AVATAR (2009)
          James Cameron
          
          Par Jean-François Vandeuren
          
          Il aura fallu attendre douze ans après que James Cameron ait 
          pulvérisé tous les records au box-office avec l’excessivement 
          oscarisé Titanic pour voir le Canadien revenir enfin 
          à la fiction - après une incursion somme toute assez peu 
          concluante dans le monde du documentaire marin avec Aliens of the 
          Deep et Ghosts of the Abyss. Pourtant, le présent 
          effort aurait pu voir le jour dès 1999. Mais pour des raisons 
          essentiellement technologiques et budgétaires, la mise en chantier 
          du projet aura sans cesse été repoussée. La situation 
          est évidemment bien différente à présent 
          alors qu’un simple écran bleu et quelques ordinateurs peuvent 
          désormais permettre à un réalisateur d’amener 
          son public à peu près n’importe où. Muni 
          d’un budget de plus de 230 millions de dollars et de procédés 
          spécialement développés pour les besoins du film, 
          Cameron nous transporte finalement sur la planète Pandora, un 
          lieu mythique où une corporation terrienne tente de conclure 
          un marché avec une tribu na’vi dans le but d’extraire 
          un minerai de grande valeur. Le problème, c’est que l’arbre 
          gigantesque servant de village à la population locale se situe 
          juste au-dessus du gisement de ce précieux métal. Afin 
          de favoriser les échanges entre les deux espèces, un programme 
          a été mis sur pied pour créer une entité 
          mi-homme, mi-na’vi pouvant être contrôlée à 
          distance par l’individu ayant soumis son code génétique 
          à ce curieux exercice. Suite au décès de son frère 
          jumeau, un marine ayant perdu l’usage de ses jambes (Sam Worthington) 
          sera appelé à prendre le contrôle de l’un 
          de ces géants au teint bleu. Un incident permettra ensuite à 
          ce dernier de s’immiscer au coeur de cette culture dont il devra 
          vite apprendre les moindres rudiments. Le soldat finira évidemment 
          par s’identifier davantage aux défenseurs de cet écosystème 
          d’une richesse inestimable plutôt qu’aux vils représentants 
          de cette opération industrielle et militaire. 
          
          Il faut dire que peu importe ce que James Cameron proposerait pour son 
          grand retour derrière la caméra, cet événement 
          cinématographique serait pratiquement condamné à 
          ne pas rencontrer les attentes démesurées des différents 
          spectateurs. Les moyens déployés ici s’avèrent, 
          certes, faramineux et nous devons bien reconnaître que d’un 
          point de vue purement esthétique, le réalisateur canadien 
          remporte son pari haut la main. Car Avatar est bel et bien 
          habité par le même souffle épique ayant fait la 
          renommée des précédents opus de Cameron, tandis 
          que ce dernier se fait un plaisir de renouer avec ses manies et ses 
          thèmes de prédilection qui font depuis longtemps partie 
          intégrante de son imaginaire. On pense, notamment, à la 
          grande force de caractère de ses personnages féminins 
          - représentés cette fois-ci par Zoe Saldana, Michelle 
          Rodriguez et l’incontournable Sigourney Weaver - et à ce 
          traditionnel affrontement entre une force organique et une puissance 
          technologique, comme c’était le cas dans Aliens, 
          Terminator et même Titanic. Le problème, 
          c’est que sur le plan scénaristique, Avatar n’affiche 
          pas la moitié de ses ambitions techniques alors que le cinéaste 
          ne semble jamais vouloir s’aventurer au-delà de sa zone 
          de confort, nous livrant une fable écologique qui, malgré 
          ses bonnes intentions, ne se contente que de suivre un parcours dramatique 
          tout ce qu’il y a de plus convenu. Évidemment, les parallèles 
          avec la situation actuelle au Moyen-Orient demeurent inévitables, 
          tout comme ceux avec le sort réservé aux Amérindiens 
          durant la conquête de l’Ouest, lesquels nous ramènent 
          directement ici à la légende de Pocahontas et au fameux 
          Dances with Wolves de Kevin Costner. Mais la façon dont 
          Cameron intègre certains codes du western à son récit 
          tout en faisant écho à une forme d’art émergente 
          témoigne tout de même des talents d’un raconteur 
          qui, à défaut d’être aussi novateur, semble 
          toujours en pleine possession de ses moyens. 
          
