WOCHE DER KRITIK : Les 10 ans de la Semaine de la critique de Berlin
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W. (2008)
Oliver Stone

G. W. B.

Par Mathieu Li-Goyette
Grand rebelle effréné depuis ses débuts triomphants où il signa le scénario controversé de Midnight Express (1978), la verve d’Oliver Stone s’est depuis concentrée sur une vision exacerbée de son propre pays. Par un discours qu’on lui a attribué faussement de gauche, le fils d’une famille républicaine n’a jamais complètement trahi ses racines laissant toujours flotter en arrière-garde le spectre d’un puritanisme souvent confondu pour du patriotisme de crise. Suivons la corrélation. J.F.K. (1991), par son désir d’instruction et de documentarisation du fait politique étendait avec une grand exhaustivité les événements entourant la mort du président; basé sur une structure narrative de fond près de Citizen Kane, Stone faisait mouche et signait probablement sa plus grande oeuvre. Deuxième tir, Nixon (1996) parvient à faire partager les bêtises du président homonyme dans un long mélodrame où la mélancolie et les fantômes du Viêt Nam formèrent le véhicule d’une performance faisant date en celle d’Anthony Hopkins. Avec W., Stone réitère la figure présidentielle comme simulacre idéologique, comme déconstruction des événements politiques surmédiatisés des dernières années par le biais d’une dramatisation classique et bien huilée qui semble mener la grande majorité des oeuvres du cinéaste basées sur un conflit qui s’attaque au patriarche, figure dominante d’une société orpheline.

De l’enquête à la création dramatique, l’ardeur de Stone semble s’être estompée au gré de projets sous-estimés (Alexander, World Trade Center) où la mégalomanie de son discours ne semblait jamais rencontrer son équivalence cinématographique. À se rabattre sur la figure du président encore en place au moment du tournage, l’artiste se fait l’historien de son propre environnement médiatique. Historiciser la carrière de Bush avant son départ, c’est un peu écrire l’histoire avant qu’elle ne se termine et bien que l’effort n’est en soi pas négligeable, la frondeur de la mise en place d’un tel projet nous amène à remettre en question les fondements éthiques d’un homme pour qui le scandale (critique ou enfantin) a toujours sembler prendre comme cible hollywoodienne par excellence; le cinéma politique fera toujours parlé, surtout si elle devient de la politique-à-potins. Non pas un complice de Michael Moore, non plus de l’astucieux Gabriel Range (Death of a president en 2006 qui documentarisait l’assassinat fictif du président américain), Oliver Stone trouve le moyen (encore!) d’accoler à son film la structure élisabéthaine d’un grand drame opposant le jeune W. à la carrière déjà controversée de son père. Héritier d’un empire où la pause « Clinton » n’était qu’une reprise de souffle pour le nouveau sénateur républicain qui prenait du gallon au Texas, les aspirations de George W. font échos aux décisions de son aïeul, répond aussi à l’échec du Viêt Nam; « nous avons tassé cette guerre » lance-t-il à Collin Powell au visionnement de la chute de Bagdad. De son initiation à l’université jusqu’aux décisions critiques l’ayant mené à répondre aux événements du 11 septembre 2001, les démarches du président sortant, sans être caricaturales, ne sont pas nécessairement plausibles.

Si l’esthétique de Stone est menée par une mise en scène énergique et mobile, son goût pour les gros plans n’aura jamais été aussi prononcé. Les visages, les ceintures, les chandails, les détails, ce qui est au premier plan, le discours du cinéaste passe par ces clins d’œil avant d’être véhiculé par le grand récit qu’on nous propose. Supporté par une bande sonore tout aussi ironique et efficace, leur mise en opposition à ces grandes figures gonflées par le grand angle font penser aux caricatures de journaux qu’il est ici permit de ridiculiser grâce à des performances dument maîtrisées oscillant entre l'acte extravagant et le jeu intimiste plus près de celui du réel télévisé. Colin Powell, Dick Cheney ainsi que W. forment un trio terrifiant à l’occasion de plusieurs scènes heureusement chargées de politique et de dramatisation s’offrant l’unique but de provoquer la réflexion et la remise en question des décisions du bureau ovale du premier mandat de W. Bush. La question d’empire y est abordée, de contrôler l’Eurasie, d’offrir aux Américains la revanche tant attendue du 11 septembre. Chaque nouvelle décision du président fait rime avec un événement de son ascension au pouvoir et de son désir naissant de prouver sa valeur face à un père qui, ayant eu la chance d’être président à son tour, n’aurait jamais profité pleinement de ses chances avant de perdre au profit de la nouvelle administration Clinton.

L’empire Bush dépeint par Stone est un empire incohérent où le montage dialectique oppose le «mission accomplished » et le discours de la victoire à la reprise des hostilités en Irak. Des réunions de cabinet où l’éclairage s’éteint en se terminant sous le signe du Seigneur au nom des États-Unis, du pétrole, du terrorisme et du saint-patriotisme; Dieu veille sur les États-Unis et c'est en cette notion que W. et sa mise en scène croient de part et d'autre. À qui la faute dans l’attaque en Irak? La réponse de Stone passe par l’inefficacité du système mise en place par le tireur de ficelles Dick Cheney questionné à son tour sans cesse par Colin Powell (le bon adjuvant) et influencé par Condoleezza Rice (la petite voix diabolique). Au centre d’eux, le président est à la fois impuissant et présenté en homme simple attaché aux bonnes valeurs américaines et au baseball. Devenu seul face à son empire qu’il voit s’écrouler de l’intérieur, le mea culpa final du chef d'état s’attaque au mythe de l’enfant ayant trop brassé son jouet favori: le jouet du pouvoir.

À mi-chemin entre le Roi Lear et l'ébauche postmoderne, Stone et son scénariste Stanley Weiser (scénariste de Wall Street, ancêtre en plusieurs points à W.) n'insultent leur président que lors de séquences imaginées jusqu’à aller chercher sa réflexion finale, la synthèse de son film, dans un rêve opposant le fils – l’adolescent jamais sorti de sa crise d’indépendance – au père. Pris sur le vif à manger des croustilles devant sa partie de football, vu en train de promener son cabinet au grand complet à travers son ranch, piégé lors d’une conférence de presse devenue fameuse, le George W. Bush à la Oliver Stone est un dénominateur commun de la tragédie des Américains; de là la signification de ces trois plans vaguement lourds de baseball passant de l’attente de la gloire au triomphe puis au regard songeur. Sa culpabilité mêlée à l’incompréhension qu’il ressent envers ses propres démons est l’indicateur d’une certaine mouvance anti-républicaine «sauvée» par la religion qui n’a pas – le sera-t-elle un jour? – été élucidée. Bien qu’on puisse en rire, la réflexion la plus angoissante face à un tel sujet revient à supposer qu’une telle décennie aurait été marquée par la violence et la manipulation issue d’un conflit familial mal entretenu.
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Critique publiée le 20 février 2009.