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People vs. George Lucas, The (2010)
Alexandre O. Philippe

Système partisan

Par Maxime Monast
Je ne suis pas un avocat. Je n’étudie pas en droit. Je ne connais presque rien au système judiciaire. Mais malgré ces handicaps économiques et intellectuels, quelque chose ne tourne pas rond dans le documentaire The People vs. George Lucas d’Alexandre O. Philippe. Celui-ci tente d’explorer l’univers de Star Wars en organisant son film comme un procès intenté au créateur de cet univers, George Lucas. Philippe donne le droit de parole aux amateurs de sabres lasers, de guerres intersidérales et d’embargos galactiques. La question, plus ou moins claire et éclairée : « Pourquoi George Lucas a-t-il gâché Stars Wars avec les trois premiers épisodes de la saga? », est le fil conducteur qui traverse cette audience. Mais attendez une petite minute… Je ne suis pas encore un avocat, mais j’étudie en droit et j’en connais beaucoup sur le système judiciaire. Comme vous le voyez (et pour vous le prouver), je peux être un très bon menteur.

Maintenant que l’on sait que je suis apte à juger le contenu juridique de ce film, j’aimerais vous dire que The People vs. George Lucas est aussi biaisé qu’un analyste sur le réseau américain FOX parlant du parti républicain. Mises à part quelques interventions de Lucas lui-même (sous forme d’extraits vidéo et de documentaires), le film utilise une seule voix : les cris d’injustice des fanatiques de l’univers de Star Wars. De multiples vidéos tirés de YouTube aux entrevues spécifiquement créées pour le documentaire, Philippe remplit son canevas d’une seule opinion. Et devinez de laquelle il s’agit? Nous avons affaire à des gens mélangés, fâchés et même tristes. Mais leur amour pour Star Wars est profond. Ils sont mêlés, car ils ont de la difficulté à admettre que le « maître » peut aussi se tromper. Ils sont fâchés parce qu’ils se sentent trahis. Ils sont tristes parce que Star Wars s’est accidentellement détérioré au fil des ans. Par contre, pendant ces 93 minutes, la parole n’est jamais vraiment donnée au créateur pour qu’il puisse expliquer ses décisions. Même si le film laisse passer quelques interventions de Lucas et compagnie, celles-ci sont généralement suivies d’une marée de réfutation et de haine n’amenant que confusion. Ça ne prend pas un avocat pour vous dire qu’un procès ne se déroule généralement pas de cette façon.

Mais il serait malhonnête de la part de ce rédacteur de ne pas admettre que plusieurs des frustrations évoquées par les gens impliqués dans le film sont similaires à ses propres questionnements sur Star Wars. Par contre, leur fanatisme est beaucoup plus enraciné que le mien. Si vous voulez, je suis un amateur de Star Wars sans l’obsession sur la guerre. Je ne suis pas prêt à me battre pour ce monde imaginé par le réalisateur de THX 1138 et American Graffiti. Ce procès unilatéral me pousse même loin de cette « rébellion » des passionnés, mais sans m’attirer non plus dans le camp de « l’Empire ». Mes sentiments envers Star Wars demeurent les mêmes et il est donc difficile d’adhérer complètement à une cause qui ne favorise pas le discours ou la communication d’égal à égal. Il est beaucoup plus intéressant d’en parler naturellement (avec une petite tasse de thé à la camomille) que de se faire crier dans les oreilles pour scander que George Lucas a violé notre enfance. Mais ce que l’on retient de ce documentaire, c’est qu’il est pratiquement impossible de discuter avec ces gens. Ils ne sont pas ici pour un échange, mais pour livrer leur message haut et fort. Si vous écoutez bien, vous pouvez même entendre leurs propres menottes qui se frappent sur les barreaux d’une cellule qu’ils ont eux-mêmes construite pour ensuite s’y enfermer. Ils ne comprennent pas le système judiciaire, et encore moins le système carcéral.

Le problème se situe en soi dans la genèse même du documentaire. Si Philippe avait simplement voulu faire un film sur la culture du fan de Star Wars, les images présentées auraient pris un sens différent et plus généraliste. On aurait pu comparer cette vision hypothétique à ce que Trekkies de Roger Nygard a su faire avec brio. Ici, on nous présente bêtement des amateurs du milieu qui veulent la tête de Lucas sur un plateau d’argent. Ils demandent rétribution, même si plusieurs d’entre eux souhaitent qu’il réalise d’autres épisodes de la saga. Mais non, Philippe insiste sur cette approche humoristique touchant à l’idée que ces admirateurs témoignent de leur haine et de leur frustration sur ce qu’il réalise depuis 1999 (le très « midiclorien », The Phantom Menace). Sans cette idée, les témoignages auraient été beaucoup plus fonctionnels. L’humour que l’on recherche tant ne se présente jamais, sinon sous forme d’un pathétique inconfort s’installant dans le discours du film. Il n’y a rien de drôle à voir des légions d’idéalistes jouer les révisionnistes de la guerre des étoiles. Ce portrait est triste : à la limite, un rire jaune peut s’en tirer.

En somme, il est clair qu’en regardant The People vs. George Lucas il est difficile de se former une opinion claire sur qui doit être le gagnant de ce litige impossible. Chose certaine, si vous voulez aimer votre expérience au cours de ce procès, prenez tout avec un grain de sel. Les informations sur l’univers de Star Wars sont intéressantes, mais les opinions unidimensionnelles sont trop présentes. Ils rendent le débat biaisé et sans queue ni tête. Être obsédé et tenir mordicus à quelque chose s’avère souvent un problème. Ce documentaire en est un exemple des plus concrets.
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Critique publiée le 16 décembre 2010.