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L'AFFAIRE FAREWELL (2009)
Christian Carion

Par Clara Ortiz Marier

Troisième long-métrage réalisé par Christian Carion, L’Affaire Farewell vient confirmer l’intérêt du réalisateur pour les événements et faits historiques. En 2005, Carion nous avait offert Joyeux Noël, film se déroulant pendant la Première Guerre mondiale et s’inspirant de la surprenante et non moins véridique Trêve de Noël de 1914, qui avait vu les soldats français, allemands et britanniques suspendre les hostilités le temps de se souhaiter les bons voeux et de faire honneur à l’esprit de Noël. Carion avait lui-même écrit le scénario, et le fait historique avait, certes, servi de point de départ au film, mais force était de constater que celui-ci n’était après tout qu’une version très romancée et dramatisée de la réalité. Le traitement n’avait pas plu à tout le monde, certains reprochant au cinéaste de dénaturer son sujet au profit d’un sentimentalisme de premier degré. Alors que pouvions-nous espérer de L’Affaire Farewell? L’hommage à Volodia Vetrov, héros historique tombé dans l’oubli, serait-il à la hauteur? Le film parviendrait-il à rendre justice à l’homme qu’il était et au phénomène historique déclenché par son audace? « Une des plus grandes histoires d’espionnage du XXe siècle » nous annonce-t-on en en-tête de l’affiche du film. Rien de moins qu’une citation de Reagan pour donner le ton et promouvoir le film! Reste seulement à voir si le film saura satisfaire les attentes du spectateur. Mais que celui-ci soit bien averti, le film n’est pas une reconstruction fidèle des faits. Si le spectateur féru d’Histoire avait été déçu par Joyeux Noël, il risque de l’être tout autant par ce dernier opus.

Carion prend donc soin de nous aviser dès le début : L’Affaire Farewell est un film inspiré d’événements réels ayant changé le cours de l’Histoire quelques années avant la chute du Mur de Berlin. Mais il s’agit bien d’une adaptation et comme tout film s’inspirant de faits réels, il comporte une part de subjectivité due à l’interprétation des faits en question et la représentation que le réalisateur cherche à en faire. En 1981, le colonel du KGB Sergeï Grigoriev (Emir Kusturica) est amèrement déçu par l’évolution du Parti communiste sous la direction de Brejnev. Résolu à faire changer l’état des choses, Grigoriev entreprend, de sa propre initiative, de transmettre à la DST (Direction de la Surveillance du Territoire) une foule de documents hautement confidentiels concernant les États-Unis. Ces documents révélant quantité d’informations délicates et top secrètes (sécurité nationale, armement et nouvelles technologies, positionnement de satellites, etc.) démontrent de manière dramatique l’étendue et la précision des connaissances du KGB sur son ennemi occidental. Déterminé à dévoiler cette information, Grigoriev entre en contact avec Pierre Froment (Guillaume Canet), simple ingénieur chez la Thomson, qui prendra un peu contre son gré le rôle de complice et d’intermédiaire dans la transmission des précieux documents. Père de famille sans histoire, Froment, en dehors de tout soupçon, s’avère être l’acolyte idéal. Conscient de l’importance de l’information mise en sa possession, Froment accepte d’acheminer le tout à la DST. François Mitterrand, Président de la République française, sera aussitôt mis au fait de cette mystérieuse source moscovite (à qui l'on donnera le nom de code « Farewell ») et se chargera d’exposer la situation au président Reagan. Mais les risques étaient grands pour Grigoriev et Froment qui, au bout du compte, ont mis leurs vies et celles de leurs femmes et enfants en jeu sans bénéficier d’aide ou de protection quelconques.

En considérant les faits, l’époque, le contexte et les conséquences des gestes posés par les deux protagonistes, on ne peut nier que cette histoire soit des plus remarquables. Alors comment expliquer que si peu de gens connaissent l’histoire de Volodia Vetrov (véritable nom du colonel interprété par Kusturica) et que l’impact de ses initiatives soit resté méconnu? Certes, le journaliste Sergeï Kostine aura su immortaliser l’histoire Farewell dans son livre intitulé Bonjour Farewell : la vérité sur la taupe française du KGB, paru en 1997 aux éditions Robert Laffont. Cet ouvrage, fruit de longues recherches et de témoignages recueillis par l’auteur, aura servi de document de référence pour l’écriture du scénario. Mais quelque part entre le fait historique, le livre de Kostine et la réalisation du film, la véritable affaire Farewell s’est tranquillement métamorphosée. Ainsi, en s’intéressant d’un peu plus près à cet événement historique à l’origine du film, on ne peut que remarquer les modifications significatives auxquelles Carion a eu recours pour faire cette histoire sienne. Filtrée par un entrelacement de choix personnels parfois discutables, cette « plus grande histoire d’espionnage du XXe siècle » n’est plus qu’une version incomplète et simplifiée des faits.

