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Incendies (2010)
Denis Villeneuve

1+1

Par Maxime Monast
Incendies de Denis Villeneuve veut être un grand film. Dès que l’on entre dans le récit, on comprend que nous avons affaire à une oeuvre exhibant de grands sentiments. Dans le cas présent, le mot « grand » évoque l’aspect imposant, tant dans les émotions et ses thématiques que dans son approche visuelle. Nous sommes loin d’un petit film personnel, comme les deux premiers longs métrages du réalisateur. On sent presque le milieu, la souffrance. Ce qui s’allie encore plus avec la recherche spectaculaire de l’effort. Rien ne semble petit et rien ne se doit de l’être. On perçoit un désir profond de transformer cette pièce fondamentale signée Wajdi Mouawad (Littoral, Ciel) en adaptation digne. Ce film prend une vie monstrueuse entre les mains de Denis Villeneuve. Les plans sont majestueux, les emplacements sont grandioses, les événements choquent. Rien dans ce récit n’est fait à moitié. Face à une adaptation, les choix sont toujours difficiles. Mouawad a créé un univers réel regorgeant de scènes frappantes et émotives. Il y a quelques années, j’ai eu la chance (et je n’utilise pas ce mot à la légère) de voir Incendies au Centre National des Arts à Ottawa. La pièce me paraissait si vivante, si importante. J’ai été témoin des plus belles scènes de notre théâtre contemporain. Même s’il me paraît très tard pour exprimer mes sentiments envers ce monument, cette adaptation se devait d’être respectueuse en honorant l’esprit de l’oeuvre originale. Certes, Villeneuve tente d’effectuer cette corvée en s’approchant avec précaution de ces grands feux. Il ne les éteint certainement pas, mais les gardent en vie.

Suite à la mort de leur mère, les jumeaux Jeanne et Simon Marwan (Mélissa Désormeaux-Poulin et Maxim Gaudette) se font remettre deux enveloppes par leur notaire. L’une est pour leur père qu’ils croyaient mort et l’autre est pour leur frère qu’ils ne connaissent pas. Ils doivent alors remplir une mission spéciale : les retrouver en plongeant dans le passé de leur mère Nawal (Lubna Azabal). Très vite, le passé et le présent seront les canevas pour réveiller la chair vive recouvrant ses âmes torturées. Jeanne quitte pour le Moyen-Orient en suivant toutes les pistes, même les plus improbables, afin de reconstruire la vie de sa mère et de trouver son frère. Par sa recherche, l’histoire de Nawal se révèle. Plus tard, ce sera Simon qui cherchera, à l’instar de sa soeur, à retrouver la trace de son père. Un casse-tête familial se forme.

Incendies a la dure tâche de suivre une quête, un desideratum, complexe en détails et laborieuse dans ses implications émotives. Même si les premières minutes du film - des enfants qui se font raser la tête avec « You and Whose Army? » de Radiohead en guise de trame sonore - ressemblent à un vidéoclip, cette préconception s’estompe très rapidement. Il est peut-être cynique de filmer des atrocités avec une confection visuelle aussi parfaite. Un qualificatif qui s’applique certainement au cinéma de Villeneuve - Polytechnique en étant un exemple parfait. Mais comment faut-t-il filmer le mal? De plus, nous avons affaire à un film qui prend son temps. Comme le scénario est compliqué, l’équipe a choisi de bien séparer les scènes. De manière rythmée, Incendies se développe d’une façon très sectionnaire. Par blocs. Très vite dans l’histoire, nous comprenons que nous allons avoir droit à une variante du « road movie » s’étalant sur plusieurs générations. En entrecoupant le récit de la mère et celui de ses enfants, on se lie narrativement à ces personnages. En suivant leur quête, en découvrant les réponses en même temps qu’eux, les enjeux et leurs conséquences sont beaucoup plus fracassants. Chaque défi de Nawal - du meurtre de son amoureux jusqu’à sa terrible incarcération - résonne encore plus fort s’ils sont inconnus. Même si l’exotisme se mêle à la dureté de son traitement, on ne peut que se rallier à sa quête et suivre sa descente aux enfers. Le même genre d’épreuves est ressenti chez les jumeaux. Par contre, leurs découvertes sont infiniment moins choquantes (visuellement, non émotionnellement) que les actes vécus par leur mère. Mais c’est avec ces deux intrigues que l’impact de l’histoire de Mouawad atteint son paroxysme. Un vrai coup de poing.

