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Eat Pray Love (2010)
Ryan Murphy

Heat Prey Luv

Par Maxime Monast
Il me paraît un peu étrange de critiquer un film comme Eat Pray Love. Je ne suis aucunement son public cible. Je suis un homme dans la fin de la vingtaine avec peu de traits en commun avec le personnage principal. Les seules crises dans ma vie sont de nature purement superficielle : décider où manger, savoir quoi vénérer et me trouver une amoureuse. Mais attendez une petite minute. Ce sont les mêmes préoccupations que celles de l’écrivaine Elizabeth Gilbert, dont ce film est une adaptation de son roman autobiographique! Une femme dans le début de la quarantaine avec des problèmes. Elle est à la recherche d’un sens à sa vie monotone. Son remède est une année sabbatique dans trois destinations touristiques et l’utilisation maximum de sa carte de crédit. Rien de spécial. Une aventure banale dans les lofts de New York, les rues calleuses de Rome, les temples de l’Inde et les plages de Bali. Bref, un vrai conte de fées moderne.

Si vous n’avez pas encore entendu parler du phénomène Eat Pray Love, vous êtes clairement un ermite élitiste sans souci pour aucun contact humain. Le livre, un peu comme Le secret de Rhonda Byrne, est devenu une vraie bible. Un « best-seller », certifié par la grâce d’Oprah, qui en est à sa vingt-cinq-millième réimpression. J’exagère certainement, mais il est douteux d’esquiver l’engouement qu’il y a pour le sujet. Son écrivaine, Elizabeth Gilbert, est devenue une prophétesse pour ses adeptes. Elle est tombée sur une mine d’or, avec un récit classique, qui touche n'importe quelle personne à la recherche du « nirvana ». Donc, pour vous familiariser avec sa quête, voici les grandes lignes de son aventure. Elizabeth Gilbert (Julia Roberts) est prise dans un mariage où l’amour est à sens unique. Son mari Stephen (Billy Crudup) ne lui plaît plus. Après une brève aventure avec David (James Franco), elle quitte les États-Unis pour un autre continent. Elle va en Italie pour manger. Elle s’exile en Inde pour découvrir sa propre spiritualité. Elle se retrouve à Bali pour l’amour. « Eat Pray Love ». En fin de compte, ce sera sa meilleure amie Dalia Shiraz (Viola Davis) qui lui lancera : « you sound like a college girl! ». Voilà probablement l’intervention la plus saine du film, malgré l’abondance de religieux et de petites maximes universelles.

Au cours de ce conte, on arrive à une hypothèse intéressante. Le film semble être conçu avec deux préoccupations. Premièrement, on se force pour rendre le meilleur résultat possible d'une oeuvre qui n'offre rien de plus qu'un simple pamphlet informatif. Littérature de chevet, la vision de cette histoire d'une voyageuse perpétuelle a certainement créé un lien profond avec plusieurs femmes. Le film avait comme devoir de faire attention au sujet du livre, de l’approcher avec finesse. Ryan Murphy, connu pour son travail sur les séries Glee et Nip/Tuck, capte très bien l'essentiel. Il sait comment livrer un produit qui a été lu et relu dans le but d’un cheminement personnel. Deuxièmement, en termes de réalisation et d'approche visuelle, le film frappe dans le mille avec des moments conçus pour vous faire pleurer dans des paysages bucoliques. Tourné habilement par Richard Richardson (Shutter Island, Inglourious Basterds), la lumière diffuse et se disperse dans des décors plus beaux que nature. De plus, les larmes coulent à flot avec des histoires de vie poignantes. Il est certain que le film essaie de ne pas déplaire à personne. Il est destiné à un succès sans précédent. Si le film avait été un désastre cinématographique, son auditoire aurait crié au meurtre. Mais l’argent et le succès auraient quand même été assurés. En fin de compte, l’objet qu’est ce récit est conçu avec une finesse et un talent exemplaire. Ici, on fait du mieux qu’on peut avec le matériel qu’on a.

En continuant dans ces bonnes décisions, Eat Pray Love gagne dans ses choix d'acteurs. En adaptant ce livre, il faut être capable de transformer les mots superficiels de Gilbert. Julia Roberts était le choix évident pour incarner ce personnage. Son statut de starlette l'a toujours alliée à des rôles iconiques. Même si nous sommes loin d'une Erin Brokovich ou d’une Vivian Ward, Roberts rempli son devoir en étant charmante et attentive. Elle transforme le tout - ses bêtes motivations - en grande recherche naïve. En plus, le film se charge d'offrir une merveilleuse palette d'acteurs de soutien pour rendre le tout encore plus accessible. Billy Crudup, James Franco, Richard Jenkins et Javier Bardem. Importants dans la vie de l'héroïne, ils sont les fondations de cette recherche gastronomique, spirituelle et amoureuse. Particulièrement, pendant son séjour en Inde, Richard (Richard Jenkins) lui vole la vedette d’une manière si habile et mérité. Son histoire et sa présence sont des qualités qui supplantent les désirs égoïstes de Gilbert. Cette période, et Murphy l’a bien compris, marque un changement drastique dans la vie de son personnage principal et dans la compréhension du spectateur. Elle devient consciente des banalités de son séjour et nous devenons plus sympathiques à son aventure.

À titre de conclusion, on fait le plus gros faux pas dans des clichés qui ne devraient pas nécessairement être au centre du problème. Il est évident que pour vendre le récit de Gilbert, il faut le transposer dans des paysages et des environnements enchanteurs. Et ici, le stéréotypage et les idioties occidentales piétinent sur cette histoire planétaire. Grossièrement, on veut aller loin sans être trop dépaysé. Le tout devient un jeu si gros que l’on présente une vision idyllique et surexploitée que l’on croirait être dans un studio à Hollywood. Tout nous paraît faux. Par exemple, l’Italie restera toujours un endroit de touristes et de nourriture incroyable. Peut-être que récemment Gomorrah de Matteo Garrone a détruit notre vision si parfaite de l’Europe amoureuse, mais il est clair qu’il est difficile de représenter objectivement un autre pays. Un pays que l’on ne connaît pas. Un pays vivant dans les livres et dans l’imaginaire de ses futurs visiteurs. Bref, rien de mal ne peut arriver en voyage. C’est la leçon que livre Eat Pray Love. Nous ne pouvons que changer et devenir une meilleure personne. Nous nous transformons en une assiette de melon d’eau collé aux prosciuttos, une petite statue de Ganesh ou une bicyclette rouge dans la forêt tropicale.
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Critique publiée le 15 août 2010.