WOCHE DER KRITIK : Les 10 ans de la Semaine de la critique de Berlin
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Nightmare on Elm Street, A (2010)
Samuel Bayer

La lobotomie de Freddy

Par Laurence H. Collin
Rembobinons la cassette jusqu’en 1984 ; l’année où Amadeus, Ghostbusters et Paris, Texas ont vu le jour. L’année marquant la première mission de la navette spatiale Discovery. L’année où Ronald Reagan entamait son second mandat à la maison blanche, ne déclenchant aucune technocratie néofasciste que George Orwell aurait pu prophétiser. Oui, retournons en 1984 et discernons les germes d’une tendance cinématographique diablement persistante, pour le meilleur comme pour le pire. Cette année-là, les icônes du slasher se retrouvaient en piteux état : trois ans avaient passé depuis le dernier passage de Michael Myers au grand écran et Jason Voorhees venait de s’effondrer sous la machette du petit Tommy Jarvis dans Friday the 13th : The Final Chapter (c’était avant, bien sûr, que nous apprenions la flexibilité inouïe du mot « final »). Les partisans du magazine Fangoria étaient désormais sans héros. Mais avant même que quiconque n’ait le temps de proclamer la tombée du rideau sur le cinéma de jeunes adultes massacrés, on criait déjà « longue vie à Freddy! » ; en novembre 1984, A Nightmare on Elm Street de Wes Craven envahit les salles de l’Amérique, cimentant sa place dans la culture populaire et garantissant toute une foule de fanas pour les inévitables suites. La vague commandée par Craven fut si immense que durant les années suivantes, presque tous les films du genre joueraient la carte du surnaturel alors que pratiquement aucun d’entre eux ne le faisait auparavant.

Vingt-six ans plus tard, les codes se sont faits, défaits et refaits. Les caisses enregistreuses ont sonné, parfois abondamment et parfois pas du tout. Quelle non-surprise, donc, que cette redite de A Nightmare on Elm Street, expédiée tout juste avant la saison des blockbusters par la maison de production Platinum Dunes (celle-ci s’étant d’ailleurs chargée des nouvelles couches de vernis sur The Texas Chainsaw Massacre, The Amityville Horror, Friday the 13th et The Hitcher). Et quelle non-surprise que son inefficacité accablante, son cachet mille fois épuisé et son manque d’imagination embarrassant. Ici, la meilleure comparaison possible avec un objet tangible serait avec l’une de ces boîtes de jus au produit chimique et surélevé en fructose - celles affublées d’un emballage coloré forçant presque l’achat, mais qui affiche en tous petits caractères l’indication « ne contient pas de vrai jus ». A Nightmare on Elm Street version 2010 possède un récipient lustré, à la mode ; mais une fois son couvercle retiré, sa vacuité ne peut faire autrement que de susciter l’hostilité envers ses producteurs.

Amorcé par un générique dont le sentiment de menace dégagé est inversement proportionnel aux efforts fournis afin de sembler « dérangeant », la reprise signée Samuel Bayer (réalisateur de vidéoclips, dont notamment celui du Smells Like Teen Spirit de Nirvana) nous introduit à une galerie d’adolescents interchangeables, tous personnifiés par des acteurs dans la vingtaine. Jusqu’ici, rien d’inédit, mais rien d’offensant. On comprend rapidement que l’un d’entre eux en particulier, soit Dean (Kellan Lutz), souffre d’atroces cauchemars dans lesquels un homme au visage horriblement défiguré et au gant droit muni de griffes métalliques lui fait des menaces (pour la toute première fois, Freddy Krueger n’est pas interprété par Robert Englund, mais bien par Jackie Earle Haley). À moitié endormi et marmonnant à un assaillant invisible, Dean tranchera sa propre gorge devant ses amis. À ses funérailles, quatre d’entre eux, soit Nancy (Rooney Mara), Quentin (Kyle Gallner), Jesse (Thomas Dekker) et Kris (Katie Cassidy) réaliseront que leurs mauvais rêves sont bizarrement similaires, et que la même figure sinistre s’y retrouve toujours. Manifestement, le meurtrier de leurs songes possède un secret impliquant leurs parents, et même possiblement un mystère datant de l’époque de leurs jours à la maternelle.