          « You are not in Kansas anymore », lancera un colonel 
          impitoyable (Stephen Lang) à ses nouvelles recrues. Un clin d’oeil 
          assez peu subtil au célèbre Wizard of Oz de Victor 
          Fleming qui illustre en soi parfaitement le contexte d’une histoire 
          dans laquelle s’affrontent un univers fantastique vibrant de couleurs 
          et une réalité terrienne décrite comme morne et 
          sans vie. Ce nouvel environnement nous est d’ailleurs présenté 
          au départ comme un monde de rêves, voire même comme 
          un espace carrément virtuel. Il faut dire que par ses paysages 
          féériques et son abondance de créatures plus étranges 
          les unes que les autres, Pandora a déjà beaucoup plus 
          de points en commun avec l’univers d’un jeu vidéo 
          que celui d’une oeuvre cinématographique, du moins de mémoire 
          récente. Un concept qui est d’autant plus appuyé 
          par le fait que les principaux personnages doivent se connecter à 
          un réseau afin de pouvoir prendre le contrôle d’un 
          autre corps - d'où le titre du présent exercice - et ainsi 
          quitter leur réalité pour s’immiscer à l’intérieur 
          d’une autre beaucoup plus excitante. Le tout mènera d’ailleurs 
          à une séquence particulièrement cocasse, et surtout 
          des plus révélatrices, dans laquelle une Sigourney Weaver 
          extrêmement maternelle forcera le personnage de Sam Worthington 
          à prendre son petit déjeuner avant de retourner « 
          jouer ». L’initiative trouve également sa pertinence 
          dans la façon dont Cameron orchestre cette immersion par le biais 
          d’une série d’objectifs ayant pour but de faire progresser 
          l’avatar du personnage principal. C’est d’ailleurs 
          par le biais de cette progression narrative que le réalisateur 
          justifie le plus la durée excessive de son film qui, malgré 
          ses deux heures et demie, demeure fort captivant du début à 
          la fin. Ce déploiement aussi minutieux que patient confèrera 
          du coup une valeur autrement plus significative à une dernière 
          séquence de guerre déjà tout ce qu’il y a 
          de plus spectaculaire. 
          
          Ce triomphe de la fantaisie comporte toutefois son lot d’ambiguïtés, 
          à commencer par la façon dont il tente de faire l’apologie 
          du divertissement vidéoludique qui s’avère ici souvent 
          hasardeuse, et même profondément pessimiste. En particulier 
          dans un contexte où ce genre d’échappatoires - de 
          plus en plus populaires - au quotidien ont déjà favorisé 
          le développement de nouveaux comportements sociaux pour le moins 
          inquiétants. Ainsi, outre le désir évident du principal 
          protagoniste de retrouver sa liberté de mouvement, celui-ci finira 
          également par afficher une volonté de se dissocier complètement 
          d’une race humaine vouée à l’échec 
          dans le but de se joindre à ce monde exotique de façon 
          permanente. Autrement, cette soi-disant révolution cinématographique 
          finit par prendre beaucoup trop les allures d’une simple peinture 
          à numéro pour réellement mettre en valeur ses nombreux 
          atouts technologiques. La qualité de la mise en scène 
          dans Avatar demeure, certes, indéniable, tandis que 
          chaque séquence d’aventure s’avère toujours 
          des plus enlevantes - grâce au montage remarquablement fluide 
          de Cameron et son équipe, et à la sensationnelle direction 
          photo de Mauro Fiore. Néanmoins, le présent effort ne 
          se contente que de suivre à la lettre une formule déjà 
          abondamment répétée depuis dix ans en nous amenant 
          à la rencontre de personnages on ne peut plus unidimensionnels 
          tout en nous faisant suivre un parcours narratif dont chaque revirement 
          s’avère des plus prévisibles. Cameron nous offre 
          tout de même en bout de ligne un spectacle diablement efficace, 
          et peut-être le document le plus pertinent jusqu’à 
          maintenant pour justifier l’émergence des nouvelles technologies 
          3-D au cinéma. Il ne reste plus qu’à savoir si Avatar 
          réussira à s’imposer à long terme dans un 
          registre de science-fiction comptant déjà plusieurs oeuvres 
          autrement plus significatives du cinéaste canadien. Mais ça, 
          c’est une tout autre histoire… 
         
          
        
        Version française : 
Avatar
        Scénario : 
James Cameron
        Distribution : 
Sam Worthington, Sigourney Weaver, Joel Moore, 
        Zoe Saldana
        Durée : 
162 minutes
        Origine : 
États-Unis
        
        Publiée le : 
21 Décembre 2009