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Sherlock Holmes (2009)
Guy Ritchie

Élémentaire...

Par Jean-François Vandeuren
Le personnage de Sherlock Holmes n’est pas exactement le premier qui nous serait venu en tête pour capitaliser sur la récente résurgence de bon nombre de figures liées à la culture populaire d’une autre époque et ainsi effectuer un retour triomphal au grand écran, et ce, après une absence de plus de deux décennies. D’autant plus que cette nouvelle enquête du plus célèbre détective du monde porte le sceau de la compagnie Silver Pictures qui, en plus d’avoir participé aux frasques des frères Wachowski de The Matrix au sous-estimé Speed Racer, aura surtout fait des siennes ses dernières années en s’associant à la production de films d’action de second plan. Question de nous faire douter davantage, nous retrouvons au générique une équipe de scénaristes inexpérimentés, ou dont la feuille de route s’avère en soi assez peu convaincante. La barre du projet fut confiée quant à elle à Guy Ritchie, qui n’en finit plus de se chercher depuis la belle époque de Snatch. et Lock, Stock and Two Smoking Barrels. Nous pouvions néanmoins apercevoir la lumière au bout du tunnel par l’entremise d’une distribution plus qu’attrayante, comptant en ses rangs l’inimitable Robert Downey Jr. dans la peau du personnage titre, en plus de Jude Law, Mark Strong et Rachel McAdams. Mais ce qui saute surtout aux yeux dans le cas présent, c’est la cure de rajeunissement - et même le changement total de personnalité - que dut subir le héros créé par Sir Arthur Conan Doyle pour rencontrer les exigences de son nouveau public, présentant des traits beaucoup plus excentriques tout en étalant un bagage de connaissances qui lui étaient autrefois étrangères. L’exercice s’avère réussi, même s’il retombe beaucoup trop souvent dans les vieilles habitudes les plus coriaces de son genre. Ritchie et son équipe auront néanmoins su jouer leurs cartes avec intelligence, et surtout opportunisme, en s’inspirant des plus récents succès du principal protégé des studios Warner.

Le cinéaste britannique quitte ainsi momentanément l’univers contemporain de ses magouilleurs habituels pour s’immiscer dans le Londres de la fin du dix-neuvième siècle. À sa façon, Ritchie s’aventurera sur un terrain partageant plusieurs similarités avec celui qu’avait défriché son compatriote Christopher Nolan en 2006 avec son excellent The Prestige, nous ramenant à une époque où la magie (noire) et le surnaturel expliquaient encore ce qui n’avait pas été rationalisé par les dernières percées dans les domaines des sciences et des technologies. Les deux opus présentent ainsi des personnages cherchant à mystifier la population de l’époque, et le spectateur par la même occasion, par l’entremise de différents tours de passe-passe. Si les fins visées sont en soi fort différentes, l’objectif ultime du principal protagoniste sera néanmoins dans les deux cas de comprendre les rouages d’un acte semblant, à première vue, être le fruit de pouvoirs extraordinaires. Le scénario de Sherlock Holmes ne perd d’ailleurs pas de temps à se mettre en marche. Nous suivons alors le détective et le Dr. Watson (Law) tandis que ceux-ci tentent de stopper les machinations diaboliques du puissant Lord Blackwood (Strong). Après une confrontation musclée au cours d’un rituel mystique, le duo passera finalement les menottes à son adversaire, qui restera étonnamment passif vues les circonstances. Après son exécution, Blackwood viendra de nouveau hanter la population londonienne lorsque le gardien d'un cimetière jurera avoir vu le défunt sortir de sa tombe et prendre la fuite. Les deux héros ne seront toutefois pas les seuls à vouloir retrouver la trace du fantôme en question alors qu’une voleuse professionnelle (McAdams) - et ancienne flamme de Holmes - tentera elle aussi de faire la lumière sur les manigances du pseudo mort-vivant pour le compte d’un mystérieux professeur. Évidemment, tout ce beau monde finira par découvrir que les actions du Lord anglais sont en soi liées à un inévitable complot menaçant l’ordre et l’équilibre politique de la planète entière.

