A B C D E F G H I
J K L M N O P Q R
S T U V W X Y Z #
Liste complète



10 - Chef-d'oeuvre
09 - Remarquable
08 - Excellent
07 - Très bien
06 - Bon
05 - Moyen
04 - Faible
03 - Minable
02 - Intolérable
01 - Délicieusement mauvais



Cotes
Décennies
Réalisateurs
Le Cinéma québécois
La Collection Criterion



2005
2006
2007
2008
2009

THE BIG ONE (1997)
Michael Moore

Par Alexandre Fontaine Rousseau

Plusieurs des détracteurs de Michael Moore l'accusent de faire des films qui traitent d'abord et avant tout de lui, et aucun de ses projets ne confirment cette affirmation autant que The Big One. Après tout, le réalisateur et polémiste américain suit ici la tournée de promotion de son propre livre, Downsize This, à travers l'Amérique. Mais il faut comprendre que l'efficacité même de ce que l'on peut carrément qualifier de «méthode Moore» depuis l'immense succès de Bowling For Columbine découle directement de la présence d'un protagoniste central auquel l'Américain moyen puisse s'identifier. Car c'est cet Américain moyen qui demeure le public cible du réalisateur, ce qui explique pourquoi il doit parfois niveler vers le bas ou simplifier sa rhétorique. S'il frôle souvent la caricature, le personnage qu'interprète Moore dès qu'il est en public n'en demeure pas moins une figure marquante dont les opinions et les origines sont claires.

Or, force est d'admettre que sa lutte pour la remise en question des principes de bases de notre économie est non seulement fort louable mais carrément vitale. Et, s'il suit ici ses propres aventures d'une ville à l'autre, c'est qu'il y a quelque chose de bien étrange qui se trame en Amérique actuellement, une maladie dangereuse et selon certains incurable qui semble régir au nom d'une logique fort obscure notre organisation politique, économique, est-il même possible de séparer les deux, et sociale. Le citoyen n'est rien s'il n'est pas actionnaire et tout ce qui semble compter aux yeux de l'actionnaire est la toute puissante croissance économique. Peu importe que les ressources de notre bonne vieille planète soient limitées, ou que les conséquences humaines de cette poursuite obsessionnelle de la hausse des rendements soient catastrophiques. Il n'y a pas de limites à l'argent que désire l'actionnaire.

Voilà que par un pur hasard orchestré au montage, il semble que toutes les villes que visite Moore lors de son grand périple souffrent directement des effets secondaires de la domination des économistes. Fermetures d'usines et tentatives d'empêcher la syndicalisation façonnent le quotidien de l'Amérique moderne. On déménage ces usines au Mexique, en Indonésie ou en Chine, tous des pays où le salaire moyen est encore plus ridicule et les conditions de travail moins bien contrôlées. Le concept d'éthique, dans toute ces histoires administratives de haut niveau, n'est pas pris en considération une seule fois.

La belle démocratie qui sert de justification à cette grandiose liberté d'entreprise est elle aussi en piteux état. Plus personne ne va voter aux États-Unis, un geste qui de toute façon ne veut plus dire grand chose quand les deux choix qui s'offrent à l'électeur ne mènent qu'à de trop subtils changements. Le fait est que sans la participation active et la surveillance constante du peuple, la démocratie est vidée de tout sens. Elle devient un outil de plus pour garder la masse sous sédation, laissant à la classe politique et économique régner en toute liberté. Mais, comme le prouve cette entrevue marquante avec le président directeur-général et fondateur de Nike, Phil Knight qui clos le film, la morale de ces individus louches semble centrée sur le respect sacro-saint de l'entreprise. Knight, après tout, parle du ciel comme d'un «big shoe box in the sky». Une blague qui en révèle beaucoup sur d'un homme pour qui la croissance de son entreprise est de son propre aveu une fin en soi.

Avec humour et vigueur, Michael Moore se livre ici à un combat contre le système américain lui-même. On pourrait lui reprocher le manque de subtilité de sa charge, mais ses arguments sont fort solides. On pourrait l'accuser de s'enrichir en vendant sa subversion par l'entremise de corporations sanguinaires, mais ce serait nier qu'il arrive à rejoindre avec son oeuvre une foule de gens qui ne seraient pas conscientisés autrement. Certains diront qu'en jouant les défenseurs de l'Amérique moderne, Moore ne fait que déresponsabiliser le spectateur qui, assis dans son divan, le regardera lutter à sa place. À cela, on pourra répondre qu'un citoyen averti est au moins sur la voie de la rédemption. Sans être du calibre de l'excellent Bowling For Columbine, The Big One se révèle un film engagé divertissant, surtout compte tenu du fait qu'il remet en question les bases mêmes de notre système. Peu importe qu'on parle du film comme d'un documentaire ou d'une docu-fiction arrangée avec le gars des vues...




Version française : Le Géant
Scénario : Michael Moore
Distribution : Michael Moore, Garrison Keillor, Phil Knight, Joel Feick
Durée : 91 minutes
Origine : États-Unis

Publiée le : 10 Avril 2005