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Beaver, The (2011)
Jodie Foster

Parle à ma main

Par Jean-François Vandeuren
Il peut être assez difficile de prédire le sort que réservera le passage du temps à un long métrage, tout comme à la filmographie d’un réalisateur ou d’un comédien. Bien des titres jouissant aujourd’hui du statut d’oeuvre majeure du septième art n’avaient pourtant pas fait l’unanimité lors de leur premier passage dans les salles de cinéma. Il arrive également que la vie personnelle des individus ayant pris part au projet influence directement l’accueil que réserveront initialement le public et la critique à un film en particulier. Le cas qui nous intéresse ici est évidemment celui de Mel Gibson, dont les récents déboires sont susceptibles de faire de l’ombre à ce projet cinématographique qu’est The Beaver. Le long métrage de Jodie Foster souffrira-t-il de la présence de l’acteur australien à son bord? Ou si le battage médiatique ayant entouré les frasques de ce dernier ne sera-t-il pas plutôt suffisant pour titiller la curiosité de spectateurs qui, autrement, auraient sûrement passé leur tour? D’un autre côté, un homme sur le bord de la crise de nerfs n’étant plus capable de s’exprimer et de fonctionner que par l’entremise d’un castor en peluche était-il réellement le rôle idéal pour faire oublier certains gestes disgracieux commis loin des caméras et ainsi tenter de reconquérir la faveur du public? Les cinéphiles qui tomberont par hasard sur The Beaver dans une vingtaine d’années ne se poseront fort probablement pas de telles questions. Mais indépendamment de tout ce qui pourrait affecter ici le jugement du spectateur à son égard, The Beaver demeure un exercice qui, sur papier comme à l’écran, présentent plusieurs lacunes de taille n’ayant rien à voir avec sa tête d’affiche.

The Beaver, c’est l’histoire de Walter Black (Gibson), un chef d’entreprise souffrant de dépression. Comme une narration en voix off on ne peut plus superflue nous l’indiquera en début de parcours, Walter est devenu au fil du temps une sorte de trou noir, son moral affectant directement celui de ses proches, soit une épouse (Foster) dont il s’est passablement distancié, un jeune fils dont la soudaine réclusion lui aura attiré les foudres de ses camarades de classe, et un plus vieux (Anton Yelchin) étant pour sa part bien déterminé à ne pas finir comme son père. Après s’être fait finalement montrer la porte de la maison familiale, Walter trouvera dans une benne à ordures une marionnette en forme de castor. Après une nuit passée dans un motel à boire et à tenter par deux fois de se suicider, le nouveau compagnon de Walter s’adressera soudainement à lui pour le motiver à remettre de l’ordre dans sa vie. Un défi que Walter relèvera avec une étonnante facilité, se rapprochant sans problème de sa famille et remettant son entreprise sur la carte après une période particulièrement difficile en l’espace de seulement quelques semaines. La question demeure toutefois à savoir quand Walter pourra se séparer de son nouvel assistant à l’accent british, lequel réussira à obtenir l’approbation de ses proches en plus de devenir un véritable phénomène médiatique. Visiblement consciente du défi qui l’attendait en portant le scénario de Kyle Killen à l’écran, Jodie Foster parvient bien à orchestrer quelques séquences de drame et de comédie suffisamment senties, mais elle n’arrive malheureusement pas à éviter ces moments tant redoutés où l’apparente absurdité du récit finit par créer un profond malaise.

Il s’agissait évidemment d’un pari plutôt risqué que de tenter de mettre en scène le récit somme toute assez banal de cette famille où rien ne va plus en passant par un stratagème aussi inusité. Foster se montrera d’ailleurs particulièrement malhabile dans la façon beaucoup trop précipitée dont elle introduira l’alter ego de Walter. Un manque de finesse qui se reflètera également dans cette soudaine évolution qui transformera le protagoniste anéanti présenté au départ en père de famille exemplaire, et ce, moins de vingt minutes après le début des hostilités. Un renouveau auquel ne croira aucunement son fils Porter, qui continuera de se montrer terriblement hostile à l’égard de son paternel. Une aversion qui mènera à une seconde piste narrative, laquelle se révélera en soi beaucoup plus intéressante que la première. Mais le principal problème de The Beaver demeure celui d’un film qui ne semble jamais savoir sur quel pied danser, valsant difficilement entre le sujet plutôt ardu qu’il cherche à explorer et le ton généralement plus léger qui se dégage de ses péripéties. Le présent exercice fait ainsi état d’un cas tout de même très sérieux de dépression et de déchéance familiale, mais sans que Killen ou Foster ne mettent jamais de l’avant la sensibilité ou les talents de raconteurs nécessaires pour permettre au spectateur de s’identifier aux personnages, gérant de façon souvent incohérente la ligne du temps du récit en plus d’illustrer leur propos par le biais d’images assez faibles en dehors de leur trame narrative. La progression de l’histoire passe d’autant plus par une série de montages peu captivants et de scènes mélodramatiques qui, même si suffisamment inspirées, peinent à produire les effets escomptés.

Le meilleur coup de Kyle Killen aura été en soi de ne pas accorder toute son attention au personnage interprété par Mel Gibson et à son représentant poilu qui, en voulant sauver l’âme de ce dernier, finira par lui faire perdre la tête d’une manière encore plus inquiétante. Le scénariste accordera ainsi une importance considérable au récit de Porter, qui sera appelé à jouer les « castors humains » pour Norah (Jennifer Lawrence), qui paiera le jeune homme afin qu’il rédige pour elle son discours des finissants. Se faisant, Porter devra tenter de s’exprimer de la même manière que l’adolescente, ce qui l’amènera à vouloir sortir celle-ci d’une torpeur dans laquelle des événements troubles de son passé l’auront plongée depuis beaucoup trop longtemps. Et c’est définitivement dans cette histoire parallèle que The Beaver réalise son plein potentiel, lui qui aura finalement passé par un bien drôle de chemin pour réunir une famille en crise, et surtout un père et un fils qu’un destin similaire semblera attendre si les choses ne changent pas rapidement. Pour sa part, Foster démontre bien une certaine dextérité au niveau de la mise en images avec ce troisième long métrage, signant une réalisation compétente et une direction d’acteurs on ne peut plus convaincante, reconfirmant le talent des jeunes Yelchin et Lawrence, tandis que Gibson offre pour sa part une performance des plus habitées réussissant à faire oublier certaines des situations pour le moins étranges dans lesquelles il est souvent coincé. Tous ces éléments font de The Beaver une oeuvre qui, si inusitée pour de mauvaises raisons qui auraient pourtant dû être les bonnes, se révèle le plus efficace lorsqu’elle se montre sous son jour le plus convenu.
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Critique publiée le 20 mai 2011.