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Next Three Days, The (2010)
Paul Haggis

Vite fait, bien fait

Par Mathieu Li-Goyette
Parce que Paul Haggis, après une longue carrière à la télévision américaine, a d’abord été au scénario (Million Dollar Baby, Flags of Our Fathers, Casino Royale), puis à la réalisation sans quitter sa plume, convenons que l’homme, en collaborant avec lui-même, est l’un des cinéastes les plus intéressants du grand Hollywood. Lecteur de l’idéologie américaine, sachant y croire bêtement dans des élans patriotiques (In the Valley of Elah) autant qu’il sait la critiquer (Crash), il s’est permis ici un projet des plus classiques, un suspense, comme on en fait encore peu. L’histoire, assez simple, raconte la quête d’un père devenu monoparental depuis que sa femme a été accusée d’un meurtre qu’elle n’a apparemment pas commis. Pris seul avec son fils à rendre visite à l’accusée, il apprend bien vite qu’elle devra passer le reste de ses jours en prison. Lara ne sera pas sur les prochaines photos de famille avec son mari John et son fils Luke, qui devra grandir avec un père pris au dépourvu, bon professeur de collège qui se transformera sous nos yeux en héros d’action pour sauver sa belle. Et ce n’est pas tout, car pendant que nous remarquions chez Panorama-cinéma que la documentation préparée pour la presse comportait les mentions « hitchcockiennes » a maintes reprises et que nous nous attendions au pire (rares sont les films « hitchcockiennes » aujourd’hui, exception faite de Shutter Island), voilà que l’on nous a surpris et fourvoyés. Le dernier Paul Haggis l’est bel et bien.

À mi-chemin entre le « bon gars » James Stewart et le « macho respectueux » Cary Grant, Russell Crowe incarne ici un héros sur le déclin. Sous son pull sale, on sent la silhouette de Gladiator et l’énergie frénétique de A Beautiful Mind. Cet homme fort, mais friable lorsqu’il est question d’amour, n’échappe pas à ses faiblesses d’Achille. Trois ans durant, il est incapable de s’enlever de la tête l’idée de retrouver un jour sa femme. Il manigance, complote, rencontre un évadé dépité (Liam Neeson) qui le guidera dans l’écriture de la liste d’épicerie nécessaire à l’évasion de sa compagne. Ne croyant pas aux accusations contre sa femme, il croit en ses propres valeurs et non aux preuves; « je l’aime, elle n’est donc pas coupable ». C’est l’Américain idéal, celui qui ne croit pas aux faits, mais bien en sa foi. C’est le bon catholique, celui qui nie dans l’espérance d’un salut plus grand que nature; Tommy Lee Jones, dans In the Valley of Elah, est un patriote américain, tandis que Russell Crowe est ici un patriote de l’amour. C’est ce déplacement de valeurs, de la nation aux sentiments, qui permet à Haggis de déplacer ses préoccupations politisées au film de genre utilisant l’émotion comme l’autre utilise l’enquête et la démonstration.

Plus fin, The Next Three Days fourmille de pistes, de McGuffins, ces alibis présents pour détourner notre attention sur un chemin très précis (l’évasion) et sur des embûches qui n’ont d’utilité que de fournir une solution, un relâchement à la course effrénée des quarante dernières minutes. Ainsi, une jeune femme fera de l’oeil à John non pas pour insinuer un adultère (trop facile), mais bien pour nous amener à comprendre qu’il est, à l’aube de la mise en branle de son plan préparé sur plus de trois années, encore possible de faire marche arrière, d’abandonner sa femme et d’aller vers une autre. Aller vers sa couche nuptiale (choix A) ou l’utiliser à bon escient (choix B)? Le choix A fait gagner, le choix B fait perdre. Gagnons-nous seuls ou perdons-nous en couple? Voilà la contradiction humaine sur laquelle un individu se doit de triompher en étant surhumain. Le choix B demande une foi et en la prouvant, John devient plus juste que les policiers guidés par un système arbitraire. Cette foi, comme le disait le verset biblique inspirant In the Valley of Elah, est ce qui permet à David de triompher de Goliath, à John de triompher du tout-puissant système américain.

Cette possibilité (croire ou ne pas croire), comme celle qui nous guette lorsque le père grincheux de John découvre à son insu les faux passeports (va-t-il lui subtiliser les papiers contrefaits, la fuite se terminera-t-elle par cette bête erreur?), comme les nombreuses pièces à conviction (les inspecteurs découvriront-ils à temps qu’ils partent pour le Canada) et bien d’autres se résolvent au bon moment, au moment critique où les nerfs sont à bout et où l’on croirait tout perdu. C’est la finesse du montage qui y est pour quelque chose, la façon dont les plans (souvent statiques) s’additionnent, sautent d’un lieu à l’autre, faisant se rapprocher les poursuivis et les poursuivants, le doute et la réussite. Et le comble de la satisfaction? Ces images sont intelligibles. Elles nous ramènent à une intelligence de la mise en scène (ce plan wellesien où le garçon ignore sa mère, elle-même regardée à l’arrière-plan par le père dépité) et non à une rapidité fourbe, à cette imposture qu’est la nouvelle continuité prônée par le cinéma hollywoodien.

Filmer un mouvement plutôt qu’une action ou une non-action, filmer trois pas en quatre plans plutôt que dix pas en un plan, nous y voilà donc à cerner ce qui dérange dans la production contemporaine en regardant nonchalamment le dernier Paul Haggis, qui s’avère être un film bien au-dessus de la moyenne - et oui, c’est suffisant par les temps qui courent. C’est suffisant lorsque l’on s’aperçoit qu’un film convenable comme The Next Three Days a les allures d’une petite perfection, d’un moment de cinéma où le metteur en scène nous promet du suspense sur fond d’enquête visant à remettre en question l’inéluctabilité d’un système de justice, et donc aussi d’un système de « croyances », et que, mot à mot, on nous livre la marchandise sur un plateau d’argent, poliment et sans os brisés. Belle distribution, beaux plans, intelligence du jeu de chat et de souris mille fois répété entre marionnettiste et marionnettes, l’oeuvre répond aux exigences du néo-classicisme, de cette vague de toutes les époques stipulant qu’il est toujours possible de faire comme avant, mais différemment. Comme avant, mais sans manière prétentieuse, sans déconstruction sinon celle provoquée par un brillant homme capable - il serait à ce niveau élève d'Eastwood - de défaire pour toujours mieux refaire.
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Critique publiée le 19 novembre 2010.