laisser voguer à la dérive afin qu’il puisse passer à travers ses propres tempêtes et grands moments de sérénité.

The Bow nous présente au bout du compte un Kim Ki-duk serein et en pleine possession de ses moyens qui se permet même d’introduire quelques clins d’œil à son propre répertoire. Les hameçons ravageurs de The Isle nous feront alors imaginer le pire avant de prendre ici une tournure humoristique pour le moins inattendue. Soutenant sensiblement le même discours que 3-Iron, The Bow se termine toutefois sur une note symbolique rappelant davantage The Isle. À mi-chemin entre la reconnaissance du passé et l’ouverture sur l’avenir, la vie de la jeune fille prendra un nouveau départ dont l’essence sera tout de même fortement imprégné de l’héritage que son protecteur se sera évertué à défendre. Une œuvre de synthèse consacrant les derniers efforts de Kim Ki-duk comme certains des plus importants du cinéma sud-coréen des années 2000. Seul le temps nous dira toutefois si le principal intéressé se laissera désormais porter par les vagues ou s’il ne vient pas tout juste de jeter l’ancre de façon définitive.




Version française : L'Arc
Version originale : Hwal
Scénario : Kim Ki-duk
Distribution : Han Yeo-reum, Jeon Seong-hwang, Seo Si0jeok, Jeon Gook-hwan
Durée : 90 minutes
Origine : Corée du Sud

Publiée le : 6 Février 2007