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Detention (2011)
Joseph Kahn

Génération postquelque chose

Par Laurence H. Collin
« Ce qui nous arrive semble tout droit sorti d’un mauvais film d’horreur! » N’y a-t-il pas meilleure répartie pour résumer ce tournant emprunté par le film de genre durant les années 90? Son élément de comparaison pourrait être remplacé par « télésérie » ou encore « comédie adolescente », la réplique paraîtrait tout aussi typique. On se rappellera donc de cette époque où, afin d’accrocher un auditoire déjà très conscient des codes du slasher ou du « high school movie », les scénaristes à la barre de projets au potentiel populaire élevé choisirent une approche délibérément autoréflexive. L’une des formes les plus connues de la recette se manifesta en Scream, triomphe commercial basé sur un scénario de Kevin Williamson alors baptisé « Scary Movie ». Étalant tous les clichés de sa tranche tout en y adhérant rigoureusement, le film instaure donc un certain principe d’autodérision qui deviendra absolument inévitable au cours des années suivantes.

Plus de dix ans ont défilé depuis cet excédent de personnages dont les échanges faisaient constamment référence aux grands modèles hollywoodiens. Que ce type de métacommentaires ait été au service d’essais véritablement transgressifs sur l’expérience du spectateur ou alors pour excuser du gros recyclage, son emploi obtint énormément de traction pour les scénaristes. À ce jour, cependant, volontairement souligner ses redites ne paraît plus ingénieux. Le réalisateur Joseph Kahn, surtout reconnu pour ses vidéoclips (et dont le seul long métrage à son actif s’avère le piteux Torque de 2004), semble avoir pleinement assimilé le constat. Largement autofinancé et assemblé en très peu de temps selon les standards de l’industrie, son Detention s’impose donc moins comme variante d’une satire « le lycée, c’est l’enfer » et davantage comme le dépaquetage massif des pièces du genre traînées jusqu’en 2011.

Aussi circonvenue puisse sembler la révision d’une branche déjà connue pour son autoréférentialité, Detention s’en tire pourtant avec les honneurs. Au-delà de sa soi-disant pertinence en tant que texte sur l’état des nouvelles tendances adolescentes et du postslasher, le film de Kahn affiche une vaste palette de trouvailles cinématographiques tantôt impressionnantes, tantôt hilarantes. S’il est pratiquement impossible de prendre son récit au sérieux (ce qui ne figure nullement dans les priorités de l’entreprise), la démonstration tient néanmoins la route.

Bref, Detention divertit malgré lui, tout simplement. Il serait donc plutôt absurde de chercher à livrer un synopsis rattachant tous les fils de son scénario. Pour toute la familiarité des éléments proposés (les déboires d’une exclue perpétuelle, le stress relié au bal de finissants, l’oppression de la grosse brute à deux cellules, un psychopathe sanguinaire… la totale, quoi), la fusion de ceux-ci s’élance dans une multitude de directions inattendues. L’expérience de Detention pourrait s’apparenter à celle de se planter dans le noyau d’un atome; d’un point de vue externe, tout nous paraît assemblé selon une logique concrète, mais à l’intérieur, les corpuscules s’entrechoquent de manière chaotique, s’éclipsant, puis se réintégrant à la séquence de façon  manifestement arbitraire.

Branché sur la cadence « 180 dans une zone de 50 » commandée par Kahn, Detention n’a donc pas à craindre la baisse de rythme autant que l’hypertension artérielle. Remarquablement filmé et monté, l’exercice (qui évoque les récents Kaboom de Gregg Araki et Scott Pilgrim vs. The World d’Edgar Wright) en épuisera vraisemblablement plus d’un, et avec raison. Mais ce qui rend la totalité de son circuit endurable, au-delà de son quota élevé d’excentricités et de gags faisant mouche, c’est l’impertinence avec laquelle sa propre trame narrative se présente. Vu le propos abordé (le caractère lunatique et cannibale des nombreuses sous-cultures adolescentes), on pourrait difficilement avoir choisi un ton plus adéquat. On se comprend? On s’en balance! Detention se fout de tout ce qui se trouve sur son chemin, y compris de sa propre gueule. De l’inclusion obligatoire des nouvelles technologies jusqu’aux dialogues carabinés qui ne sortiraient jamais de la bouche d’un jeune de dix-sept ans, tous les tropes possibles sont poussées à leur paroxysme.

Ce parti pris assumé pour le surréalisme et l’intertextualité menace donc constamment de laisser Detention coincé profondément dans sa propre tête (peut-être un spectateur moins comblé choisirait-il une partie du corps moins généreuse). Mais le contrôle et l’enthousiasme contagieux dont Kahn fait preuve laisse son projet patiner sur la frontière séparant le dard de l’ironie du marteau de la stupidité, et ce, sans jamais s’écrouler du mauvais côté. Mieux encore, Kahn laisse entrevoir son immense volonté de façonner un parfait artefact culturel de la nouvelle décennie du nouveau millénaire, et le produit fini est à la hauteur de ses espérances. En revêtant sa distribution de fringues rétro-dernier cri et accumulant volontairement les références plaquées à la culture « BitTorrenting », Twitter et compagnie, Detention devient tellement « of-the-moment » qu’il ne peut que paraître déjà ringard.

À cet égard, une séquence en particulier vient faire passer le film déjà fort accompli à une vitesse supérieure. Les choses étant visiblement bien ordonnées dans son petit monde, il s’agit ici bien évidemment de la scène qui rend honneur à son titre. Sans trop en révéler, son déroulement implique un plan-séquence couvrant à rebours presque vingt ans de retenues dans la même salle, avec tous les changements de style vestimentaire et de bande sonore que cela implique. Impeccablement composé, le moment en question en documente tellement tout en disant si peu que l’on ne peut que cesser de vouloir rester un pas à l’avance du zèle trop-cool-pour-vivre adopté par Detention et finir par y succomber. Reste maintenant à voir si le distributeur qui mettra assurément la main dessus sera en mesure de le marchander en une proposition aussi attrayante que le film lui-même est génial. On peut à tout le moins garantir que cette rigolade de qualité est parée pour une longue et favorable carrière dès qu’elle se prêtera aux visionnements maison.
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Critique publiée le 3 août 2011.