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BAMBOOZLED (2000)
Spike Lee

Par Alexandre Fontaine Rousseau

Jusqu'où peut se permettre d'aller la télévision? À quel moment le second degré devient-il la piètre justification d'un triste spectacle? Bamboozled est un film formidablement ambitieux. S'il s'attaque à trop dans la même lancée pour frapper dans le mille sur tous les fronts, cet étrange petit projet tourné en DV afin d'amortir les coûts de production a par ailleurs le mérite de toucher à la fois à une problématique cruciale et récurrente de l'oeuvre de Spike Lee - la question raciale en Amérique - et d'aborder la notion d'éthique artistique avec une profondeur certaine. Bamboozled retrace le parcours fictif d'un auteur télévisuel noir qui, s'inspirant des divertissements racistes du début du siècle, en vient à produire une exposition de tous les stéréotypes imaginables qu'il qualifiera pour laver sa conscience de satire. À une époque où la télévision cherche constamment à dépasser les limites du bon goût parce qu'on le lui permet implicitement, ce portrait d'une Amérique où les cotes d'écoutes justifient tous les excès vise juste.

Tristement incompris et trop souvent rabroué pour le léger relâchement narratif qu'il se permet en fin de parcours, Bamboozled tente surtout de provoquer la réflexion et la discussion. À ce niveau, Spike Lee atteint son but. Sa démonstration amuse et sa critique sociale grince fort. Notre narrateur l'affirme dès le début : il faudra sombrer bas pour captiver l'audience. Pour se faire, il remet au goût du jour la grande tradition théâtrale américaine du blackface : son émission Mantan's New Millenium Minstrel Show sera un gigantesque succès grâce, entres autres choses, à la controverse qui entoure son exploitation abusive de l'image du petit nègre servile bouffant des melons d'eau à n'en plus finir. Ce qui n'était d'abord qu'une vengeance personnelle contre l'imbécillité des réseaux de diffusion se transforme bien vite en gigantesque cirque médiatique commandité par Timmi Hilnigger.

Jusque dans les moindres détails, Bamboozled est une attaque en règle contre le racisme en Amérique. Heureusement, Spike Lee ose dépasser la définition traditionnelle du racisme, celle de l'ostracisme des noirs par les blancs, pour aller remettre en question la perception qu'ont les noirs d'eux-mêmes. Son humour grinçant déborde de tout bord tout côté. Là où le bat blesse, c'est lorsqu'il tente d'injecter des tensions interpersonnelles entre ses divers personnages. Vite esquissés, ces élans peu raffinés de développement psychologique entrent en conflit avec le ton parodique de l'ensemble. Ils diluent la charge alors que le film se porte très bien.

Qui plus est, la résolution violente que propose son film ressemble plus à un dérapage qu'à un authentique pivot narratif. Cette idée qu'un groupuscule révolutionnaire amateur en arrive à cette solution extrême n'est pas sans intérêt. Il permet d'ailleurs à Lee d'écorcher au passage la dynamique de la télévision réalité. Seulement, on a l'impression que tout ce pan de l'histoire est trop rapidement esquissé dans un film déjà plutôt long. Néanmoins, le réalisateur se rattrape dans la conclusion grâce à un puissant montage d'images d'archives qui vient par le fait même souligner la forme éclatée de son film.

De toute façon, Lee demeure beaucoup trop intelligent pour se perdre complètement. Il retrouve son aplomb après chaque court égarement, et retourne à l'attaque dès qu'il n'étudie pas l'intéressante vision artistique que propose son Minstrel Show. Visuellement inspirées, les chorégraphies dynamiques de son émission de variété fictive viennent appuyer un humour efficace et étonnamment alerte. Autrement dit, que doit-on penser de celle-ci? S'il se cachait derrière cette grossière caricature une critique implicite? Ce que semble répondre Lee, c'est que la valeur d'une oeuvre dépend de ce que le public en fait. En ce sens, on comprend vite en regardant l'audience de la dernière représentation de Mantan's que le fond du baril est atteint. L'oeuvre artistique en tant qu'impact plutôt qu'en tant qu'intention. Tel est le commentaire qu'émet Spike Lee.

Techniquement, Bamboozled oscille entre l'inspiration à l'état pur et la paresse quelconque. Autant le style est léché lors des segments de chant et de danse du spectacle tournés en 16mm, autant certaines des séquences tournées en vidéo numérique semblent à la limite bâclés. Ces limitations techniques sont imputables au fait que Bamboozled ne pouvait être tourné autrement : c'est un film qui a semé la controverse à un point tel qu'il semble avoir été enfoui dans la récente filmographie de Lee. Son imagerie sauvage frappe encore aujourd'hui la fibre morale des Américains. La preuve en est qu'à sa sortie le New York Times refusait de publier les publicités du film. Trop de défauts mineurs viennent alourdir Bamboozled pour qu'on puisse parler d'un grand film. Pourtant, Spike Lee y prouve une fois de plus sa grande pertinence dans l'interminable débat ethnique qui anime le royaume de l'Oncle Sam.




Version française : -
Scénario : Spike Lee
Distribution : Damon Wayans, Savion Glover, Jada Pinkett Smith, Tommy Davidson
Durée : 135 minutes
Origine : États-Unis

Publiée le : 7 Avril 2006