Mais dans cette exécution méthodique, Villeneuve dose son film d’une manière siphonale, vers une seule destination. Vus les sujets durs abordés par le scénario et son dénouement, on prône un ton sérieux. Le monde, sous le regard d’Incendies, est un univers unidimensionnel et sans recours. Tous les événements pointent vers une finale n’offrant aucune rédemption pour ses personnages. Le secret que renferme le récit ne peut que causer du mal aux personnes impliquées. Le désir de cette découverte, le besoin d’avoir une réponse, se révèle comme étant le but ultime. Par contre, Jeanne et Simon ne seront jamais libérés de ce fardeau. Ils resteront blessés, comme par leur enfance sans père et par leur mère distante : un détail ayant beaucoup plus affecté Simon que sa soeur. En traversant ce chemin, en ne laissant aucun moment pour respirer, Villeneuve suffoque son auditoire. Il nous expose à un misérabilisme, visuellement attrayant, mais certainement avec le vice caché d’extorquer notre sympathie. Un jeu qui marche pour plusieurs spectateurs, mais qui reste abject à la base. Surtout qu’avec ces deux heures et plus, Incendies a clairement besoin d’offrir plus que des personnages remplis d’un spleen qui n’auront jamais de porte de sortie. Le débit, toujours sérieux, vient affecter le rythme des scènes. Tout le travail d’un montage superbe n’arrive pas à se dynamiser vue la livraison d’éléments monotone et constante.

À l’instar d’un regard visuel habile, signé André Turpin, Incendies s’assure de livrer des performances de haut calibre. Les deux têtes d’affiche féminines, Mélissa Désormeaux-Poulin et Lubna Azabal tiennent le tronc de ce long métrage. Elles captent et maintiennent facilement leur rôle respectif. Comme Nawal, Azabal nous donne une femme au courage exceptionnel. Son jeu, face à ces expériences difficiles, ne flanche aucunement. Elle donne de grandes bouffées d’oxygène à son personnage en pleine asphyxie. De même, sa fille incarnée par Désormeaux-Poulin conserve cette férocité, mais d’une manière plus restreinte. On voit le feu qui brûle dans son ventre, un trait familial important. Elle se contrôle, mais ne s’arrêtera aucunement pour retrouver son frère inconnu. Ces deux performances sont l’un des grands points forts du film. Elles cimentent le tout d’une manière solide. Par contre, une exception vient brouiller cette équation. Le jeu de Maxim Gaudette, qui incarne Simon, tombe à plat avec chacune de ses répliques. Son silence et sa présence sont matière solide : une vraie statue de pierre. Il commande une pièce avec l’essence du personnage. Mais dès qu’il ouvre la bouche, le tout est gâché. Les textes sonnent faux comme le manque de ressemblance à son héritage culturel. Ils nous paraissent un peu trop théâtraux. Dans une scène où Simon essaie de se faire inviter à prendre le thé, le notaire Jean Lebel (Rémy Girard) lance : « Où est-ce qu’on va, Simon? ». La réponse de Gaudette est si naturelle (un « je ne sais pas ») que l’on a de la difficulté à comprendre sa relation avec son personnage. Un choix conscient de jouer faux?

Alors, qu'est-ce qu’est Incendies? Dans sa recherche de fidélité au récit original et dans son ton hyper sérieux, la plus récente oeuvre de Denis Villeneuve ne fait que se confondre. On ne sait pas quoi penser de cette histoire. Complexe et bien exécutée, certes, mais quelque chose manque à ce long métrage. Une versatilité dans son spectre émotif? De laisser chacune des scènes respirer? Tout nous semble à sa place, mais un élément est manquant. Un gros problème se situe dans une scène en particulier : la fusillade et l’incendie de l’autobus. Une scène tellement intense et si grandiose dans la pièce, mais qui devient si banale parmi les autres moments forts du film. Une erreur qui me paraît grave. Bref, voici le dilemme auquel nous amène cet opus. Toute réflexion faite, Incendies me laisse perplexe. Mes résolutions et mon cheminement résonnent juste pour moi, mais ma réponse est peut-être fausse. Une question de mathématiques pures, je suppose…
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Critique publiée le 17 septembre 2010.