Le principal problème de Sherlock Holmes ne se situe pas tant sur le plan de l’exécution plus qu’au niveau des procédés narratifs employés pour raconter, et surtout déchiffrer, les grandes lignes de son histoire. Ainsi, nous avons, certes, droit ici à une vision beaucoup plus décontractée de l’univers du célèbre personnage, mais l’une qui n’a pourtant aucune difficulté à prouver sa propre pertinence, usant de rigueur et d’intelligence dans le développement de son intrigue tout en sachant alléger le ton par l’entremise d’un savant mélange d’humour visuel et pince-sans-rire. L’un des principaux facteurs de cette réussite demeure évidemment la performance de Robert Downey Jr. qui, une fois de plus, s’approprie les traits de son nouvel alter ego avec un plaisir plus que manifeste. Une bonne partie des louanges reviennent également à la mise en scène et à la direction d’acteur tout ce qu’il y a de plus compétentes de Guy Ritchie, qui aura su imposer ses tics, tels ces nombreux ralentis, sans que le tout ne paraisse jamais inopportun - ou simplement désuet. Mais si le rythme soutenu auquel progresse l’ensemble assure un certain équilibre entre tous les éléments nécessaires au succès d’une telle entreprise, nous devons bien reconnaître cependant que les péripéties proposées par l’aventure Sherlock Holmes ont parfois tendance à manquer de fougue et de panache. Il faut dire que les artisans du présent effort ne semblent avoir qu’une quantité assez limitée de tours dans leur sac, eux qui ne jureront bien souvent que par le fameux flashback pour se sortir d’impasse - comme pour cette séquence de résolution finale plutôt lourde dans laquelle Holmes dévoilera finalement, et ce, en un seul monologue, l’ensemble des indices qu’il accumula silencieusement au cours de son enquête. Une décision qui aura évidemment pour effet d’amputer grandement le niveau d’implication du public, qui est pourtant plus qu’indispensable à l’adhérence à ce genre de divertissements.

Une telle faute traduit certainement un manque d’effort de la part des scénaristes, voire un manque de confiance en leurs propres moyens, mais également en ceux du spectateur - à qui ils auront préféré donner toutes les réponses d’un seul coup plutôt que de se fier à son bon jugement. Mais si l’emploi de ce type de raccourcis est jusqu’à un certain point excusable dans ce cas-ci étant donnés les codes et les origines du genre, il ressort néanmoins de cette initiative une façon plutôt paresseuse de boucler la boucle, laquelle aura permis aux instigateurs du projet de ne pas trop avoir à se soucier de l’importance de menus détails en cours de route. Néanmoins, Sherlock Holmes demeure un produit que ses créateurs développèrent visiblement avec beaucoup de soin, notamment au niveau de la direction artistique, mais aussi dans le choix des influences, solidifiant leurs propres bases en reprenant quelques-uns des éléments les plus concluants des plus récentes réussites hollywoodiennes. Outre un faible évident pour les opus du maître Nolan - voir le traitement du personnage de Moriarty en fin de parcours, comparable de bien des manières à celui du Joker dans Batman Begins en plus de servir lui aussi de tremplin vers un inévitable second épisode - les auteurs s’inspirèrent également des derniers James Bond (pour ne parler que de ceux-là), auxquels ils reprirent la vieille idée d’une confrérie machiavélique cherchant à renverser l’ordre établi. Tout cela sans compter ce discours toujours très présent sur la façon dont les hommes de pouvoir tentent de maintenir leur suprématie sur la masse par l’entremise de la peur, qui passera éventuellement ici par une diabolisation particulièrement habile de l’arme biologique. Bref, le film de Guy Ritchie livre la marchandise, même s’il semble souvent pris entre deux époques. Espérons tout simplement que ses artisans sauront imposer davantage leurs méthodes lors du second tour de piste…
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Critique publiée le 11 mai 2010.