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Party's Over, The (1965)
Guy Hamilton

Les leçons de la mort

Par Alexandre Fontaine Rousseau
Lorsque The Party's Over débute, la fête bat encore son plein. Le doux parfum de la débauche flotte dans l'air, la caméra survolant avec désinvolture la scène, passant d'un convive à l'autre jusqu'à ce qu'elle se pose sur un jeune Oliver Reed - qui, en deux minutes à peine, établit avec une arrogante assurance le charismatique nihilisme du personnage qu'il incarne ici. Pour Moise et sa bande, la vie n'est encore qu'une plaisanterie sans importance : leur liberté insouciante s'avère dépourvue de sens et, aux petites heures du matin, ces rebelles sans cause errent encore dans les rues de Londres, resplendissants de lassitude et d'indifférence. Élégamment déchus, magnifiés par la mise en scène de Guy Hamilton, ils semblent pour un instant planer au-dessus du réel, le surplomber; mais la gravité du monde va vite les rattraper, conférant un sens cruel au titre prémonitoire du film tourné en 1963.

Hamilton, cinéaste anglais principalement reconnu pour avoir signé de nombreux James Bond, dont le mythique Goldfinger, délaisse ici l'univers de l'espionnage international pour s'intéresser à un autre thème en vogue dans les années 60, soit celui des excès de la jeunesse. Or, bien que l'affiche de The Party's Over laisse présager un traitement sensationnaliste du sujet en question, le film s'avère dans les faits étonnamment sensible, traitant ses personnages avec respect et faisant preuve d'un surprenant sens de la nuance au moment de poser un jugement d'ordre moral sur les scabreux événements qu'il relate. Si The Party's Over fut jugé scandaleux à sa sortie, à un point tel qu'il fut retenu pour une période d'un an et demi par les censeurs britanniques avant d'être enfin distribué dans une version drastiquement altérée et amputée de 18 minutes, c'est en rétrospective parce que son propos n'est justement pas réactionnaire ou réducteur - le film refusant de condamner ou de punir ses protagonistes de manière expéditive.

Plutôt que de jouer à la police des moeurs, Hamilton et le scénariste Marc Behm (responsable, notamment, du fameux Help! des Beatles et de l'excellent Charade de Stanley Donen) livrent en effet un portrait honnête, empreint d'empathie, des tourments de cette jeunesse beatnik « en perdition ». Lorsqu'un Américain un brin coincé débarque dans le paysage pour récupérer sa fiancée Melina, tombée sous le charme de la vie de bohème, le film s'amuse un moment à ses dépens en compagnie de Moise et des siens. Puis, volte-face, l'homme d'affaires en herbe s'entiche de l'une des filles de la bande et, du jour au lendemain, décide de foutre en l'air carrière et ambitions au nom de l'amour véritable. Il faut croire qu'ils ne sont pas si méchants que cela, ces vilains beatniks.

Mais la tragédie viendra vite détourner notre attention de cette coquette amourette lorsqu'une petite fête bien ordinaire deviendra le théâtre d'un drame digne de la une d'un tabloïd. Alors qu'elle est sous l'effet de la drogue, Melina effectue une chute du haut d'une mezzanine. Les convives, croyant qu'elle s'est évanouie, s'amusent à la dénuder, trimbalant son corps pour simuler un cortège funèbre sans comprendre que leur amie est réellement morte. Moise, qui a pour sa part tout vu, tentera tant bien que mal de préserver l'innocence de ses camarades en dissimulant l'horreur de la situation - une suite d'événements qu'Hamilton et Behm nous dévoileront progressivement, employant pour ce faire une structure narrative rappelant vaguement le Rashomon de Kurosawa. Pour raconter l'inavouable, seul l'équivoque est approprié.

Le fait de retracer au passé l'accident et d'en révéler les détails par l'entremise d'une série de récits subjectifs biaisés a pour effet de nous en distancier, en tant que spectateur, mais surtout de relayer la troublante confusion l'entourant. Car ce péché collectif constitue sans l'ombre d'un doute un point de non-retour pour le groupe et plus particulièrement pour Moise, qui comprend immédiatement qu'une limite vient d'être franchie. Gagnant dès lors en complexité, cette figure d'autorité devenue chancelante, minée par le doute, fascinera jusqu'à la toute fin du film par son ambiguïté. Qu'elles soient ou non « justes », ses actions mettent en lumière l'état de profonde incertitude dans lequel il se trouve - lui qui désire assumer ses responsabilités sans trop savoir comment s'y prendre pour le faire. Elles trahissent une certaine immaturité en même temps qu'elles exposent sa volonté de « bien » agir, même dans les pires circonstances possibles.

Voilà pourquoi le film, qui, de prime abord, pourrait sembler ne pas s'inscrire dans la tradition du « coming of age », s'avère au final un éloquent exemple du genre. The Party's Over est un récit initiatique où la mort provoque une prise de conscience, catapultant notre héros de l'âge de l'indifférence à l'âge adulte. Car le décès de Melina, seul être qu'aimait Moise d'un amour pur (parce qu'elle, en retour, ne l'aimait pas), le force à renoncer à ce cynisme qui lui permettait d'exister en retrait du monde, à l'abri des conséquences et de l'investissement personnel. Le jeune homme doit renoncer à la fuite, solution facile devenue impossible à la lumière de cette tragédie. Mais c'est aussi son rapport aux autres qui sera irrémédiablement affecté par cette expérience, comme le démontre cette scène où, après un moment d'hésitation, Moise décide qu'il vaut mieux ne pas révéler au père de Melinda les circonstances entourant la mort de sa fille.

Par son désir de résoudre tous les conflits qu'il esquisse, The Party's Over fait preuve d'un certain classicisme qui jure avec son sujet. Malgré ses audaces et sa vivacité trahissant l'influence d'une certaine Nouvelle Vague, la caméra de Guy Hamilton demeure externe, étrangère : elle filme cette jeunesse de manière quasi anthropologique, s'immisce chez elle pour l'observer. Mais le film arrive, malgré ce petit côté forcé, cette facture fabriquée, à paraître « authentique ». C'est à Oliver Reed que revient une bonne part du crédit : sa prestation passionnée, tour à tour exaltée et mesurée, annonce déjà les sommets qu'il atteindra sous la tutelle de Ken Russell, dans The Devils et Women in Love notamment. Ne serait-ce que pour cette performance, digne de l'adjectif « culte », The Party's Over mérite d'être découvert - après quelques décennies passées à croupir dans les limbes du septième art.
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Critique publiée le 26 mars 2012.