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D2: The Mighty Ducks (1994)
Sam Weisman

Quand le canard fait de l'ombre à l'aigle

Par Jean-François Vandeuren
En 1993, la Ligue Nationale de Hockey entamait sa troisième vague d’expansion en autant d’années en intégrant une seconde franchise à l’état de la Floride - réalisant ainsi le vieux rêve de Reggie Dunlop deux fois plutôt qu’une - en plus de permettre au géant Disney et à ses Mighty Ducks de s’installer à Anaheim. Afin de faire la promotion de ce sport habituellement synonyme de températures hivernales sous les chauds rayons du soleil californien (où évoluaient déjà les Sharks de San Jose et les Kings de Los Angeles), l’empire du divertissement familial approcha l’homme de télévision Sam Weisman et réengagea le scénariste Steven Brill pour la création d’un second opus mettant en vedette Gordon Bombay (Emilio Estevez) et son équipe de jeunes prodiges originaires du Minnesota. Question de faire grimper les enjeux, celle-ci sera invitée cette fois-ci à représenter le pays de l’Oncle Sam lors d’une compétition internationale de niveau junior devant avoir lieu dans la Cité des anges (tiens donc). Quelques talents venus d’un peu partout aux États-Unis - l'emploi des stéréotypes culturels d’usage nous aidera certainement à associer un joueur à sa région d’origine - joindront alors les rangs de la formation, eux dont les grandes habiletés viendront inévitablement avec quelques faiblesses sur lesquelles ils seront appelés à travailler. Ce deuxième épisode ne s’éloigne évidemment pas de la formule établie par le précédent alors que nous aurons droit ici à notre part de séquences pratiquement identiques tandis que nos valeureux Canards se retrouveront de nouveau dans la position de sous-estimés face à la puissante équipe islandaise (!), dont l’uniforme bleu et noir rappellera instantanément celui des Hawks, elle qui sera d’autant plus dirigée par un entraîneur aux méthodes et aux motivations assez suspectes.

D2: The Mighty Ducks prendra évidemment beaucoup plus les traits d’une vaste opération de marketing que ceux d’une production cinématographique à proprement parler. Et la meilleure façon de convaincre la population de la qualité et de la popularité d’un produit est assurément de lui faire croire que tout le monde y porte déjà un très grand intérêt. Ainsi, dans l’univers de Brill et Weisman, le hockey est l’activité que pratiquent les jeunes habitant le quartier South Central à Los Angeles, tandis que de vieilles femmes riches magasinant dans les boutiques les plus chics de Beverly Hills n’ont aucune difficulté à reconnaître les dignes représentants d’une équipe junior d’un sport auquel la plupart des Américains n’accordaient à l’époque - et même encore aujourd’hui - qu'un intérêt plutôt limité. Inutile de dire que tout au long de ce deuxième volet, le scénariste ne se gênera pas pour repousser les limites de la vraisemblance, au point où son récit semblera bien souvent se dérouler dans un monde parallèle. On pense, entre autres, à cette idée qu’un grand fabriquant d’équipement sportif puisse choisir un entraîneur de niveau pee-wee comme porte-parole, lui faisant signer un contrat des plus lucratifs en plus de mettre une luxueuse demeure à sa disposition durant son séjour en sol californien. Des concepts dont Brill questionnera, certes, la pertinence par l’entremise de ses dialogues, comme s’il était parfaitement conscient de leur insignifiance, alors que celui évoqué ci-haut ne sera au final qu’un prétexte assez peu inventif devant permettre à Bombay de se hisser de nouveau parmi la haute société. Une ascension qui lui fera évidemment perdre son vestiaire et qui le poussera vers la même prise de conscience à laquelle il était parvenu deux ans plus tôt.

Les choses ne seront guère plus reluisantes du côté des scènes de jeu qui, aussi incroyable que cela puisse paraître, parviendront à repousser les limites du ridicule établies par le premier long métrage. Il faut dire que la démarche visuelle de Weisman n’est ici d’aucune aide, le réalisateur positionnant trop souvent sa caméra à la hauteur de la patinoire au cours de ces séquences, qu’un montage on ne peut plus chaotique aura d’autant plus truffées d’un nombre incalculable d’erreurs de continuité. En plus d’un usage abusif des ralentis pour accentuer l’effet dramatique, Weisman cherchera également à générer du suspense là où il serait normalement impossible d’en créer (ce long silence avant de savoir si la gardienne aura réussi à faire l’arrêt contre un des tirs de barrage les moins menaçants de l’histoire). Sans compter que les joueurs sembleront trop souvent être envoyés dans la mêlée comme s’il s’agissait de leur première, voire unique, présence de la rencontre. Les tentatives de jeu les plus insensées comme les bouffonneries les plus risibles défileront à l’écran à un rythme tout aussi effarant, nous donnant à peine le temps de finir de nous secouer la tête en désespoir de cause entre chaque cabotinage. Le tout se déroulera une fois de plus dans un contexte où l’argent et les riches seront systématiquement diabolisés. Il faudra d’ailleurs une joute amicale dans la cour d’école d’un quartier peu nanti pour que les Ducks retrouvent enfin leur essence et puissent de nouveau faire face à l’adversité. Dans ces circonstances, ce sont étonnamment les acteurs les plus expérimentés qui offrent les prestations les plus qu’inégales, tandis que les plus jeunes, nous devons bien le reconnaître, incarnent ce groupe de personnalités pour le moins disparates avec toute l’énergie et la candeur désirées.

Steven Brill aura également profité de ce contexte de championnat mondial pour enrober son récit d’une épaisse couche de patriotisme typiquement américain, qu’il alimentera du début à la fin par l’entremise d’images d’un goût douteux et d’une rare arrogance. La formation de Gordon Bombay devra d’une part affronter celles de pays n’étant aucunement reconnus pour leur force dans cette discipline, tels l’Italie, l’Allemagne et Trinité-et-Tobago, alors que sa principale menace sera une nation qui, deux ans auparavant, n’avait même pas de programme de hockey à l’échelle nationale. Et s’il aura fallu un certain culot pour montrer le joueur canadien Wayne Gretzky en train de saluer les exploits de l’équipe des États-Unis, le comble du ridicule surgira néanmoins lors de cette troisième période de la grande finale, qui sera évidemment disputée dans le tout nouveau Arrowhead Pond d’Anaheim, durant laquelle l’équipe hôte ne portera plus les couleurs de son pays, mais plutôt celle de la toute nouvelle marque de l’une de ses plus importantes corporations. Une nation que le présent effort aura beau fait de comparer à cette jeune équipe d’adolescents dont l’identité demeure encore à forger. Le tout en usant parallèlement de rouages tout aussi grossiers pour faire passer un discours, qui, lui, est loin d’être idiot, sur la fierté personnelle, l’importance de l’esprit d’équipe et de demeurer droit en ne répliquant pas aux gestes disgracieux d’un adversaire en ayant recours aux mêmes méthodes. Contrairement au film précédent, le duo permettra cette fois-ci à ses antagonistes de tirer le même genre de leçons que ses héros. Un changement de mentalité qui sera adéquatement souligné lors de la bonne vieille poignée de main protocolaire. Dommage qu’il ne s’agisse du seul endroit où la série aura su montrer un quelconque signe d’évolution.
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Critique publiée le 21 février 2012.