WOCHE DER KRITIK : Les 10 ans de la Semaine de la critique de Berlin
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Whistleblower, The (2011)
Larysa Kondracki

Envers et contre tous

Par Jean-François Vandeuren
The Whistleblower s’amorce sur une séquence de fête au cours de laquelle nous ferons la connaissance des jeunes Raya et Luba, cette dernière faisant alors pression sur sa complice afin que celle-ci respecte des engagements qui leur permettraient d’obtenir un bon emploi dans un hôtel réputé. Hésitante, Raya quittera tout de même les lieux pour retourner à son domicile, où elle devra répondre de ses actes face à sa mère, visiblement inquiète de voir sa fille rentrer aussi tard. Suite à cette brève confrontation, Raya reviendra finalement sur ses pas pour partir comme prévu avec Luba. Au même moment, à Lincoln au Nebraska, l’officière de police Kathryn Bolkovac (Rachel Weisz) cherchera tant bien que mal à obtenir un transfert dans une autre ville afin de pouvoir demeurer près de sa fille, dont son ex-mari a obtenu la garde principale. C’est alors qu’elle se fera proposer de partir travailler en Bosnie-Herzégovine pour le compte d’une firme de sécurité privée faisant affaire avec les Nations Unies pour diverses missions de paix à travers le monde. Un séjour qui lui permettrait d’empocher la rondelette somme de 100 000$ exempt d’impôt pour un an de travail. Une offre qui est évidemment assez difficile à refuser. Une fois sur les lieux, Kathryn découvrira toutefois que plusieurs officiers de sa trempe se sont associés à un corps policier corrompu pour mener leur propre petite opération de trafic humain, réduisant de jeunes filles à l’état d’esclaves sexuelles dans différents bars miteux à travers le pays. C’est à ce moment que nous retrouverons Raya et Luba, pour qui les choses ne se seront visiblement pas déroulées comme prévu, elles qui incarneront ici le visage de cette masse d’adolescentes anonymes que l’on dépouilla de leur identité tout comme de leur humanité.

Basé sur l’affaire bien réelle que Kathryn Bolkovac révéla au grand jour au début des années 2000, le premier long métrage de Larysa Kondracki s’évertue à présenter les nombreux obstacles auxquels l’officière aura été confrontée durant son enquête. À commencer par le nombre pour le moins alarmant d’individus oeuvrant à ses côtés ayant été impliqués de près ou de loin dans ce genre de pratiques tout ce qu’il y a de plus répugnantes qui feront des pieds et des mains pour lui mettre des bâtons dans les roues, eux qui auront pu compter sur cette précieuse immunité politique pour se protéger de toutes accusations criminelles. Les cibles privilégiées par la cinéaste ont évidemment déjà fait couler beaucoup d’encre - et tourner beaucoup de pellicule - au cours des dernières années, en particulier une Organisation des Nations Unies qui semblait souvent avoir oublié sa raison d’être, elle dont nous aurons pu douter fortement de l’utilité au cours des années 90 et qui aura été éclaboussée par une série de scandales tout aussi peu reluisants depuis. Un constat des plus troublants nous laissant croire que les missions humanitaires tournent désormais essentiellement autour des profits qu’elles peuvent engendrer pour certaines multinationales - et, dans ce cas-ci, pour certains agents sur le terrain ayant trouvé eux aussi le moyen de se remplir les poches par l’entremise de combines on ne peut plus abominables. Aider une région dévastée par la guerre à se remettre sur pied semblera ainsi trop souvent secondaire dans The Whistleblower. Kondracki prendra du coup les moyens pour que « son » histoire ne laisse personne indifférent, y allant d’images et de révélations percutantes qu’elle expose d’une manière à la fois très directe tout en laissant au spectateur le soin d’imaginer le pire.

La réalisatrice ne lésine évidemment pas sur les stratagèmes narratifs et les revirements de situation que nous avons l’habitude de retrouver dans ce type d’intrigues. Kathryn sera ainsi confrontée à une machine barbare qui ira de plusieurs tentatives d’intimidation afin de briser son moral et sa détermination, tandis que les alliés de cette dernière désirant aller jusqu’au bout de cette affaire se feront extrêmement rares (nous retrouverons parmi eux les excellents David Strathairn et Vanessa Redgrave, malheureusement sous-utilisés). Kondracki nous transportera bien entendu au coeur d’une série de lieux peu invitants, glauques, décrépis ou carrément insalubres, où l’inhumanité des individus tirant les ficelles d’un tel trafic sera soulignée à gros traits. Le tout combiné au destin tragique d’une Raya dont la peur aura fini par avoir raison de sa volonté de témoigner contre ses exploiteurs. Nous suivrons d’ailleurs parallèlement le parcours de la mère de celle-ci, qui cherchera tant bien que mal à retrouver sa fille et qui découvrira en cours de route que les responsables de sa condition étaient beaucoup plus près d’elle qu’elle aurait pu l’imaginer. Mais si The Whistleblower emprunte un parcours dramatique plutôt convenu dans son ensemble, là où la cinéaste joue particulièrement bien ses cartes, c’est dans la façon dont elle cimente continuellement sa mise en situation d’un suspense des plus enlevants lui permettant de tenir le spectateur en haleine tout en l’impliquant fortement émotionnellement. Un intérêt qui sera évidemment renforcé par l’excellente prestation d’une Rachel Weisz incarnant une femme dont le courage et la force des convictions n’a d’égale que la fragilité. Le tout dans un cadre où nous ressentirons l’étau se resserrer de plus en plus, écrasant les victimes comme les sauveurs potentiels, les ressources sociopolitiques comme les promesses d’espoir.

Il est évidemment assez difficile de ne pas être sympathique à la cause de personnages se retrouvant au coeur d’un nouvel affrontement digne de David et Goliath. The Whistleblower s’inscrit ainsi dans la lignée de récits portant sur l’héroïsme ordinaire rendant hommage à la volonté de fer d’un individu prêt à tout pour venir à bout d’une injustice, et ce, face à un ennemi (politique) souvent aussi imposant qu’impitoyable. L’histoire de personnes ayant dû faire des sacrifices énormes pour arriver à leurs fins et qui auront continué de payer le prix de leurs convictions d’une manière ou d’une autre longtemps après les incidents. On se rappellera à cet effet les récents Green Zone de Paul Greengrass et du beaucoup moins habile Fair Game de Doug Liman, qui traitaient pour leur part de professionnels bafoués par les mensonges ayant justifié l’invasion de l’Irak par les États-Unis. Un courant témoignant, certes, de la gravité d’un problème qui semble s’intensifier avec les années, mais qui ne date pas non plus d’hier. Il sera d’ailleurs difficile dans le cas présent d’entrevoir un dénouement heureux, surtout après tout le mal ayant déjà été causé, tandis que la plupart des fautifs s’en seront tirés sans trop de dégât et que les victimes, elles, n’auront pas tout à fait été libérées de leur calvaire. Cette affaire, comme tant d’autres, ne pourra finalement être résolue que par une dénonciation sur la place publique, laquelle sera rendue possible par cette arme puissante que constituent les médias de masse. Ainsi, si nous pourrons reprocher à la trame narrative du film de Larysa Kondracki son côté répétitif et « déjà-vu », celle-ci révèle néanmoins une réalité inquiétante où ce genre d’histoires issues de conflits pourtant différents ont trop souvent tendance à se suivre et à se ressembler.
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Critique publiée le 12 août 2011.