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AACHI & SSIPAK (2006)
Jo Boem-Jin

Par Alexandre Fontaine Rousseau

Le divertissement audiovisuel n'est pas qu'une industrie lucrative. C'est une affaire de performance. Son rythme accélère et son volume augmente au fur et à mesure que se développe l'accoutumance d'un public en quête de sensations toujours plus fortes. À quoi ressemblera le cinéma d'action de l'avenir? Le décoiffant film d'animation coréen Aachi & Ssipak offre peut-être une partie de la réponse à cette interrogation, tant il semble avoir été arraché à un univers complètement différent du nôtre. À partir d'une intrigue cyberpunk sommaire et franchement stupide, les studios d'animation J-Team ont concocté une pure décharge d'énergie qui repousse des limites dans l'art d'abrutir les sens. Incroyablement violent et totalement amoral, Aachi & Ssipak est une agression synaptique en règle qui gave la rétine et bombarde les oreilles en leur refusant toute forme de répit. S'apparentant au manège plus qu'au cinéma à proprement parler, cette course folle procure un impact physique direct au spectateur; autant vous dire qu'il faut vivre l'expérience en salle, complètement englobé par le flot incessant d'images, pour saisir son incroyable force de frappe.

Nous sommes dans un futur indéterminé, à mi-chemin entre le totalitarisme et l'apocalypse. Frappée par une grave crise énergétique, l'humanité carbure maintenant aux excréments recyclés. Afin d'encourager la population à produire énormément, le régime a instauré un système de gestion de la défécation - une puce informatique dans l'anus - qui récompense le prolétaire dévoué en lui attribuant pour chaque visite concluante au petit coin une friandise bleue, la « Juicybar », qui crée chez lui une terrible dépendance. Nos deux antihéros Aachi et Ssipak, deux brigands de médiocre envergure, arpentent cet univers déchu en récoltant sur leur passage toutes les Juicybars qu'ils sont en mesure de subtiliser. Au gré de leurs tribulations, ils croiseront Beautiful, une jeune actrice maîtrisant parfaitement son sphincter et dont l'arrière-train a été trafiqué afin de récolter la précieuse substance avec un maximum d'efficacité. La compagnie de cette mine d'or sur pattes rend les voyous riches, mais attire rapidement l'attention des autorités et d'un gang de camés kamikazes bleutés esclaves de leur compulsion envers la drogue d'État. Vous suivez?

Peu importe puisque, de toute façon, le film de Jo Boem-Jin n'est qu'un feu roulant de séquences d'action enchaînées à un rythme frénétique, articulé sans grand souci narratif autour de cette prémisse scatologique à souhait. Seules comptent les vertus épileptiques du spectacle surexcité déployé par un androïde policier, assemblé à partir de cadavres charcutés mais directement inspiré de Robocop, qui multiplie les pirouettes en mitraillant des hordes sans fin de junkies sauvages, eux-mêmes résultant du croisement à la sauce cocaïne entre un Schtroumpf et un Blue Meanie de Yellow Submarine. Chaque gag se conclut par l'explosion juteuse et expéditive d'une cervelle ou deux, le montage bondissant avant même que le sang ait cessé de gicler vers une scène de trip psychédélique complètement déjantée. Il n'y a pour ainsi dire aucune pause durant les quatre-vingt dix minutes que dure le film, une bande son tonitruante et techniquement impeccable se précipitant à la rescousse au moindre signe de relâchement.

Confronté à ce délire vulgaire et tapageur, l'esprit défaillit presque automatiquement pour embrasser sans aucune arrière-pensée cette formidable vacuité surchargée. L'expérience est totale, brutale et épuisante: une montagne russe sensationnelle, de laquelle le spectateur sort étourdi et saturé. Malheureusement, l'univers éclaté proposé par Aachi & Ssipak n'est jamais exploité à un autre niveau plus subtil. L'humour puéril et vaguement sexiste ne verse jamais du côté de la critique sociale, même si les travers de cette civilisation débauchée se prêteraient bien d'emblée à ce petit jeu. Au-delà d'un dessin au style unique et dynamique, le film n'a aucune personnalité à proprement parler; c'est un collage de références creuses à d'autres oeuvres, un recyclage haut en couleur mais faible en substance des archétypes cyberpunk, privé de toute résonance profonde.

Ainsi, malgré son aspect immédiatement trépidant et l'enthousiasme momentané qu'il provoque, le film de Jo Boem-Jin s'avère tout à fait jetable après usage. Aachi & Ssipak n'offre aucune justification à sa vulgarité sans bornes, et sa violence - aussi grisante soit-elle - devient vite lassante. Il est impossible de survivre longtemps en se contentant d'une diète à base de crack et de jujubes, dangereux cocktail qui expose ici la probante démonstration de ses ravages dévastateurs sur un esprit humain souffrant d'un grave déficit d'attention. MTV a acheté les droits de distribution pour une future série télévisée inspirée des exploits des deux malfrats, parfaits baromètres du public visé par cette entreprise adolescente. Malheureusement, l'imaginaire de ses créateurs n'a jamais dépassé le stade anal.




Version française : -
Version originale : Achi-wa Ssipak
Scénario : Jeong Hye-Won
Distribution : Ryoo Seung-Beom, Im Chang-Jung, Hyun Young, Shin Hae-Chul
Durée : 90 minutes
Origine : Corée du Sud

Publiée le : 11 Juillet 2007