Faux pas numéro un, duquel résultera une dégringolade en continu : le dévoilement immédiat de la menace qu’est Freddy Krueger. L’ouverture du Nightmare on Elm Street produit en 1984 se déployait sans fanfare, mais elle demeurait assurément inquiétante : après une bonne trentaine de minutes, le premier choc majeur imposé au public était celui d’une mise à mort complètement disjonctée érigeant clairement les mesures iconiques employées par le malfaiteur. Ici, avec à peine dix minutes d’affichées au compteur, le sang a déjà coulé et la jeune distribution broie du noir, le regard contrarié. Bien évidemment, les nouveaux scénaristes présument que leur public entre dans la salle en sachant bel et bien qui est Freddy et à quoi ressemblent ses manoeuvres diaboliques - mais aucun élan narratif ne résultera de ce raccourci idiot, bien au contraire. L’exercice de comparaison avec la version de 1984 est une activité qui n’engendrerait que frustration et colère, alors tentons de ne pas trop s’y frotter. Mais le bilan demeure celui-ci dans tous les cas : chaque foulée dans une nouvelle direction (par exemple, le passé révisé de Freddy) ne mène strictement à rien, et tous les éléments recyclés (les meurtres granguignolesques, les digressions oniriques) se dégonflent avant même de pouvoir prendre vie. Toute l’ineptie proposée fait dévaler cette production de Michael Bay du stade « si minable que c’en est bon ». A Nightmare on Elm Street est si minable qu’il en est… minable.

Il était parfaitement absurde, bien entendu, d’espérer autre chose de ce nouvel élan qu’une simple moulée corporative destinée à puiser dans le portefeuille des vendus d’avance. La pauvreté commune de beaucoup trop de « remakes » rajoutant déjà au scepticisme semblerait d’ailleurs empêcher une trop grosse déception de se produire. Mais le traitement réservé ici au récit original et à ses personnages, amputé de sa fantaisie macabre et de ses tics humoristiques, s’avère particulièrement amorphe. À commencer par le portrait de ces jeunes ébahis devant les circonstances aussi sinistres que surréalistes ; loin de représenter le point fort de l’oeuvre de Craven, direz-vous, mais néanmoins esquissés de façon à clairement signaler la personnalité de chacun pour ensuite pouvoir y cerner notre héroïne improbable. Dans le cas présent, rarement aura-t-on vu des supposés « protagonistes » déambuler avec aussi peu de caractère et de traits spécifiques. Mal dirigés et à la merci d’un script sans le moindre relief, les comédiens choisis livrent tous une performance très négligeable, apparemment exclusivement poussés à fixer le vide et à décrire de façon inexpressive leurs horribles visions.

Cette oppressive monotonie ne quitte jamais vraiment l’écran, de la scène d’ouverture mollassonne à cette conclusion prévisible à en gémir de honte. On aura beau cru bon de confier la stature du mythique croquemitaine à un acteur de grand talent pour agrémenter le tableau (et avec raison), mais encore là, il y a peu dire de la composition douteuse offerte par Haley. Égaré dans les inconsistances de la relecture du personnage (Krueger est-il une entité féroce? Comique? Incomprise?), ses quelques tentatives d’intégration d’une gestuelle authentique se perdent bien vite dans un composite d’effets de montage spasmodiques franchement ratés. À cet égard, la réalisation clinquante de Bayer accompagnant les coupures canonnées manque cruellement de flair quant à l’anticipation et la tension dramatique. Empilant sursaut à deux cents par-dessus sursaut à deux cents, celui-ci divulgue presque délibérément d’avance la prise dans laquelle le sujet filmé sera surpris à un certain point où la théorie du sabotage interne paraît de moins en moins insensée. On ne saurait le blâmer de vouloir piller l’entreprise : devant autant d’exultation et d’ironie ainsi siphonnées, il serait effectivement fort tentant d’émietter la carcasse vide d’une bête que l'on ne cesse de ressortir de la morgue.
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Critique publiée le 10 mai 2010.