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Blue Valentine (2010)
Derek Cianfrance

Nous deux

Par Maxime Monast
Il me paraît facile d’aimer un film comme le Blue Valentine de Derek Cianfrance, dans lequel un couple de jeunes amoureux traverse des instants difficiles. Mais il me paraît encore plus facile de le détester. Car peu de séquences dans cette fiction du vétéran documentariste s’avèrent réellement agréables. Nous passons toute la durée du film en compagnie d’un couple exprimant ses sentiments en deux temps. D’abord, ils apprennent à se connaître et partagent des moments intimes. Ensuite, ils cherchent cet amour égaré, perdu au fil du temps. Dans les deux cas, il y a tellement d’amour que c’en devient nauséabond. Par contre, à travers cet univers intimiste, Cianfrance et ses deux muses réussirent à créer une trame narrative qui transcende et illumine toutes les histoires de ce genre. Blue Valentine est l’idylle moderne tant attendue. Il capture l’essence d’une période et d’une ère en explorant avec brio les problèmes du coeur, au point où son visionnement apparaît même essentiel pour une survie romantique.

De manière très naturelle, le récit alterne entre la rencontre des deux amoureux, Dean (Ryan Gosling) et Cindy (Michelle Williams), et leur vie de parents mariés. Sur le plan du récit, Blue Valentine offre peu d’explications. Il n’y a pas d’histoires cachées ou de révélations intenses au bout du chemin. Le film nous fait comprendre timidement que l’amour est compliqué, que ses liens de causalité sont assez directs. Un message simple et maintes fois entendu, certes, mais qui, au cours des trois ou quatre dernières années, n’a pas été présenté avec tant de passion et d’intimité pures. En ce sens, plusieurs événements du film peuvent paraître très similaires à nos propres expériences amoureuses. Et c’est ici que Blue Valentine gagne en réalisme. Il ne propose peut-être rien de nouveau - « du pareil au même », pourrions-nous dire -, mais ce miroir de nos ébauches est toujours réconfortant. Même si Dean et Cindy sont clairement des individus marginaux, ils marquent la mémoire collective. Ils se classent parmi les grands, que ce soient les Jack Dawson, Johnny Castle ou même les Rhett Butler. Dans le cas présent, ils deviennent exemplaires. Ils ne transcendent peut-être pas le genre, mais s’affichent comme une alternative, une autre représentation. Dans cette recherche romantique, ils se rencontrent sur ce sentiment pur et incontrôlable.

L’expérience émotionnelle de Blue Valentine émerge d’abord du travail de ses concepteurs. Comme nous l’avons déjà mentionné, la trame narrative se construit ici autour de problèmes et de résolutions classiques pour un couple. En s’alliant à ce principe, le jeu des deux principaux acteurs se révèle si fort qu’il vient bouleverser toutes interprétations cinématographiques de mémoire récente. Peu de performances s’élèvent au même niveau que celles offertes ici par Williams et Gosling. La chimie, les gestes, les regards… ils vivent à travers leurs protagonistes. Bien qu’il soit évident que notre duo se soit inspiré de leur passé respectif, c’est ce sentiment d’authenticité caractérisant l’ensemble du film qui finit par triompher. Cette aura, elle ne pouvait venir que de Cianfrance et des scénaristes, qui parvinrent à unir ces deux opposés par l’entremise d’une belle généralité : l’amour. Car pour donner vie à ces personnages, il ne suffisait pas que de lire le dialogue, il fallait développer leur psyché. Blue Valentine réussit à atteindre un tel niveau de réalisme par le biais d’une spontanéité captée sur le vif, une aptitude issue du passé de documentariste de Cianfrance. Sa façon de filmer ses sujets nous révèle la beauté de sa mise en scène. Nous avons l’impression de nous retrouver au coeur de la situation. Le cadre, visuellement attrayant, naît de la présence de nos amoureux. Jamais la beauté n’aura été atteinte de manière aussi accidentelle que dans Blue Valentine.

Ce sont ces sentiments à l’état brut qui habitent les images de Cianfrance. Souvent à l’épaule et en mouvement, sa caméra ne fait que suivre les actions imprévisibles du duo. Ce qu’elle capte est simplement le résultat de l’idée maîtresse du film. Le tout se devait d’être naturel et jamais forcé. Un défi de taille relevé haut la main grâce à des cadres enivrants et des performances mémorables. C’est avec ce genre d’exposés que nous sommes en mesure d’évaluer d’autres essais romantiques cherchant à produire des effets similaires. Dans la filmographie de Ryan Gosling, The Notebook de Nick Cassavetes fut notamment acclamé comme étant l’apogée du film romantique au cours de la dernière décennie. Mais cette fois-ci, l’acteur incarne un homme différent. Aussi beau et charmant que Dean, mais dont l’essence ressemble étrangement à celle d’un mannequin de chez J. Crew. Il nous paraît plus vide, telle une représentation unidimensionnelle d’un amoureux. Le but n’est évidemment pas ici d’exposer qu’elle serait le symbole idéal pour cette catégorie d’individus. Ce type d’affirmations est laissé au spectateur, car rien ne me permet de vous dire ce qui vous provoque émotionnellement. Il est simplement remarquable de constater que l’on peut aller chercher deux antipodes d’un même genre par l’entremise du même acteur.

Il est peut-être important de remettre l’emphase sur ce qui est agréable d’aimer de Blue Valentine. Tant les performances que les images et son authenticité sont ce qui brille à travers les hauts et les bas de la relation de Dean et Cindy. Même avec des éloges aussi retentissants, un doute s’installe dans l’esprit de ce rédacteur. Le doute que cette expérience cinématographique soit peut-être trop personnelle. L’idée que l’on s’attache trop à l’histoire et à ses personnages, que l’on semble revivre avec eux des événements faisant partie de notre mémoire « sentimentale ». Mais à bien y penser, il est souvent difficile de séparer notre vécu des moments filmiques qui nous sont présentés. Nous avons tendance à y voir notre propre réflexion. Qu’elle nous plaise est une tout autre question. Mais c’est avec cette projection que Blue Valentine finit par occuper une place importante à nos yeux. Il rejoint ces grands films et leurs grands interprètes qui, parfois, nous ressemblent étrangement.
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Critique publiée le 14 janvier 2011.