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Battle Beyond the Stars (1980)
Jimmy T. Murakami

Les truffes de Roger Corman

Par Mathieu Li-Goyette
Le Blue Sunshine, haut lieu de rencontre psychotronique où ce film et bien d'autres ont été projetés au cours des deux dernières années, vient tout juste de fermer ses portes. C'est donc bien la moindre des choses que ce texte lui soit dédié.

Des centaines de films produits par Roger Corman, certaines joyeuses improbabilités se sont concrétisées, dont Battle Beyond the Stars est sans contredit l'une des plus glorieuses. Réalisé par un ex-détenu de camp de contingentement américain pour les citoyens d'origine japonaise (qui allait devenir un petit maître du dessin animé), transporté par les John Saxon, Richard Thomas, Robert Vaughn, George Peppard et Sybil Danning (une équipe d'incontournables de la série B à l'échelle internationale), doté d'une trame sonore signée James Horner, d'effets spéciaux issus du génie primitif de James Cameron (alors Jim Cameron) et scénarisé par John Sayles lui-même, Battle Beyond the Stars est une bizarrerie innommable, un trou noir de bon sens dont le récit, aussi mince soit-il, se base à la fois sur Star Wars, The Magnificent Seven et Les sept samouraïs d'Akira Kurosawa. Pour couronner le tout, la planète menacée par de vils bandits de l'espace porte le nom d'Akir et ses habitants ont comme gentilé « Akira ». Voilà assez de données absurdes pour résumer l'une des équations les plus jouissives du cinéphage mangeur de nanars, un pur produit d'une ère ou faire du cinéma de série B, c'était souvent se réunir, se donner des salaires et apprendre ce qu'on ne savait pas encore faire.

Ainsi, « l'école Corman », telle que de nombreux artisans du milieu l'ont appelée (dont les noms célèbres de Bogdanovich, Nicholson, Scorsese et autres n'ont rien fait pour redorer sa qualité - le pire des films de ce dernier ne pouvant être que Boxcar Bertha), fascine toujours parce qu'elle base sa créativité sur une recherche des contraires et une volonté de faire le plus de profits avec les plus petits budgets possibles; demandant à des gens compétents ce qu'ils ne savaient pas faire, Corman conservait d'eux le capital publicitaire de leur renommée tout en s'épargnant les coûts prélevés à leur fortuite incompétence de circonstance. C'était donc l'occasion pour les nouveaux techniciens hollywoodiens de parfaire leur savoir auprès de maîtres de leur profession. C'était le moment, pour James Cameron, de tester des effets qu'il allait réutiliser par la suite, de rencontrer la productrice qu'il s'apprêtait à marier et avec qui il mettrait en scène son Terminator quelques années plus tard. Nid bouillant de créativité, la fascination de Battle Beyond the Stars comme d'un peu tous les Corman des années 70 et 80 (qui, faute d'avoir des scénarios d'une finesse minimale, se retrouvent dans une grande catégorie homogène de films mal faits, mais tout de même drôles par leur manque de finition) se rejoignent dans cet assemblage d'éléments qui n'auraient jamais dû se croiser.

Pour qu'une telle prouesse minable puisse provoquer un fou rire continu, il faut évidemment que l'hommage soit si fidèle que l'on ne pourrait voir en lui qu'une pâle copie bâclée fière d'être une copie. La cohésion du film reposant grandement sur nos souvenirs de ceux de Kurosawa ou de Sturges, Battle Beyond the Stars n'est pas un film en soi, à peine un récit tellement la discontinuité règne, tellement Corman et ses condisciples prennent un plaisir dérangé, dirait-on, à regarder le sable s'infiltrer dans l'engrenage rouillé qu'ils achetèrent à rabais; Sayles, scénariste de génie, n'a visiblement fait preuve d'allégresse qu'à reprendre des moments phares du jidai-geki classique (la mort du samouraï maître d'armes, la première visite des bandits, la défense du village et les joutes verbales visant à convaincre les mercenaires de se joindre à une bataille suicidaire) pour les inverser et les croiser avec le western dont il était à la fois tributaire (Kurosawa ayant puisé une grande part de son art chez Ford) et totalement responsable (le crépusculaire et le spaghetti des années 60 lui devront toute leur modernité). À mi-chemin entre deux genres et deux nations (jusqu'à ce fameux cinéaste Murakami qui, disait-on, était un Japonais américanisé à coups de camps), Battle Beyond the Stars a sa part de cohérence frôlant l'idiotie qui l'exclut des films imbuvables - l'agencement des genres est ici logique comme l'est le discours convaincu du savant fou.

Il y a, entendons-nous, un certain alignement de planètes qui s'opère, une accumulation de surprises se conjuguant entre elles sans trop de raison, sinon leur cohabitation dans un film lui-même décousu. Ne comptant sur aucun vaisseau spatial digne de ce nom, voguant d'un système solaire à l'autre sans aucune mise en contexte stellaire des lieux, Battle Beyond the Stars - comme bien des Corman - est plus une structure squelettique qu'un récit. C'est ce qui rend son écoute si pénible qu'elle en est hilarante. C'est ce qui métamorphose par la force d'inertie de sa prémisse ne lui appartenant pas, chacune de ses scènes un morceau d'anthologie psychotronique se suffisant en soi comme la meilleure succession de sketchs en est capable. C'est là la définition d'un film de spectateurs, d'une oeuvre dépassant (ou plutôt, s'en éloignant tellement qu'il s'en disqualifie) les critères communs du bon goût et du bon sens. Non pas la faute du carton-pâte ou des lasers trop lumineux, c'est cette constante joute de codes, cette accumulation de rencontres forcées qui annihilent le western et la science-fiction d'un seul et unique geste maladroit, qui rend le Robert Vaughn cowboy complètement risible depuis qu'il a incarné le Robert Vaughn pilote d'astronef. Nous rappelant le mariage symbolique que représentait la série télévisée Firefly, Battle Beyond the Stars n'imagine pas un instant avoir recours à une intelligence de la sorte. L'idée même de « symbole » lui est étrangère, car lui-même, entouré de cette aura d'impossible, est symbole.

Symbole de la niaiserie millionnaire de Roger Corman, de ce talent gaspillé, détruit, mais aussi de ces nouveaux espoirs qui allaient naître des cendres de la médiocrité. Son visionnement fait partie des exercices les plus paradoxaux qui soient, c'est-à-dire la recherche d'une qualité à l'état embryonnaire là où nous nous voyons baignés dans la nullité. C'est peut-être que le cinéphile, content d'adorer ses idoles, prends plaisir à savoir qu'elles ont commencé au bas de l'échelle, se délecte de les observer travailler mal, composer sans originalité et incarner sans conviction. C'est que le nanar, rencontre entre la légende cinématographique et son humanité citoyenne et travailleuse, est le lieu de l'adoration, de la dévotion qui sépare les vrais des impies, les connaisseurs des débutants et qui, par-delà ses attributs humoristiques incontrôlables, est l'histoire du contre-cinéma par excellence, le négatif inconnu (donc toujours à explorer, à découvrir et à s'en vanter) d'un cinéma répertoire, hégémonique et dont l'emprise consensuelle donne à Roger Corman, plus que son importance rassembleuse, sa nécessité métaphysique - faire le mauvais pour permettre le bon.
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Critique publiée le 17 mai 2012.