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American Honey (2016)
Andrea Arnold

Une jeunesse américaine déchue

Par Claire-Amélie Martinant

« She grew up on the side of the road where the church bells ring and strong love grows. She grew up good, grew up slow like American honey.
 
Steady as a preacher, free as a wheel, couldn’t wait to get going but wasn’t quite ready to leave. So innocent, pure and sweet American honey.
 
There’s a wild, wild whisper blowing in the wind, calling out my name like a long lost friend. Oh I miss those days as the years go by. Oh nothing is sweeter than summertime and American honey.

Get caught in the race of this crazy life, trying to be everything can make you lose your mind. I just wanna go back in time to American honey, etc. »
 

Nul doute que les paroles de la mélodie de Lady Antebellum, American Honeyfont écho d’une manière plutôt artificielle à la mélancolie d’une époque révolue, celle de l’impétuosité de la jeunesse, de ses aspirations et de ses élans. La dernière réalisation de Andrea Arnold, qui curieusement a retenu l’attention du jury du Festival de Cannes 2016, n’a pas cherché à aller plus loin en reprenant littéralement le même titre, American Honey, afin de nous livrer l’histoire d’une génération américaine candide, en mal de vivre, aux croyances et valeurs dépouillées de sens, tout aussi vide qu’une coquille de noix.
 
Star (nommée ainsi par sa mère en référence aux étoiles de la mort, de réelles bombes à retardement qui détruisent tout sur leur passage), accompagnée de son demi-frère et de sa demi-sœur, ratisse le dépotoir d’un supermarché à la quête de nourriture consommable, destinée à subvenir aux besoins d’une famille déchirée aux prises avec un père abusif et alcoolique. Croisant le regard séducteur et insistant de Jake en qui elle voit un salut profitable, elle se déchargera de la lourde tâche d’éduquer les enfants qui ne sont pas les siens et s’aventurera dans l’inconnu, pleine d’une naïveté légitimée par son attirance pour le divertissement ostensible, prédisposée à saisir les opportunités de dévergondage et d’expériences en tout genre s’offrant à elle.
 
Le road trip dans lequel elle s’embarque autour de plusieurs jouvenceaux et jouvencelles vivant de tout et de rien, aussi égarés les uns que les autres, s’avère barbant et quelque peu affligeant d’abrutissement. Si tous rêvent en grand et en couleur de l’american way of life, ils voient dans le dépouillement numéraire des résidents des quartiers embourgeoisés et étonnamment des banlieues qui les ont vu naître — sûrement dans un esprit de vengeance de leurs conditions sociales bancales ? — une chance unique d’ouvrir en grand la porte de l’audace triomphante des possibilités infinies. L’argent facile est sur toutes les lèvres. Communément et aveuglement, ils exécutent à la lettre les règles établies par la matonne aux prunelles dédaigneuses prénommée Krystal qui se pavane en bikini à l’effigie du drapeau américain, se déplace en décapotable toujours avec son sbire, usant de la menace pour chaque égarement ou insuffisance de revenus. C’est simple, ces jeunes vivent leurs moments avec une énergie mimétique et tapageuse d’un jour sans lendemain, croyant goûter à l’exaltation de la vie, découvrir la recette du bonheur assuré et échapper à leur passé dérangeant et étouffant. Cependant, ils ne semblent pas se conscientiser du fait qu’ils reproduisent la maltraitance et la violence dans laquelle ils ont toujours baigné sans être en mesure de s’en écarter en encourageant l’irrespect, l’humiliation et l’asservissement sous couvert de blagues, de moqueries et d'autres jeux dont le niveau équivaut celui des épreuves de bizutage universitaires. Ainsi leur situation ne fait que s’envenimer un peu plus sous des faux-semblants d’aventures à la Jack Kerouac qui se confondent à notre grande déception en un mirage aux eaux miroitantes..
 
Il eut été fort probable que le même sujet traité sous forme documentaire aurait été d’autant plus intéressant qu’il aurait pu présenter plusieurs pistes de réflexion, décrypter l’environnement social et économique de ces adolescents, recueillir leurs rêves, leurs pensées pour nous éclairer sur les origines de ce glissement et de cette perte de soi. N’en déplaise à la réalisatrice qui prend le parti de dépeindre une Amérique désorientée, en perte de contact avec la réalité, affublée d’images sexy et creuses se ralliant à ses comparses Sofia Coppola (The Bling Ring) et Terrence Malick (Knight of Cups) dans la démonstration du vide par le vide. Ce qui est gênant avec American Honey, c’est qu’il encourage l’expansion de comportements outranciers sans les dénoncer, en nous les présentant d’une manière seulement enjolivée créant dans nos esprits un fantasme de dépravation, comme une douce liqueur à la vertu empoisonnante.
 
Le seul attrait du film résiderait dans la popularité, l’attraction physique qu’exercent les comédiens qui nous entraînent dans la fête et s’apparentent au jeune loubard que l’on a tous rêvé d’être un jour. Même si l’utilisation du format 1:37 et des plans à hauteur d’épaule renforcent judicieusement la proximité avec les personnages, faisant du spectateur un comparse fantôme de cette joyeuse bande, la forme et la direction des interprètes ne suffisent pas à proposer une avenue de secours qui mettrait en exergue une réalité autre que celle de la démonstration du vide et du superficiel.   
 
Une chose est certaine, on préférera la substance et le récit de Fish Tank qui sortait des sentiers battus et recevait il y a quelques années le prix du Jury du Festival de Cannes, et ce à juste titre.
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Critique publiée le 7 novembre 2016.