WOCHE DER KRITIK : Les 10 ans de la Semaine de la critique de Berlin
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Uninvited, The (2009)
Charles Guard et Thomas Guard

Les soeurs soupçonnent

Par Laurence H. Collin

Il ne s’agit pas d'un scoop : en à peine six ans, le cinéma d’épouvante asiatique aura subi un véritable pillage de ses tablettes. Si les exécutifs cravatés se sont réjouis des reprises américanisées de Ringu et Ju-On pour leurs relatifs succès critiques mais surtout de leur box-office explosif (ainsi que celui de leurs suites), force est de constater par les accueils au mieux mitigés des plus récentes moutures du genre (Mirrors, Shutter, The Eye) que le public n’a plus grand temps et argent à consacrer aux mêmes récits fantomatiques. Conséquemment, cette relecture du Janghwa, Hongryeon (ici A Tale of Two Sisters) qui avait subjugué tout le public coréen en 2003, est la toute dernière en stock à Hollywood pour quelques temps, puisque aucune autre adaptation semblable n’est actuellement en production. Considérer les fautes et mérites de The Uninvited peut donc sembler être une procédure plus qu’inutile considérant que le projet est d‘abord et avant tout une entreprise commerciale. Or, bien que celles-ci n’effacent pas son insignifiance flagrante, il serait tout de même notable de souligner les qualités de ce qui est probablement la reprise la plus concluante dans le genre depuis le Dark Water de Walter Salles.

Après avoir passé plusieurs mois dans un hôpital psychiatrique suite au décès de sa mère (Maya Massar) dans un accident, Anna Ivers (Emily Browning) retourne chez elle vivre avec son père (David Strathairn) et sa grande soeur (Arielle Kebbel). Elle se retrouve cependant contrariée de constater que Rachel (Elizabeth Banks), l’infirmière qui s’occupait de sa mère quand cette dernière était malade, a maintenant emménagé avec eux. Une fois réinstallée dans sa demeure, Anna se retrouve en proie à d’horrifiantes visions, la plupart pointant vers le passé trouble de Rachel, l’accusant carrément de meurtre. Elle entreprendra donc de découvrir si celle-ci est réellement qui elle prétend être afin de sauver sa vie et celle de sa soeur…

Si les grandes lignes du scénario semblent ne pas trop s’éloigner de celui du modèle coréen, force est de constater que cette version a bien évidemment été nettoyée de la plupart de son ambiguïté thématique. Alors que Janghwa, Hongryeon évoquait aussi la difficulté d’accepter un beau-père ou une belle-mère dans une famille rongée par une tragédie quelconque, l’angoisse était installée avec une subtilité narrative qu’on peine à retrouver dans cet homologue américain. The Uninvited fait ainsi jouer le caractère rigide et contrôlant de Rachel comme présage d’une menace distincte, faisant platement basculer le récit vers les codes du thriller aussitôt que possible. Bien qu'assez routinière, la montée dramatique (découverte sordide après découverte sordide) génère tout de même un climat soutenu, pas particulièrement angoissant mais sans véritable temps mort. Étonnamment, l’ensemble fait preuve d’une patience scénaristique assez inusitée considérant la tendance des productions semblables à se précipiter sur les sursauts, les éclairages sombres et les coupures saccadées. Les scènes « d’horreur » à proprement parler prennent du recul par rapport au récit, laissant les personnages et leurs motivations respirer davantage. Ce choix judicieux (et qui, en y pensant, est sur la même longueur d’onde que l’original) a le mérite de tout simplement ne pas rendre le produit fini irritant lors de son visionnement, aussi impersonnel que puisse sembler le résultat final.

La mise en scène des frères Guard, vétérans de la publicité qui en sont à leur première réalisation cinématographique, n’est cependant qu’une coche au-dessus du « fonctionnel ». Janghwa, Hongryeon adoptait parfois une tonalité plus poétique (l’atmosphère ténébreuse qui trônait sous le toit de la famille était sublimement inquiétante) ; The Uninvited se contente d’une caméra aux accents moins glauques et à des cadrages peu expressifs. Certaines de leurs compositions visuelles captent toutefois bien une perte d’innocence (les visions cauchemardesques s’intègrent d’ailleurs bien dans l’univers diégétique du film), et il ne va pas sans dire que l’imagerie n’est pas occasionnellement inspirée, mais nous sommes bien loin d’une facture visuelle rappelant un conte de fées tordu. Tout aussi banals sont les dialogues, loin d’être faux mais certainement soporifiques et farcis d’évidences. Cette paresse d’écriture dans les échanges (spécialement en ce qui a trait au danger potentiel que représente la belle-mère) vient quelque peu atténuer un suspense néanmoins installé avec compétence. Lorsque le film culmine sur sa finale « choc » (un moment puissant mais pourtant tout en retenue dans la version précédente), le coup de théâtre est certes efficace, mais narrativement plus paresseux en bout de ligne.

Si l’ensemble, malgré ses facilités, se laisse regarder sans véritable déplaisir, c’est en grande partie grâce aux performances senties de la distribution. À commencer par la jeune australienne Emily Browning, dont le dernier rôle au grand écran était la cadette des orphelins Baudelaire dans Lemony Snicket’s A Series of Unfortunate Events. Canalisant une inquiétude constante, Browning offre un jeu plus subtil que les autres adolescentes en péril qui font normalement tête d’affiche dans les essais du genre. Son intensité sereine s’accorde bien avec le tempérament revêche de sa soeur, interprétée de façon tout aussi convaincante par Arielle Kebbel. Si le grand David Strathairn n’a guère l’occasion de démontrer toute son habileté à habiter des personnages rongés par l’angoisse, il trouve en Elizabeth Banks une partenaire de jeu impressionnante. Cette dernière s’étant établi un penchant pour la comédie (on a pu la voir plus récemment aux côtés de Seth Rogen dans Zack and Miri Make a Porno et en tant que Laura Bush dans le W. d’Oliver Stone), voilà maintenant qu’elle fait preuve d’une fougue remarquable dans un rôle d’une ambivalence frissonnante.

On pourra donc trouver un divertissement de qualité acceptable dans The Uninvited, oeuvre s’adressant bien évidemment à un public assez jeune en recherche d’une bonne frousse. Oiseux au possible mais néanmoins exécuté adroitement, on a déjà vu bien pire en ce qui a trait aux « remakes » du cinéma d’épouvante asiatique. Ce contraste n’est pas suffisant pour donner une utilité thématique au premier film des frères Guard, mais le savoir-faire de son exécution est déjà une particularité bien rare parmi les productions du sous-genre que The Uninvited rejoint.

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Critique publiée le 20 mai 2009.