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Animosity (2013)
Brendan Steere

Le pleurote qui rêva d’être une truffe

Par Olivier Thibodeau
Bien qu’on ne puisse douter de l’enthousiasme du prolifique jeune réalisateur Brendan Steere, ce deuxième long-métrage (produit 4 ans après Dead by Dawn) exhibe tous les mauvais plis d’une première œuvre. La prémisse est beaucoup trop ambitieuse pour les capacités scénaristiques du jeune homme, la pauvreté de la production mine sans cesse l’atmosphère d’épouvante cruciale à l’efficacité du film, et le jeu inégal des interprètes compromet totalement l’impact des personnages. Le résultat est un effort confus et tarabiscoté qui échouera à stimuler à la fois notre curiosité intellectuelle et morbide. Le tout démarre pourtant très bien, alors que nous sommes lancés in media res au milieu d’un massacre à la scie circulaire perpétré par une mère contre sa fille. Le style direct et le contenu musclé de cette séquence nous rappellent tout de suite le cinéma d’exploitation des années 70, et elle est joyeusement agrémentée de la pincée d’humour idéale pour en alléger le propos. Évidemment, on ne sera pas convaincu par les lamentations de la jeune fille, dont les abrasifs « Mommmmmmy » seront l’objet de ridicule auprès de la foule assemblée pour l’occasion, mais on n’y verra là qu’un contrecoup nécessaire de la petitesse du budget. On notera aussi avec joie le nom de Roy Frumkes, crédité ici à titre de producteur exécutif. Malheureusement, le scénariste et producteur du cultissime Street Trash (1987) ne fait plus ici affaire avec l’excellent réalisateur et directeur photo Jim Muro, et cette réalité nous semblera évidente dès les instants suivants, alors que la platitude absolue des images tournées par Steere rivalisera sans cesse avec sa mégalomanie scénaristique, défauts qui finiront par sacrifier la simplicité d’un genre éprouvé sur l’autel de l’impétuosité juvénile. 
 
On aura beau nous répéter ad nauseam que l’appréciation du film n’est possible qu’en ignorant les ramifications du scénario, mais je préfère ici opposer l’obscurantisme de cette proposition à une transparence absolue, laquelle permettra au spectateur de faire un choix véritablement éclairé lorsque viendra le moment d’évaluer l’œuvre à l’étude. Le récit s’articule autour des tribulations de Carrie et Mike, couple américain en apparence normal. Venant tout juste d’emménager dans leur première maison, demeure cossue située en plein milieu des bois, les deux jeunes gens feront bientôt la rencontre d’un voisin fêlé nommé Tom. On croira alors à la présence d’un thriller psychologique opposant le couple à cet instable ermite, dont la présence initiale crève l’écran. Malheureusement, on découvrira vite que rien n’est si simple dans l’univers de Brandon Steere, alors que plusieurs personnages périphériques font soudainement leur apparition. Un jeune voleur qu’elle n’a jamais rencontré prétend ainsi connaître Carrie lorsqu’elle le confronte à l’extérieur de son domicile, forçant celle-ci à enquêter sur la nature exacte de sa situation. Ce qu’elle découvrira alors dépasse l’entendement, à savoir qu’elle se révèle n’être qu’une copie spontanée de la femme décédée de Mike, apparue miraculeusement dans la maison de celui-ci au lendemain de sa mort (à la manière du Tom Cruise de Edge of Tomorrow). Elle se révèle d’ailleurs être une énième copie, les précédentes ayant succombé aux expériences médicales atroces conduites par Mike et son employeur, le caractériel Dr. Carl Hampton. S’ensuit alors un récit de vengeance aux allures familières, alors que Carrie s’efforce mécaniquement de combattre les forces antagonistes dressées contre elle à renfort de ruse et d’armes primitives.
 
Malgré l’enthousiasme des programmateurs, qui voient dans cette prémisse sentencieuse un joyau de densité narrative, cette dernière s’avère non seulement illusoire, mais nuisible à l’efficacité du film en tant qu’objet de genre. Outre l’intrusion d’un élément de science-fiction sous-développé se heurtant avec la nature épurée du scénario de vengeance, on notera que la complexité de la prémisse s’opère au détriment du développement des personnages, dont la simple appartenance à des archétypes ronflants servira d’entière validation. Cette limite évidente du récit neutralisera du coup toute implication dramatique, faisant de son déroulement un exercice stérile de slalom narratif. Nous resterons donc indifférents au drame de Carrie, dont les antécédents demeureront mystérieux malgré les 112 minutes d’action, mais surtout à celui de Mike, dont la crise de conscience finale nous apparaîtra creuse et incongrue, faute d’un ancrage psychologique dans laquelle pouvoir l’inscrire. Le jeu inégal des interprètes n’aide pas non plus à brosser un juste portrait de leurs personnages, surtout que plusieurs dialogues cruciaux sont délivrés de façon maladroite et précipitée. En fait, toute la finesse nécessaire à l’incarnation de personnages aussi complexes se révèle complètement étrangère aux acteurs rassemblés pour l’occasion, énième preuve de l’enchevêtrement excessif d’un film dont on n’appréciera finalement que les éléments d’horreurs les plus primaires, spectacle de l’héroïne ensanglantée et séances diverses de torture porn vicieux. 
 
Si l’entreprise pâtit surtout des excès scénaristiques de Steere, elle est également accablée par une myriade d’insurmontables défauts techniques. On notera ainsi que l’exécrable paysage sonore et l’éclairage déficient compromettent toute tentative de créer un climat d’horreur digne de ce nom. En effet, la notion de « silence habité » semble étrangère à toute l’équipe de production, si bien que l’entièreté des nombreuses scènes intérieures semblent se dérouler dans d’horribles limbes domestiques, impression qu’accentue encore la grande pauvreté des décors. On préférera pourtant le silence incongru de ces ennuyeuses séquences à la cacophonie subséquente, alors que Steere propose une constante surenchère d’effets sonores tonitruants visant à télégraphier tous les éléments d’épouvante. Pour ce qui est de l’éclairage nocturne, il se révèle presque absent, forçant le spectateur à plisser les paupières afin de distinguer les décors dans lesquels évolue la protagoniste. À ce titre, on se souviendra particulièrement d’une scène où Carrie explore le bureau de Mike au milieu de la nuit, posant son regard sur de nombreux accessoires complètement obscurcis par la noirceur ambiante, allant même jusqu’à tenir un journal près de la caméra pour nous inviter à y déchiffrer une poignée de caractères illisibles. Au-delà de ces quelques problèmes spécifiques, toute la mise en scène est bâclée par un trop-plein d’effets de style, plans pris de l’intérieur d’une boîte, travellings circulaires, plans subjectifs non assignés, et autres fioritures de débutant qui contribuent bien malgré eux à un amateurisme étouffant toute la production. 
 
À voir la vitesse avec laquelle Steere multiplie les productions, courts ou longs-métrages d’horreur tournés avant et pendant son séjour à la faculté des Beaux-Arts de Manhattan, on peut difficilement douter de son ambition. Malheureusement, il ne faudrait pas que toute son ambition tourne à la démesure, tel que ce fut le cas ici, sans quoi il risque de tomber lui-même dans l’oubliette ouverte pour y pousser le cadavre d’un film d’exploitation mutilé dont il n’aura su reconnaître la simplicité intrinsèque.
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Critique publiée le 22 juillet 2014.