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Prince of Persia: The Sands of Time (2010)
Mike Newell

Les sables mouvants

Par Jean-François Vandeuren
Inutile de revenir une fois de plus sur le cas toujours aussi problématique de l’adaptation du jeu vidéo au cinéma. Un sujet qui, jusqu’à présent, n’aura su que donner un bon mal de tête à tous ceux l’ayant abordé de près ou de loin. Il faut dire que, sauf pour quelques rares exceptions, le constat par rapport à cette situation demeure essentiellement le même qu’il y a quinze ans. En ce sens, l’une des prouesses de l’équipe responsable de la mise en marché du présent exercice aura été de réussir à en faire oublier - jusqu'à un certain point - les origines vidéoludiques pour l’associer plus spécifiquement à la nouvelle vague de films d’aventure ayant suivi le succès planétaire de la trilogie Pirates of the Caribbean. Cette version cinématographique de la populaire franchise d’Ubisoft Montréal partage d’ailleurs plusieurs points communs avec cette autre vache à lait du richissime producteur Jerry Bruckheimer, transportant son public au coeur de régions aussi exotiques que fantaisistes tout en l’accompagnant de personnages masculins affichant un goût marqué pour le « guyliner ». Nous sommes ainsi invités à suivre les péripéties du prince Dastan (Jake Gyllenhaal) qui, suite à l’invasion d’une ville sacrée par le puissant empire perse sous prétexte que celle-ci fabriquerait des armes pour le compte de l’ennemi (tiens donc…), sera accusé du meurtre de son père adoptif - et souverain du royaume par la même occasion. Ce dernier devra donc prouver son innocence et identifier le vrai coupable de ce crime odieux, soit le vilain oncle (Ben Kingsley) rêvant depuis toujours de monter sur le trône. De son côté, la souveraine de la cité assiégée (Gemma Arterton) cherchera à récupérer une précieuse dague dont Dastan s’empara durant l’invasion. C’est que l’objet en question permet à son détenteur de remonter le temps et de changer le cours de l’histoire et ne doit donc pas, par conséquent, se retrouver entre de mauvaises mains…

Le parcours de nos deux héros ne sera évidemment pas toujours une partie de plaisir, eux qui devront progressivement apprendre à faire fi du ressentiment qu’ils éprouvent l’un envers l’autre. Mais n’ayez crainte, car au fil des péripéties, toute cette hostilité se métamorphosera en une attirance mutuelle entre deux êtres qui se battent finalement pour défendre les mêmes idéaux. Bref, on connaît la chanson. Et il est définitivement là le problème de cet opus préférant reprendre les clichés les plus éculés d’un genre tout en recopiant les grandes lignes de certaines de ses oeuvres les plus saluées plutôt que de chercher à imposer ses propres idées. La première sous-intrigue de Prince of Persia nous ramènera ainsi directement au Gladiator de Ridley Scott, avec toute cette histoire de fausse accusation du meurtre d’un empereur aimant - et aimé - par un protagoniste dont l’existence sera dès lors complètement bouleversée. Il sera aussi difficile de ne pas faire de comparaisons avec un certain The Lord of the Rings, surtout lorsque le duo recevra l’aide d’un petit groupe mené par un cheikh opérant en dehors de la juridiction de l’empire (Alfred Molina) pour amener l’artéfact au pouvoir extraordinaire dans un endroit précis afin de le mettre hors d’atteinte pour tous ceux qui aimeraient l’utiliser à mauvais escient. Le tout tandis qu’ils seront pris en chasse par quatre sinistres chevaliers noirs. Oui, c’est subtil à ce point. Le film de Mike Newell marche ainsi perpétuellement dans les traces encore fraîches laissées par ses prédécesseurs comme s’il avait toujours peur de perdre son chemin, finissant du coup par étouffer toute ambition créatrice qu’auraient pu avoir ses instigateurs. Mais peut-être que The Sands of Time est le genre d’essais dont les forces se situent davantage au niveau narratif. Peut-être que cette paresse et cette retenue excessive sur le plan dramatique seraient soudainement éclipsées par la façon particulièrement ingénieuse dont le récit nous serait raconté... Eh bien non.

