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Marécages (2011)
Guy Édoin

Profils paysans

Par Nicolas Krief
Un film qui se cherche, comme un adolescent qui se cherche, qui se questionne, mais qui, au fond, ne trouvera aucune réponse concrète. Cette âpre impression habite le spectateur sortant d’une projection du premier long métrage de Guy Édoin. De ses deux heures de ténèbres au fond de la campagne québécoise, ce film présenté à la Mostra de Venise ne satisfait pas autant que ce qu’il promet. Avec sa trilogie de courts métrages Les affluents, le jeune cinéaste annonçait déjà ses couleurs : cadrages finement étudiés, images léchées, symbolisme balourd et références omniprésentes. Ces qualificatifs valent aussi pour Marécages, mais sont en désaccord tant avec le discours qu’avec la tentative de cinéma social qu’Édoin veut proposer. Et c’est là que le film rate toutes les cibles qu’il vise en même temps. On en sort à moitié satisfait et peu convaincu.

Bien que l’on puisse y voir les balbutiements d’un grand esthète en devenir, ce premier opus ne semble pas être capable de choisir son angle d’attaque. De toute évidence très autobiographiques, les mésaventures tragico-surréalistes de Simon, fils de Marie et Jean, partent d’une idée de cinéma social pour finir dans un bordel se voulant plus chaotique que poétique. Le trio travaille d’arrachepied pour faire survivre leur terre. Simon est visiblement malheureux dans ce milieu où son avenir semble déjà écrit. Après la mort accidentelle de Jean, Marie et Simon se retrouvent devant une multitude de démons à affronter. Pierre, interprété par François Papineau, personnage le plus intéressant du film, vient réanimer ces vieux démons. Sortant de nulle part et n’ayant aucun lien évident avec d’autres personnages, Pierre est plus une idée qu’un personnage en tant que tel, cette représentation d’un type de démon (sa barbe lui donnant un look vilain de bande dessinée codifié) simplement venu pour foutre la merde. En prenant en charge Marie, Simon et leur terre sans aucune raison apparente tout en se montrant le plus mystérieux possible, il donne à l'histoire sa dose d'étrangeté. Pierre amène avec lui une véritable audace qui est trop peu présente et semble taillée sur mesure pour l’approche formelle d’Édoin, mais il est l’unique incarnation du peu de folie que contient le film.

Guy Édoin réussit, grâce à un plan de grue plutôt simple, à semer une piste intéressante quant à son rapport à la nature et à la campagne d’où il vient. Ce plan, qui ouvre le film, montre Pascale Bussière nue, se dirigeant vers des marécages pour s’y baigner. Profitant d’un très bel éclairage qui semble naturel, cette image annonce le film conceptuel auquel nous aurions dû avoir droit pendant deux heures. Mais après son titre d’ouverture, l’auteur se colle à la chronique sociale sans vraiment y croire. Scindé en deux parties clairement identifiées, l’une sert d’introduction à l’autre, mais la seconde ne justifie pas l’existence de la première. Je m’explique : le film tangue entre le portait d’agriculteurs au bout du rouleau, épuisés, vidés par un métier de plus en plus ingrat, et un récit initiatique et symbolique aux personnages conceptuels. Alors que la maman devient putain, le complexe d’Oedipe resurgit pour ajouter aux ambiguïtés qui entourent Simon. La première demi-heure jure donc avec le reste du film. Elle semble si loin du reste, comme une entrave au bon fonctionnement d’une oeuvre qui aurait été nettement plus éclatée. Qui plus est, la présence d’acteurs très (trop) connus n’aide pas à la crédibilité du segment. Plutôt que de voir des agriculteurs à l’ouvrage, on voit Pascale Bussière et Luc Picard essayer d’avoir l’air d’agriculteurs en détresse.

Pour le reste, c’est un peu une simple accumulation d’images chocs bien filmées, auxquelles on adhère ou pas, mais sans rien de vraiment transcendant qui puisse en ressortir. On aurait souhaité de la poésie visuelle, du lyrisme et, bien entendu, un peu d’équilibre dans ce fouillis symbolique. Se voulant proche d’un cinéma de la nature, Édoin n’hésite pas à citer quelques grands film mettant en scène la cohabitation de l’homme et de son environnement. Le film prend bien soin de nous montrer son plan Brokeback Mountain, son plan There Will Be Blood, ainsi qu’une myriade de plans Terrence Malick (on note un certain abus des hautes herbes). Mais en accumulant ces hommages et en ne composant que de « beaux plans », on dirait qu’Édoin oublie de faire parler ses images et elles deviennent, au final, vides.

On regrette donc que Marécage n’ait pas exploité à fond toutes les idées que véhicule la première image du film. On aurait voulu plus de cette oeuvre qui semblait si prometteuse. Édoin s’aventure sur le terrain du portrait paysan (déjà magnifiquement amené par d’autres comme Raymond Depardon), mais la perfection esthétique qu’il essaie d’atteindre n’engendre aucun discours concret ni aucun propos précis. L’exode des agriculteurs vers les milieux urbains, et surtout la transmission des terres aux enfants ne sont que des idées effleurées à l’intérieur du récit. La vie moderne, troisième partie de la trilogie Profils paysans de Depardon, et chef-d’oeuvre à ses heures, venait illustrer avec une immense justesse toutes ces thématiques et profitait des images légendaires de son auteur. Malgré tout, Édoin parvient à faire ressentir toute l’affection qu’il a pour ces lieux qui l’ont vu grandir; par quelques plans plein de tendresse, et surtout grâce aux petits extraits de chansons bien de chez nous, on s’éloigne du cynisme et du mépris que subissent ces endroits ruraux pour mieux apprécier leurs multiples charmes. Le jeune cinéma québécois fourmille déjà de filmeurs et d'esthètes, mais peu d'entre eux semblent intéressés à raconter.
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Critique publiée le 1er décembre 2011.