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AMERICAN RADICAL: THE TRIALS OF NORMAN FINKELSTEIN (2009)
David Ridgen
Nicolas Rossier

Par Alexandre Fontaine Rousseau

Les lieux communs du documentaire engagé ont été si souvent visités au cours des dernières années qu'ils sont devenus des espaces cinématographiques conventionnés, donc d'une certaine manière à réinventer. Conférences dans des universités, manifestations, émissions de radio où se débattent les idées en jeu: American Radical: The Trials of Norman Finkelstein les réitère tous sans réellement s'attarder à la manière de les mettre en scène. Le sujet, ici, prime définitivement sur la forme - banale et un tantinet manipulatrice sans pour autant être animée par de mauvaises intentions. Mais en fixant sa caméra sur un sujet aussi pertinent que Norman Finkelstein, on peut s'assurer de tourner un reportage du tonnerre à défaut de faire du grand documentaire. Car en s'intéressant à cette figure pour le moins controversée, les cinéastes David Rigden et Nicolas Rossier arrivent à mettre en évidence à l'échelle humaine toute la complexité d'un conflit socio-politique et militaire qui, relégué au régime réducteur de l'information continue, semble avoir perdu son sens et sa substance pour devenir un motif dans la tapisserie de l'horreur globale déployée par les médias conventionnels. Finkelstein, universitaire d'origine juive (il s'avoue lui-même athée) dont les parents survécurent aux camps de la mort, est en effet l'un des plus fervents opposants à l'occupation israélienne de la Palestine: une position qui lui a valu le mépris d'une bonne partie de la communauté juive, qui voit en lui un cas classique de « self-hating jew ».

Force est d'admettre qu'en osant des titres comme The Holocaust Industry, Finkelstein n'y va pas de main morte pour dénoncer ce qu'il considère une exploitation éhontée de la souffrance de son peuple et du concept d'antisémitisme. Conférencier impitoyable, il n'épargne personne et s'insurge violemment contre les « larmes de crocodile » qu'on verse sous prétexte d'être offensé par ce qu'il affirme. Son ton est sévère, catégorique, sans appel. Sa colère est viscérale - et la main invisible du documentaire s'assure qu'elle sera contagieuse. Car, bien qu'il s'assure de présenter l'autre face de la médaille, American Radical se range sans hésitation du côté de son principal protagoniste; et tout contre-argument y est au fond présenté pour renforcer la thèse de Finkelstein, ses adversaires se tirant continuellement dans le pied par la grossièreté de leurs attaques et les contradictions émaillant leur discours. Le tandem Ridgen-Rossier travaille tout de même à partir d'un certain réel qui octroie un net avantage à cette figure de rigueur à la fois morale et académique, dont la dévotion à une cause qu'il considère juste tient à la limite de la pure possession. L'autre question que tente d'approfondir leur documentaire est justement le pourquoi de ce sacrifice continuel. Qu'est-ce qui pousse un homme, qui se dit pourtant sédentaire, à passer sa vie aux quatre coins du globe pour exposer ses idées? À mettre en jeu carrière et vie personnelle au nom de ses principes?

En faisant des recherches sur le milieu familial pour le moins particulier dans lequel a grandit le politologue, puis en allant rencontrer par exemple son frère qui n'a pas hérité du même sentiment d'obligation éthique, les réalisateurs tentent de mieux définir l'humain derrière le militant. Mais cette dimension de l'homme demeure insondable, même des proches tels Noam Chomsky restant vagues lorsque vient le temps d'expliquer le personnage. Finkelstein sera donc jusqu'à la toute fin une énigme, dans une vaste mesure; ce qui n'est pas nécessairement une mauvaise chose, puisque la véritable mission de ce genre de documentaire est d'ordre idéologique. Et, à ce niveau, le discours de Finkelstein retransmit par les cinéastes s'avère d'une clarté indéniable: s'il est tout à fait légitime que les Juifs réclament un territoire, le terrorisme d'état orchestré contre le peuple palestinien par Israël constitue un crime qui mine la crédibilité de son gouvernement. En démontant méthodiquement les déclarations d'auteurs comme Joan Peters et plus récemment Alan Dershowitz, Finkelstein ne s'insurge pas contre Israël mais bien contre l'édification d'une bonne conscience par l'entremise d'une falsification consciente des données historiques objectives. Il ne remplit, au fond, que son devoir d'universitaire appliqué.

« Je l'ai averti. Si tu poursuis dans cette direction, tu vas te mettre dans l'eau chaude, car tu vas révéler que la communauté intellectuelle américaine est constituée d'une bande de fraudeurs. Ils ne vont pas aimer ça, et ils vont te détruire », se remémore Chomsky en pensant aux premiers pas de Finkelstein dans le milieu académique. Peut-être est-ce dans la représentation de cet univers qu'American Radical trouve cette part d'originalité qui lui fait défaut ailleurs. Les institutions d'éducation supérieure deviennent ici un véritable champ de bataille où s'affrontent au nom d'idéologies opposées des individus qui s'investissent corps et âme dans une lutte aux enjeux capitaux. De ce combat, Finkelstein ne sortira d'ailleurs pas indemne; et les prédictions de Chomsky vont s'avérer justes dans la mesure où, malgré sa réputation exemplaire et les protestations de ses élèves, le professeur sera renvoyé en 2007 de l'Université DePaul de Chicago suite aux pressions exercées sur l'administration notamment par Dershowitz. American Radical se termine ainsi sur une note plutôt pessimiste, son Don Quichotte se retrouvant une fois de plus chevalier errant, poursuivant sa lutte envers et contre tous - convaincu du bien-fondé de sa croisade, mais toujours en exil. Il semble que ce soir le sort généralement réservé par la société à ceux dont l'intégrité et l'indignation choque le pouvoir en place. Personnage provoquant, parfois excessif mais d'une authentique pertinence politique et intellectuelle, Finkelstein méritait ce film.




Version française : -
Scénario : David Ridgen, Nicolas Rossier
Distribution : Noam Chomsky, Alan M. Dershowitz, Raul Hilberg, Norman Finkelstein
Durée : 84 minutes
Origine : Canada, États-Unis, Israël, Liban, Palestine

Publiée le : 20 Novembre 2009