AMORES PERROS (2000)
Alejandro Gonzalez Iñàrritu

Par Frédéric Rochefort-Allie

Avouons-le, on ne sait que trop peu de choses du cinéma hispanophone, et pourtant, il est présentement en plein essor, proposant des projets des plus intéressants. Une véritable explosion culturelle! Preuve en est, le réalisateur Alejandro Gonzalez Iñarritu s'est rapidement vu ouvrir les portes d'Hollywood, avec 21 Grams, à peine trois ans après son oeuvre la plus accomplie, Amores Perros. Il ne lui suffit que d'un seul film pour marquer à jamais le cinéma des années 2000.

Amours Chiennes, de sa traduction la plus littérale, lie trois histoires totalement différentes par un terrible accident qui affectera la vie de chacun. La première nous présentant un vieux clochard criminel qui tente de renouer avec sa fille, la seconde un mannequin qui vit en pleine version canine de The Fall of the House of Usher puis la dernière, où un jeune paumé décide de participer à des batailles de chien pour aider la femme de son frère, dont il est amoureux, et partir avec elle loin de son quartier minable.

Amores Perros n'aurait pu être qu'un vulgaire prétexte pour joindre trois courts-métrages. De toute façon, voilà quelques personnages qui n'ont rien en commun, excepté leur destruction. Mais pourtant, le scénario est si brillamment écrit que son auteur, Guillermo Arriaga, ne raconte qu'une seule tragédie, où l'amour se fait blessant, cru et dans l'absence totale de rationalité. Un récit qui touche directement au coeur car il est criant de vérité et qu'il traite d'amours à double tranchants. Love's a bitch comme l'indique le titre anglais, et si l'amour est le sujet le plus surexploité, Arriaga le traite avec un réalisme plutôt loin des amours idéalisés par Hollywood.

Dans un même état d'esprit, le cinéaste Alejandro Gonzalez Iñarritu ne s'est jamais prétendu être un réalisateur, au contraire, il affirme qu'il n'est qu'un homme qui fait son cinéma. Transportant sa caméra sur épaule et la concentrant sur l'essentiel et l'authentique, il aura réalisé un film des plus viscéraux des dernières années. La caméra se fait témoin de la vie de ses personnages, remplaçant par son instabilité et son rythme frénétique notre regard sur eux. Toute l'attention est portée sur les protagonistes et leurs émotions, tout en accordant beaucoup d'importance aux chiens de l'univers du film, car la race canine en domine une grande partie. D'ailleurs, si vous y jetez un regard assez attentif, vous remarquerez qu'ils sont à l'image de leur maitre.

À défaut d'être pour la plupart de purs inconnus, le seul cas d'exception étant le désormais célèbre Gael Garcia Bernal, les acteurs donnent la pleine mesure de leur talent, étant tous aussi sensationnels les uns que les autres. Le fait que leur visage ne soit pas du tout familier leur ajoute beaucoup de crédibilité. Notamment chez l'acteur Emilio Echevarria, qui incarne brillamment cet ermite, ami des chiens, déchiré par une grande douleur et par sa solitude. C'est une performance grandiose, la plus extraordinaire du film, douée d'une grande sensibilité. Il est tout simplement regrettable que l'acteur ne puisse pas avoir eu une plus grande reconnaissance car il aurait mérité à juste titre la même popularité que Bernal, qui lui est devenu depuis le chouchou de tout projet nécessitant un Sud-Américain.

Bref, ne tarissant pas d'éloges, Amores Perros est un véritable classique en devenir de ce nouveau millénaire, le film phare d'une nouvelle vague du sud de l'Amérique qui vient nous faire l'effet d'un coup de poing en pleine gueule, et qui entend bien ne pas se faire étouffer. Iñarritu peut se montrer modeste, mais Amores Perros est l'oeuvre d'un génie inspiré, un film que l'on voit que trop rarement en une décennie. Pas surprenant que les projets des films de BMW et de 21 Grams se sont si rapidement enchainés. Ceux qui se rebuteront à l'idée d'écouter un film mexicain par crainte de subir un supplice lourd et emmerdant, manqueront une belle occasion de découvrir du grand cinéma et une oeuvre incontournable à voir au moins une fois dans sa vie.