Le duo de scénaristes formé de Carlo Bernard et Doug Miro (The Sorcerer’s Apprentice) auquel se greffa Boaz Yakin (The Punisher - celui mettant en vedette Dolph Lundgren) alourdiront ainsi considérablement leur spectacle en cherchant systématiquement à en dévoiler les moindres rouages par l’entremise de dialogues explicatifs tout ce qu’il y a de plus chargés. Et même si le scénario de Prince of Persia n’est pas tant basé sur l’action plus que sur le voyage en tant que tel, celui-ci suit néanmoins une progression beaucoup trop précipitée pour le bien d’un récit cherchant à développer autant d’enjeux et de sous-intrigues. De sorte qu’il devient parfois assez difficile de trouver ne serait-ce qu’un tant soit peu d’intérêt pour ce qui se passe à l’écran, et même d’avoir à coeur le sort des principaux personnages. Il en ressort une épopée beaucoup trop convenue, dont même les exploits les plus remarquables n’impressionnent guère, que nous finissons par suivre simplement dans le but d’arriver à destination. La mise en scène terne et peu inspirée de Mike Newell n’est évidemment ici d’aucun secours. Le réalisateur d’Harry Potter and the Goblet of Fire ne se contente en soi de faire que ce qu’il a à faire, livrant un divertissement tout de même compétent, mais sans jamais s’impliquer outre mesure. Le plus étrange, c’est que le présent effort semble davantage intéressé à vendre à tout prix certains concepts plutôt que de rendre son histoire un tant soit peu engageante. On pense, entre autres, à son univers, dont la pertinence restait encore à prouver en dehors de son médium d’origine. Mais Prince of Persia s’affaire surtout à établir par tous les moyens possibles la crédibilité de Jake Gyllenhaal à titre d’héros de film d’action, mettant en évidence chaque geste de bravoure posé par son alter ego par l’entremise de ralentis particulièrement maladroits, ce qui finira par nuire à l’acteur plutôt que de lui rendre réellement service.

Le jeune interprète remporte malgré tout son pari, tout comme le reste de la distribution, qui aura su s’imprégner de l’esprit des différents personnages d’une manière tout à fait convaincante. C’est néanmoins Alfred Molina qui se tire le mieux d’affaire - et sauve même les meubles à plusieurs occasions - en reprenant avec fougue et désinvolture les traits du traditionnel comique de service. Et même s’il s’agit ici d’une production assez lourde en effets numériques, il se dégage tout de même de ce Prince of Persia un charme de série B de par ses décors et ses costumes semblant issus d’une tout autre époque de production cinématographique. L’idée d’articuler l’ensemble à la manière d’un conte pour enfants fonctionne également assez bien, car c’est évidemment à eux que s’adresse avant tout cette vaste entreprise. Autrement, le film exaspère de par la façon dont il souligne constamment ses thématiques de fraternité et de destin, ainsi que par sa tentative plutôt vaine de critiquer les actes d’un gouvernement qui n’est pourtant plus en poste depuis bientôt deux ans tout en réitérant sa confiance envers celui actuellement au pouvoir. Les auteurs confieront en ce sens le choix moral devant empêcher l’effondrement de l’empire à un personnage orphelin, car le sang coulant dans les veines de notre héros ne pouvait évidemment être celui de la royauté, mais bien celui du bon peuple. Bref, la petite histoire de The Sands of Time est tout simplement celle d’un film affichant un retard flagrant sur la concurrence dans pratiquement toutes les facettes de sa production. Ce n’est d’ailleurs pas sans une certaine ironie que nous suspecterons les manufacturiers du présent produit, dont les visées demeurent foncièrement mercantiles, de ne pas avoir eu totalement confiance en la qualité de ses attributs, et ce, au point d’en oublier de faire vivre ne serait-ce qu’un minimum d’émotion forte à leur public. Une caractéristique pourtant essentielle à tous exercices de cet acabit.
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Critique publiée le 28 mai 2010.