A B C D E F G H I
J K L M N O P Q R
S T U V W X Y Z #
Liste complète



10 - Chef-d'oeuvre
09 - Remarquable
08 - Excellent
07 - Très bien
06 - Bon
05 - Moyen
04 - Faible
03 - Minable
02 - Intolérable
01 - Délicieusement mauvais



Cotes
Décennies
Réalisateurs
Le Cinéma québécois
La Collection Criterion



2005
2006
2007
2008
2009

L'AFFAIRE COCA-COLA (2009)
German Gutiérrez
Carmen Garcia

Par Alexandre Fontaine Rousseau

La nécessité du documentaire militant est fréquemment mise en doute. Ses détracteurs l'accusent de ne servir somme toute à rien, puisqu'il s'adresse à un public gagné d'avance à sa cause, ou pire encore de contribuer malgré les bonnes intentions qui l'animent à ce surplus d'informations congestionnant la conscience contemporaine. Mais, à sa défense, une bonne partie de l'appareil journalistique traditionnel semble avoir depuis belle lurette abandonné sa mission première d'informer le public; et l'information, par la diffusion ininterrompue qu'en orchestre la sphère médiatique, devient par sa présentation même un concept abrutissant qui « emporte » le spectateur dans son courant. Le cinéma se distingue de cette tendance ne serait-ce que par la présence d'un début et d'une fin, par le recul que permet le rythme même de sa diffusion et les conditions de sa production. Inévitablement décalé, le film crée l'événement et impose son temps. Le documentaire militant, bien plus qu'une arme servant à conscientiser les foules, est à concevoir en tant qu'espace de réflexion - interruption dans le débit d'informations, il isole un élément qui, présenté autrement, se serait perdu dans le flux. Le cinéma cerne, sélectionne et construit là où la télévision inonde et égare l'essentiel dans un océan d'aléatoire. Le film devient alors le témoignage d'un investissement personnel, la mise en scène d'une recherche de longue haleine et d'un combat sur le terrain.

Qui a tiré sur mon frère? l'avait prouvé en 2005: German Gutiérrez a le courage d'aller au front avec sa caméra et son cinéma est assoiffé de justice sociale. L'affaire Coca-Cola en constitue en quelque sorte la suite, le cinéaste retournant sur le champ de bataille de son long-métrage précédent - avec lequel il est plus que familier puisqu'il s'agit de sa Colombie natale - pour soulever cette fois le tragique bilan humanitaire d'un pays où plus de quatre mille syndicalistes auraient été exécutés par des organisations paramilitaires depuis 1986. Employant à titre d'exemple les actions de la multinationale Coca-Cola, Gutiérrez et Carmen Garcia suivent le déroulement de procédures judiciaires intentées aux États-Unis par les ouvriers d'une usine d'embouteillage colombienne. Ce faisant, les documentaristes dénichent en la personne de l'avocat Daniel Kovalik un parfait protagoniste autour duquel centrer leur plaidoyer. Sa candeur dicte un rythme au film, lui insuffle un élan que les cinéastes n'ont pour leur part aucune misère à suivre. Comme ce personnage, ils s'investiront corps et âme, caméra au poing, en filmant le combat. On compte sur les doigts de la main les fautes de leur mise en scène, qu'on sent parfois préparée pour une éventuelle télédiffusion: les intertitres détournant l'esthétique publicitaire de la compagnie sont intellectuellement justifiables mais formellement déplaisants, la musique s'impose parfois de manière insistante pour susciter des émotions que l'image provoque déjà. Des failles somme toute classiques, qui reposent plus sur une certaine manière de mettre en marché le documentaire de nos jours que sur des choix personnels de Gutiérrez et Garcia.

Le but de l'opération étant de rejoindre un nombre maximum de gens, on pardonnera aux auteurs ces quelques concessions qui ne nuisent somme toute en rien à la pertinence de leur film - dont le propos même demeure pour sa part essentiel. Articulant en parallèle un résumé de la situation en Colombie et un exposé clarifiant les enjeux juridiques de ce qui deviendra une véritable guerre légale, l'introduction définit clairement le problème et sa solution et instaure par le fait même une tension dramatique palpable qu'entretiendra habilement la suite des choses. L'affaire Coca-Cola construit à partir du réel un authentique suspense, un thriller politique bien ficelé dont la dimension documentaire ne fait qu'accentuer l'impact idéologique. On pourrait, certes, critiquer cette stratégie, avancer qu'il s'agit d'une « exploitation » formelle du réel à des fins narratives; mais la fibre morale irréprochable du tandem Gutiérrez-Garcia place le film au-dessus de tout soupçon. Leur caméra généreuse donne la parole aux employés des usines et aux représentants syndicaux muselés, tandis que leur film offre à leur cause une tribune internationale. Leur cinéma s'investit dans le réel au même titre que les individus qu'il suit. Les cinéastes s'engagent eux-mêmes là où d'autres se contentent de filmer l'engagement; et c'est en ce sens que leur film, plus qu'un simple témoignage du militantisme, devient une forme probante de militantisme cinématographique.

Comme le souligne Kovalik, les compagnies telles que Coca-Cola vendent d'abord une image. Dévoilant les pratiques inacceptables que tente de cacher la multinationale, le documentaire de Gutiérrez et Garcia espère surtout ouvrir une brèche dans cette image créée à coup de centaines de millions de dollars par année - et par cet exemple pris parmi tant d'autres exposer l'absence totale de conscience d'un ordre économique mondial fondé sur la toute-puissante logique du profit. Reprenant les mots de Martin Luther King, l'activiste Ray Rogers déclare lors d'une manifestation: « injustice anywhere is a threat to justice everywhere. » L'affaire Coca-Cola se veut un cri de ralliement autour de cette idée, un exemple de cette solidarité internationale dont il est non seulement le reflet mais l'aile cinématographique. Il propose non seulement une source d'informations alternative, mais une représentation politisée d'un monde dans lequel il ose s'inscrire. En ce sens, les plus beaux moments du film sont ceux où la caméra intervenante semble éveiller une conscience politique chez ses sujets: comme ces deux jeunes livreurs colombiens qui, au contact des cinéastes, semblent pour la première fois oser se révolter et dénoncer à voix haute leurs misérables conditions de travail. Et, à l'issue de cette interminable bataille légale, les syndicalistes colombiens refuseront une importante compensation financière offerte par Coke; leur intégrité n'a pas de prix, et leur cause commune a plus d'importance à leurs yeux que leur bien-être individuel. Voilà le genre de conclusions que n'ose pas souvent tirer un bulletin d'informations télévisé.




Version française : -
Scénario : Carmen Garcia
Distribution : -
Durée : 86 minutes
Origine : Québec

Publiée le : 25 Novembre 2009