WOCHE DER KRITIK : Les 10 ans de la Semaine de la critique de Berlin
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Yellowknife (2002)
Rodrigue Jean

Dérive à double tranchant

Par Clara Ortiz Marier

Prendre la route et tout laisser derrière. Partir pour fuir le quotidien et foncer vers l’inconnu, le but du voyage n’étant pas ce qui se trouve au bout du chemin mais plutôt toutes les heures passées sur la route. Le mythe du road trip, synonyme de liberté et de découvertes, reste toujours aussi attrayant même plus de cinquante ans après la parution du célèbre roman On the Road de Jack Kerouac. Bien que ce genre de projet puisse relever du domaine du divertissement pour certains, il arrive que le road trip prenne des allures de chemin de croix pour d’autres. Ainsi, c’est un peu par nécessité que Max (Sébastien Huberdeau) se rend un jour à l’hôpital psychiatrique où est internée Linda (Hélène Florent), dans le but de l’aider à s’échapper et de l’emporter avec lui sur la route. Fatigué de la voir en jaquette d’hôpital et sous médication, Max élabore un plan pour leur nouvelle vie. Sans la consulter, il décide qu’ils partiront pour Yellowknife, ce bout du monde canadien où ils pourront, selon lui, repartir à neuf et s’installer pour ne plus jamais revenir à leur ancienne vie. Max, convaincu du bien-fondé de son projet, l’impose à Linda qui n’avait rien demandé, mais qui le suit malgré tout, un peu à contrecœur. 

Quelque part sur la route vers Yellowknife, Max et Linda vont rencontrer divers personnages inusités : deux danseurs érotiques jumeaux, une chanteuse de cabaret déchue, son compagnon/agent/chauffeur aux fortes tendances lubriques et un policier aux intentions questionnables. L’instant de quelques jours, leurs chemins se croiseront et le destin de Max et Linda s’entremêlera avec celui des autres protagonistes. Ce qui se présentait d’abord comme une quête de renouveau se transforme vite en récit de l’errance et c’est avec un malaise accru que l’on constate au fil du récit à quel point ces personnages, à prime à bord très différents, se ressemblent tous un peu. Lorsque Linda parle des jumeaux et dit à Max qu’ils sont fous, celui-ci lui répond calmement qu’ils ont « juste l’air un peu perdus ». Étrangement, cette même constatation semble pouvoir s’appliquer à tous les personnages du récit. On se demande ce que chacun cherche chez l’autre. Peut-être simplement quelque chose qui leur permettrait de combler le vide qui les habite. Chacun se mire dans l’autre comme l’on regarde dans un miroir, en cherchant un alter ego, une inspiration, un coupable, ou un exutoire. Ce vide à combler se ressent d’ailleurs aussi dans la mise en scène plutôt dépouillée ainsi que les dialogues parcimonieux et concis. Alors que les silences et les non-dits viennent de pair avec l’errance et le dépaysement, les paroles des chansons de Marlène la chanteuse sont étrangement plus éloquentes que les dialogues échangés par les personnages eux‑mêmes. 

Ainsi, plus le récit avance et plus les relations entre les divers protagonistes deviennent ambiguës. Le lien entre Max et Linda demeure d’ailleurs nébuleux pendant une bonne partie du récit. Le film commence sans qu’il n’y ait vraiment de mise en contexte. On assume que Max et Linda forment un couple, mais le développement de l’histoire laisse ensuite sous‑entendre qu’ils sont en fait frère et sœur, cette relation incestueuse rajoutant à l’étrangeté de la situation. Presque constamment en état de conflit, Max et Linda sont comme deux aimants qui se repoussent et se retrouvent pour ensuite mieux se déchirer. Alors que Linda au tout début du film semble avoir besoin de Max pour s’arracher à l’hôpital et retrouver un semblant de vie normale, le récit évolue et nous permet de mieux saisir le lien qui les unis. On comprend que Max a tout aussi besoin de Linda, qu’elle-même a besoin de lui. Perdus et à la dérive, les deux personnages trouvent chez l’un l’autre quelque chose à quoi s’accrocher, un attachement qui peut être rassurant tout comme il peut être malsain et étouffant. 

Alors que Max refuse de démordre de son objectif, Linda va et vient d’un personnage à un autre, elle-même en quête de quelque chose, peut-être une raison qui justifierait sa présence, son existence, ou simplement une nouvelle piste sur laquelle se lancer. Car Linda n’a pas choisi Yellowknife, et même en atteignant leur destination, le plan élaboré par Max se morcellera inévitablement. La quête qui devait les mener vers la terre promise les placera finalement dans une situation impossible où le bonheur imaginé par Max ne pourra se réaliser. Même à Yellowknife, la vie reste la même. L’environnement est différent mais la situation ne change pas. Le projet de nouveau départ et de vie nouvelle s’affaisse comme un château de carte. L’esprit du road trip et la quête de liberté quittent définitivement Max dont les horizons se ferment insidieusement au fur et à mesure que le voyage évolue. Arrivé au bout du chemin, c’est l’impasse et le piège se referme tranquillement sur Max. Linda rejette le faux happy ending élaboré par son frère et décide de poursuivre son propre chemin. Dans ce road movie où le mal-être et la solitude des protagonistes se répondent et se côtoient, chacun cherche sa propre route. Alors que certains tournent en rond où se dirigent aveuglément vers un cul-de-sac, d’autres tentent d’amorcer leur propre voyage ou s’accrochent, à défaut de mieux, à qui veut bien les prendre. 

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Critique publiée le 26 septembre 2009.