A B C D E F G H I
J K L M N O P Q R
S T U V W X Y Z #
Liste complète



10 - Chef-d'oeuvre
09 - Remarquable
08 - Excellent
07 - Très bien
06 - Bon
05 - Moyen
04 - Faible
03 - Minable
02 - Intolérable
01 - Délicieusement mauvais



Cotes
Décennies
Réalisateurs
Le Cinéma québécois
La Collection Criterion



2005
2006
2007
2008
2009

LA BATAILLE D'ALGER (1965)
Gillo Pontecorvo

Par Alexandre Fontaine Rousseau

Réalisé à Alger même, et ce moins de trois ans après l'obtention de son indépendance, La bataille d'Alger de Gillo Pontecorvo demeure un formidable monument d'une certaine forme de cinéma engagé des années 60. Les conditions dans lesquels fut tourné le film du réalisateur italien méritent à elles seules le respect. Dans un geste qui relève à la fois du journalisme et de la création artistique, Pontercorvo et son équipe osent dès 1965 retourner dans la Casbah où ont lieu les évènements rapportés par le film. Leur objectif est de récréer dans un style réaliste, en employant surtout des non-professionnels, les grandes lignes de la révolte populaire de 1957. La crédibilité époustouflante des scènes du soulèvement de décembre 1962 leur donne presque raison. Mais le souci de l'exactitude qui les anime est fondamentalement idéaliste.

Fondamentalement idéaliste parce que cette «dictature de la vérité» que défend Pontecorvo est en profonde opposition avec les mécanismes de la création filmique. Les techniques de base du langage cinématographique, des techniques que l'Italien utilise ici avec brio, voilent et déforment la réalité. Dès lors, il serait possible d'étudier le geste du réalisateur avec une certaine condescendance. Croire que le cinéma est dicté par la réalité, alors que l'on sait pertinemment bien que le cinéma dicte les normes de sa propre réalité, est une illusion belle mais profondément naïve. Toutefois, le résultat final commande le respect et justifie presque les grandioses déclarations de son créateur.

La bataille d'Alger est non seulement un film admirable mais un acte tangible, courageux et inspirant. Son mérite dépasse amplement le simple cercle de la théorie cinématographique et déborde jusque dans le monde réel. Il fait dès lors partie de cette race à part de films dont les convictions se transforment en action. En ce sens, il devient insignifiant de savoir si Pontecorvo croit réellement que le cinéma peut devenir une forme de transmission fiable de la réalité. Son oeuvre de fiction, ainsi que la position qui y est prise, est foncièrement humaine. C'est à ce moment que le cinéma frôle la vérité. C'est dans ces conditions qu'il prend toute sa valeur.

Ici, Pontecorvo tente tant bien que mal de traiter tous ces sujets de façon juste et équitable. Il n'y arrive jamais parfaitement. Ironiquement, c'est en cet échec que son film va puiser toute sa force. Dans le choix des plans, dans la façon de monter, Pontecorvo vient appuyer les membres du FLN. Cependant, il établit clairement la croyance fondamentale qui éclaire son regard et par le fait même celui de sa caméra: la valeur de la vie humaine sera toujours supérieure à celle des idéaux qui animent les luttes fratricides de l'homme. C'est pour cette raison que la même musique sert à souligner la mort de martyrs algériens et de Français innocents. C'est pour cette raison que les héros implicites de cette histoire sont les hommes à la fois de principes et de raison. En quoi un cadavre sert-il une cause?

Dans le même élan de subjectivité involontaire, La bataille d'Alger dénonce subtilement la logique inébranlable de la pensée militaire. Le colonel Mathieu, dirigeant de l'armée d'occupation française, le déclare formellement: «Nous sommes des soldats, et notre devoir est de vaincre.» Il écarte toutefois la solution facile de faire porter à l'armée tous les torts des hommes. «La France doit-elle rester en Algérie? Si vous répondez encore oui, alors vous devez en accepter toutes les conséquences nécessaires.» La scène de torture déchirante qui suit définira clairement ce que sont ces fameuses conséquences nécessaires.

Cette conférence de presse n'est que l'un ces multiples moments du film de Pontecorvo où les dialogues frappent autant par leur limpidité et leur simplicité que par leur étonnante richesse. Alors que d'une certaine façon s'établit actuellement à travers le monde un colonialisme nouveau, qu'il soit américain en Irak ou israélien en Palestine, le film de Pontecorvo prouve que sa force de frappe n'était pas aussi éphémère que ne le prétendait à l'époque ses détracteurs. La bataille d'Alger demeure encore aujourd'hui un document cru et poignant des conséquences inévitables d'une occupation forcée sur une terre étrangère. Ici, la forme épouse formidablement bien le fond. L'histoire dit que Paul Newman fut durant un certain temps considéré comme protagoniste principal du film. Sa présence aurait détruit cette illusion formidable qu'arrive à maintenir Pontecorvo tout au long de son film. Pendant deux heures, le spectateur a l'impression d'être plongé au coeur de l'action. De façon presque perverse, la grande magie du cinéma s'opère une fois de plus.




Version française : -
Version originale : Battaglia di Algeri, La
Scénario : Gillo Pontecorvo, Franco Solinas
Distribution : Brahim Haggiag, Jean Martin, Yacef Saadi, Samia Kerbash
Durée : 117 minutes
Origine : Algérie

Publiée le : 16 Juin 2005