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Dérapages (2012)
Paul Arcand

Excès de morale

Par Jean-François Vandeuren
Ce qui était déjà plus qu’apparent dans les deux premiers documentaires de Paul Arcand, et maintenant avec le présent Dérapages, c’est que l’animateur vedette désire utiliser le septième art dans le but de sensibiliser la population à d’importants problèmes de société dont souffre actuellement le Québec et ainsi faire évoluer les mentalités pour le mieux. Nous ne pouvons évidemment remettre en question le bien-fondé de pareilles intentions. Mais Arcand devrait néanmoins envisager de s’éloigner davantage du processus de création en laissant la chaise du réalisateur à quelqu’un de plus familier avec la tâche que cela implique, et surtout en s’entourant de collaborateurs un peu plus habiles et inventifs, en particulier au niveau du montage. Car une fois de plus, la facture esthétique de la présente entreprise a tendance à manquer cruellement de finesse, empêchant bien souvent celle-ci de renforcer sa propre légitimité, voire d’être réellement prise au sérieux. Dérapages se noie ainsi sous une pléthore d’effets de style ratés que nous avons l’habitude de retrouver dans les reportages les plus sensationnalistes, créant un certain malaise lorsque nous devons les associer à un nom évoquant ordinairement « rigueur » et « professionnalisme ». Bref, après les enfants victimes d’abus et les revers de notre système de santé, Arcand s’attaque ici au sujet chaud du danger potentiel que représentent certains jeunes automobilistes alors que la témérité, le manque d’expérience, la vitesse et l’alcool forment trop souvent un cocktail explosif, et surtout mortel. Dérapages arrive d’autant plus à un moment où les institutions cherchent désespérément des solutions à cette problématique, l’idée de faire passer l’âge minimal pour l’obtention du permis de conduire de 16 à 18 et même 20 ans étant d’ailleurs de moins en moins exclue.

Les méthodes souvent criardes et manipulatrices privilégiées par Arcand nous feront d’ailleurs grincer des dents dès cette séquence d’ouverture au cours de laquelle se succéderont de la pire façon imaginable images de jeunes gens complètement saouls déambulant à la sortie des bars, séquences de vitesse sur la route (en accéléré) et extraits de jeux vidéo. Le tout au rythme d’une musique de club et des cris poussés par ces jeunes gens « incohérents et irresponsables ». Le discours de Dérapages se déploiera ensuite par l’entremise de divers cas d’accidents dans lesquels la vitesse était en cause, ceux-ci ayant causé la mort et/ou de graves blessures (pour les plus chanceux). Ces topos seront entremêlés des témoignages des victimes d’accidents et de leurs proches, des commentaires recueillis par le réalisateur lors de ses virées nocturnes avec les agents de la paix et des impressions du coureur automobile Jacques Villeneuve sur la façon dont une voiture se comporte sur la route lorsque soumise à une vitesse excessive. Selon les personnes interrogées, ce serait une recherche d’adrénaline doublée d’un sentiment d’invincibilité leur faisant croire que le pire ne peut arriver qu’aux autres qui pousserait ces conducteurs novices à défier continuellement le code de la sécurité routière. Un comportement que ces derniers adoptent en étant pleinement conscient des risques qu’ils courent alors qu’aucune tragédie ne semble être capable de mettre un frein à une telle quête d’émotions fortes. Un constat pour le moins désolant qui soulève évidemment bien des questions, notamment en ce qui a trait au danger que représentent ces automobilistes inexpérimentés pour eux-mêmes comme le reste de la population. Le problème, c’est qu’Arcand présente trop souvent ses arguments comme des généralités en ne s’intéressant qu’à un côté de la médaille.

Dérapages finira évidemment par comparer la situation actuelle à celle d’un passé pas si lointain où le port de la ceinture de sécurité n’était pas obligatoire et les automobilistes pouvaient circuler librement sur les routes avec une bière entre les jambes. La présente génération se sera certainement sentie limitée devant toutes les libertés dont auront joui les baby-boomers et toutes les restrictions ayant fini par en découler - là où d’autres verront un simple passage obligé vers le gros bons sens. Malgré un manque flagrant d’objectivité, le réalisateur propose néanmoins quelques élans atteignant la cible d’une manière étonnamment foudroyante, en particulier en ce qui a trait à l’exposition des conséquences souvent tragiques que peut entraîner une telle imprudence. L’exemple le plus marquant à cet effet demeure cette longue séquence nous introduisant à un homme de vingt-quatre ans ayant été impliqué dans un accident alors qu’il était passager. Ce dernier aura subi sur le coup un sérieux traumatisme crânien tandis que ses fonctions motrices auront été passablement affectées, lui qui est désormais condamné à vivre dans un centre pour personnes âgés, et ses parents à puiser dans leurs moindres ressources pour continuer de prendre soin de leur fils. Dérapages soulève ainsi plusieurs questions essentielles, mais par l’entremise d’une démarche ayant beaucoup trop tendance à orienter l’auditoire vers des réponses déjà formulées. Le tout en passant par une facture esthétique manquant terriblement de naturel, formée de séquences de reconstitution mal orchestrées, d’un montage déficient, de stratagèmes visuels risibles (on pense à cette scène où des photos en très basse résolution de certaines victimes de la route apparaîtront à l’écran avant de former la carte du territoire québécois) et de pièces musicales mélodramatiques au possible.

Comme ses intervenant le souligneront à répétition à un certain moment, Arcand soulèvera que les nombreuses campagnes de sensibilisation mises sur pied au fil des ans par la Société d’Assurance Automobile du Québec (SAAQ) n’ont en soi aucun effet sur le comportement des jeunes au volant, même si celles-ci présentent des images de plus en plus violentes. Ironiquement, le même constat peut être dressé au final à l’égard de ce document s’entêtant à employer des méthodes n’ayant jamais réussi à prouver leur effectivité et une démarche artistique ne faisant que créer une barrière supplémentaire entre le discours et les personnes interpellées. Le documentariste devrait à l’avenir accorder une attention particulière à l’édification d’une approche beaucoup plus sobre et posée, et surtout plus travaillée, plutôt que de concocter des montages nous donnant l’impression de visionner la bande-annonce du film que nous sommes en train de regarder et de faire voler son titre en éclats. Le réalisateur devrait du même coup ne plus tenter continuellement d’enfoncer son message au fond de la gorge de son public en présentant des images parfois assez louches, tel ce moment où un jeune homme sera assis dans son fauteuil roulant devant une fenêtre donnant sur une autoroute, la caméra effectuant alors un changement de focus tendant vers une diabolisation systématique de la route. La principale lacune de Dérapages est ainsi de ne se contenter que de dénoncer là où le projet aurait également dû prêcher par l’exemple, n’offrant à cet effet aucun témoignage de bonne conduite de ces jeunes automobilistes (si ce n’est que suite à un accident ayant impliqué leurs proches), eux qui sont présentés unilatéralement ici comme des ivrognes, des individus irresponsables ou des junkies de vitesse.
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Critique publiée le 26 avril 2012.