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30 Minutes or Less (2011)
Ruben Fleischer

La loi du moindre effort

Par Jean-François Vandeuren
Contre toute attente, Ruben Fleischer sera parvenu à faire son entrée dans le cirque hollywoodien en passant par la grande porte grâce à un Zombieland auquel le public et la critique auront réservé un accueil on ne peut plus enthousiaste, quoique légèrement excessif. Histoire d’un succès instantané et amplement mérité, l’opus de 2009 surfait avec une énergie contagieuse sur la plus récente vague de films de zombies et de récits post-apocalyptiques en lui conférant un ton beaucoup plus léger et humoristique comme avait su le faire, dans une tout autre mesure, le brillant Shaun of the Dead d’Edgar Wright. Il faut dire que le réalisateur avait pu compter pour l’occasion sur un groupe de comédiens qui avaient tous bien voulu se prêter au jeu avec un plaisir évident, nous réservant même à cet effet l’un des caméos les plus mémorables de la petite histoire du cinéma populaire. Le temps était venu à présent pour Fleischer de franchir l’étape du second long métrage. 30 Minutes or Less était également l’occasion pour l’Américain de porter à l’écran les écrits d’un autre nouveau venu, Michael Diliberti, et de retravailler avec l’acteur Jesse Eisenberg, dont la carrière aura connu une progression fulgurante au cours de la dernière année - le présent exercice ne manquant pas de lui rappeler sa participation au remarquable The Social Network de David Fincher par l’entremise d’un clin d’oeil bien placé. Moins « sophistiqué » ou inspiré que Zombieland, il ressort malgré tout de 30 Minutes or Less un divertissement gras livré sans prétention, voire sans ambitions, qui, malgré plusieurs failles pouvant difficilement être ignorées, saura ravir un certain auditoire parmi cette masse de jeunes adultes de plus en plus courtisés par les comédies américaines.

Vous savez comment c’est : un soir vous livrez paisiblement de la pizza, et le lendemain matin vous vous réveillez au milieu d’un terrain industriel, une bombe attachée autour du haut de votre corps. C’est à ce moment que deux individus déguisés en singes vous demandent de dévaliser une banque et de leur rapporter la coquette somme de 100 000$, en échange de quoi ils auront la grande amabilité de ne pas vous faire exploser. Le pauvre livreur se retrouvant ici dans cette fâcheuse position, c’est Nick (Eisenberg). Les malfrats, ce sont Dwayne (Danny McBride) et Travis (Nick Swardson), deux hurluberlus au style de vie plutôt singulier ayant décidé de suivre les conseils d’une stripteaseuse et de faire appel aux services d’un tueur à gages pour liquider le père de Dwayne, et ainsi permettre à ce dernier d’hériter d’une fortune évaluée à quelques millions de dollars. Paniqué, Nick se tournera vers son vieil ami Chet (Aziz Ansari), à qui il demandera de l’aider à se sortir de cet enfer en effectuant le braquage avec lui. Ce qui suivra sera une sorte de « buddy movie » dédoublé dans lequel Fleischer et Diliberti souligneront abondamment tout le pathétisme de chacun de leurs personnages de joyeux ratés en multipliant les mises en situation ridicules et les dialogues grossiers à un rythme effarant. Mais si l’on a visiblement privilégié ici la quantité plutôt que la qualité, la grande majorité des instants comiques de 30 Minutes or Less se révèlent néanmoins des plus hilarants. Même que pour un nombre aussi élevé de conneries étalées à l’écran, nous devons bien reconnaître que le duo se tire assez bien d’affaire, à condition évidemment de pouvoir trouver son compte avec ce genre de comédies ordurières n’étant jamais à court de stupidités.

La stratégie adoptée ici est comparable à celle qu’avait employée Edgar Wright pour son fort stimulant Scott Pilgrim vs. the World alors que Fleischer et Diliberti enchaînent eux aussi les gags en suivant une cadence incroyablement soutenue afin d’éliminer tout temps mort des quelques 83 minutes sur lesquelles s’étale leur film. Si le duo n’affiche, certes, en aucun cas la créativité débordante dont avait su faire preuve le cinéaste britannique, il parvient néanmoins à diluer son lot imposant d’obscénités dans une quantité suffisamment substantielle de concepts humoristiques. Le cinéaste américain présente d’autant plus un sens assez aiguisé au niveau du rythme et de la livraison, lui qui aura pu s’entourer une fois de plus des interprètes idéaux pour l’accompagner dans son délire. Ainsi, tandis que Jesse Eisenberg joue de nouveau les types un peu coincé avec qui le spectateur sera appelé à s’identifier, Danny McBride et Aziz Ansari (que nous retrouvons enfin dans un rôle un peu plus substantiel au grand écran), alimente la veine comique de l’effort en déployant le style volontairement bête ou vulgaire et candide ayant fait leurs renommées respectives. L’humour de 30 Minutes or Less se déploie du coup sous la forme de répliques aussi vives que savoureuses débitées par des personnages que nous aurions pu retrouver jadis dans un film de Kevin Smith, mais évoluant dans un cadre cinématographique rappelant davantage celui des Apatow, McKay, Mottola et compagnie. Mais contrairement à plusieurs productions du genre ayant vu le jour au cours des dernières années, Fleischer y va ici d’une démarche plus juvénile et forte en rebondissements, lui permettant d’éviter certaines zones trop confortables, mais pas forcément de proposer de meilleures idées.

Le bon vieux mélange de crime et de comédie proposé par 30 Minutes or Less s’inscrit en soi dans la même lignée que le Pineapple Express de David Gordon Green, le présent exercice nous conviant lui aussi à une finale des plus violentes, sans toutefois chercher à atteindre les mêmes sommets en matière d’effusions de sang et de démembrements que le film de 2008. Le deuxième long métrage de Ruben Fleischer cherche ainsi à toucher à la plupart des domaines de la comédie d’hier comme d’aujourd’hui, donnant autant dans la caricature que dans l’humour à sketch et la comédie de situation tout en proposant sa part de gags simplement physiques ou visuels. Mais là où l’initiative s’avère le plus problématique, c’est justement dans la façon parfois malhabile dont elle tente de joindre ces différentes approches, faisant de 30 Minutes or Less un spectacle qui, en plus d’être incapable de réellement mettre en valeur son intrigue vue la vitesse folle à laquelle elle progresse, présente une trame narrative trop souvent saccadée. Du coup, certaines séquences, aussi efficaces puissent-elles être, sembleront s’insérer dans le récit simplement pour boucher un trou et permettre à l’effort de garder son rythme de croisière. Le film de Ruben Fleischer fonctionne, certes, allègrement comme une enfilade de situations hilarantes faisant tout pour ne jamais laisser le spectateur en reste. Mais même s’il respecte ses promesses à titre de divertissement comique, nous sentons malgré tout que trop d’énergies ont été concentrées ici sur ce simple concept de satisfaction instantanée. De sorte qu’autant Fleischer et Diliberti auront su mettre sur pied une prémisse plutôt originale, autant nous ne pouvons nous empêcher de voir en 30 Minutes or Less une oeuvre diablement efficace en surface, mais n’ayant finalement que très peu à offrir lorsque nous gratons un peu celle-ci.
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Critique publiée le 16 août 2011.