Il est vrai qu’un film se doit d’être jugé pour ce qu’il est, et non pour la manière dont il s’éloigne ou se rapproche de l’oeuvre dont il est inspiré, que celle-ci soit fictionnelle ou non. Pourtant, au delà de ce décalage entre le fait historique et l’adaptation cinématographique qu’en a fait le réalisateur, le film de Carion se voit affaibli par plusieurs failles au niveau du récit. Alors que certains éléments nous manquent, d’autres sont peu ou pas expliqués. On omet, entre autres, d’éclaircir la nature de la DST (service de renseignements anciennement chargé du contre espionnage en France) ou de la Thomson (groupe industriel français oeuvrant dans les domaines de la défense, de l’aéronautique et de la sécurité), en assumant peut-être que le spectateur lambda saura de quoi il s’agit. On ne prend pas le temps d’expliquer les voyages de Froment à Paris, ni de mettre en contexte le personnage dans sa vie professionnelle. On comprend mal comment Grigoriev et Froment ont pu être mis en contact et on ne voit pas concrètement en quoi consiste le travail de Grigoriev au KGB. On en vient même à se demander comment il peut avoir accès à autant de documents confidentiels. L’arrière-plan professionnel des deux personnages se trouve si peu développé qu’on ne peut que se rabattre sur le portrait très familial des deux protagonistes principaux : Froment et Grigoriev, présentés comme deux pères de famille, conscient de l’importance de leur mission et soucieux du bien-être de leurs proches.

De plus, les motivations de Grigoriev restent mal développées ; un simple dialogue entre lui et Froment nous laisse comprendre qu’il rêve d’un futur meilleur pour son fils. En cherchant à en connaître plus sur le cas du véritable Vetrov, on découvre son dangereux problème d’alcool et sa colère contre le régime communiste. On apprend aussi que ses réelles motivations n’étaient pas celles d’un homme taciturne et altruiste tel que dépeint par le réalisateur, mais plutôt d’un homme amer et profondément déçu par l’état des choses et l’évolution du parti. Malheureusement, cet aspect de la personnalité de Vertov est effacé du personnage de Grigoriev. Mais pourquoi aseptiser le personnage de Grigoriev et mettre l’accent sur l’indifférence de la CIA quant à son triste sort? Pourquoi chercher à donner cette fausse sobriété au personnage de Grigoriev? Pour en faire un meilleur héros plus facile à endosser? Au bout du compte, Carion aura su s’inspirer d’un fait historique riche et complexe pour finalement en brosser un portrait beaucoup plus lisse et calme, au détriment de la profondeur et de la complexité de ses sujets.

Ainsi, dans son ensemble, L’Affaire Farewell donne l’impression d’un récit dont les visées principales auraient été détournées. Carion aura peut-être trop voulu se concentrer sur le côté humain et humble des personnages, préférant négliger de boucler certaines parties de son récit. Les enjeux sont déplacés ou mal établis. L’accent n’est pas mis sur l’ampleur des conséquences qu’entraînera l’échange d’information proposé par Griegoriev, mais plutôt sur la grandeur d’âme des deux hommes qui ne sont au final rien d’autre que des pions utilisés par les gouvernements de leurs pays. Certains salueront les prestations admirables de Kusturica et Canet ainsi que la sobriété du traitement. Certes, le film est loin d’être une superproduction hollywoodienne. Il n’est pas question ici de scènes de poursuite trépidantes ou de torture explicites, mais la peur, omniprésente, fait son oeuvre dans l’ombre. Mais le film nous donne-t-il vraiment envie de nous intéresser davantage à cette page d’Histoire? Trop en surface, L’Affaire Farewell ne donne malheureusement pas l’impression au spectateur d’être témoin de la plus grande histoire d’espionnage du XXe siècle, mais bien celle de deux hommes coincés dans un engrenage dont on ne nous montre pas les rouages.




Version française : -
Scénario : Christian Carion, Eric Raynaud, Serguei Kostine (livre)
Distribution : Emir Kusturica, Guillaume Canet, Alexandra Maria Lara, Dina Korzun
Durée : 113 minutes
Origine : France

Publiée le : 3 Février 2010