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Nausicaä of the Valley of the Wind (1984)
Hayao Miyazaki

Un espoir après l'apocalypse

Par Alexandre Fontaine Rousseau
Bien qu'il ait signé un premier long-métrage de commande en 1979, c'est cinq ans plus tard avec Nausicaä de la vallée du vent qu'Hayao Miyazaki s'affirmera réellement à titre « d'auteur » cinématographique. Coup d'envoi, coup de maître: cette adaptation d'un manga écrit par Miyazaki lui-même établit d'emblée les préoccupations qui marqueront son oeuvre, et les revenus générés par son formidable succès au box-office japonais permettront au cinéaste de fonder sa propre boîte de production Studio Ghibli en 1985. Certes, la facture esthétique a grandement évolué depuis Le château de Cagliostro - et Miyazaki définit ici les grandes lignes d'un style visuel qu'il peaufinera par la suite sans véritablement en altérer l'essence. Mais la véritable force de ce Nausicaä tient à sa manière d'employer les conventions du fantastique post-apocalyptique pour présenter une vision déjà très personnelle - et pertinente - du monde réel. Aux escapades hédonistes que proposaient alors des productions occidentales telles que Heavy Metal, le cinéaste nippon oppose une fable écologiste et pacifiste dépourvue de toute provocation gratuite et puérile; en guise de réplique au cul-de-sac auquel faisait face l'animation « pour adultes », Miyazaki revitalisa l'animation familiale en l'investissant d'une gravité thématique qui va lui conférer une authentique noblesse morale. Nausicaä jette les bases d'un projet que Miyazaki poursuivra sous plusieurs formes différentes, en s'adressant à différents publics au fil des ans: divertir sans abrutir, attendrir sans aseptiser et produire au final un cinéma universel qui ne soit pas pour autant générique.

De par son univers, Nausicaä de la vallée du vent ne s'éloigne pas drastiquement des conventions de l'animation fantastique japonaise; l'action se situe dans un avenir où l'humanité, disséminée par une guerre catastrophique, a régressé vers une certaine mentalité féodale. Différents peuples luttent pour leur survie dans cet environnement âpre où s'étend la menaçante « mer de corruption », gigantesque forêt peuplée d'insectes géants et de plantes toxiques qui servent d'éboueurs dans un écosystème ravagé par la pollution humaine des siècles passés. Déjà, ce détail dévoile l'un des principaux piliers du discours que Miyazaki développera au fil de son oeuvre: cette conception de l'univers en tant qu'organisme harmonieux, symbiose représentée dans le cas présent par une force antagoniste qui s'avère en réalité essentielle à la survie de ceux qui cherchent à la détruire. L'humanité, pour perdurer, se doit chez Miyazaki de prendre conscience de cette fondamentale synergie qui l'unit à la nature. C'est dans ce sens qu'abondera, par exemple, la conclusion du sublime Princesse Mononoké de 1997 - film qui trouve en partie sa genèse dans l'univers habilement dépeint par Nausicaä - mais aussi, plus subtilement, tout le processus d'apprentissage des deux jeunes protagonistes de Mon voisin Totoro.

Déjà, ce qui impressionne chez Miyazaki c'est l'absence d'un discours manichéen réduisant les conflits à une opposition simpliste entre le bien et le mal; ses personnages sont tous (exception faite comme toujours de son héroïne, symbole de pureté et par extension de l'idéalisme qui est règle générale défendu par ses films) dépeints d'une manière nuancée, en tant qu'individus bien intentionnés qui commettent par intransigeance des erreurs de jugement fatales. Cette finesse d'écriture place Miyazaki dans une classe à part en son genre, son moralisme se démarquant par les zones d'ombres dont il fait état. Chez lui, les conflits idéologiques - bien qu'ils émanent comme c'est souvent le cas dans la science-fiction de la structure même de l'univers fictif - prennent racine dans l'homme; et c'est l'homme qui par ses décisions peut ou non assurer son salut. Porteur d'un bel humanisme à la limite naïf, le cinéma d'Hayao Miyazaki défend les valeurs de la compassion et de la coopération tout en réaffirmant l'importance capitale de la responsabilité: un programme d'autant plus ambitieux que le cinéaste se refuse tout autre outil que la narration pour parvenir à ses fins, plaisir immédiat du spectateur oblige. Le cinéma, pour lui, doit remplir cette double fonction de divertir et d'éduquer - il permet au spectateur de s'échapper du monde sans y échapper.

Ainsi, le film trouve un juste équilibre entre la mise en scène de séquences d'action épiques et la démonstration sensible de situations dramatiques qui renvoient à une réalité plus sinistre que Miyazaki refuse d'exorciser complètement de son univers fantastique. De l'expansion impérialiste à la vie sous l'occupation, les thèmes abordés par le cinéaste dépassent la simple question écologique - quoique celle-ci demeure centrale à son récit, et fournisse au film le prétexte de ses plus belles séquences. Déjà, dans Nausicaä de la vallée du vent, la progression narrative prend des pauses pour céder le pas à des séquences de poésie visuelle pure, comme par exemple cette escapade sous la mer de corruption qui est mise en images avec un authentique souffle poétique; le dessin, sans égaler la richesse de productions ultérieures comme le somptueux Voyage de Chihiro, dépasse déjà les standards de l'animation nippone par son attention au détail et la fluidité de ses mouvements.

S'attaquant à un genre hanté par ses conventions avec une sensibilité très personnelle, Miyazaki prouve avec l'excellent Nausicaä de la vallée du vent qu'il est en mesure de monter une mythologie unique - allégorie de ses peurs et aspirations, de ses croyances profondes et de sa conception de l'histoire. Auteur à part entière même s'il cherche par son cinéma à s'adresser au plus large public possible, le cinéaste ne fait pas que parler d'entraide et de solidarité. Héritier de la tradition des conteurs, il investit le cinéma d'une mission de rassemblement, unissant autour de ses fables généreuses cultures et générations. C'est dans cette optique que le choix d'inventer de nouveaux mythes prend tout son sens. En s'éloignant des modèles culturels établis (sans pour autant renier les structures classiques), Miyazaki propose une oeuvre réellement universelle. Les défenseurs du concept de « cinéma national » s'en offusqueront peut-être mais le conteur, par ce parti pris, arrive à transcender les frontières et à partager un message qui - prêt d'un quart de siècle plus tard - semble à la limite plus pertinent que jamais. Le réalisateur signerait par la suite des oeuvres plus abouties, au propos plus complexe et à la structure narrative plus maîtrisée. Mais, avec Nausicaä de la vallée du vent, il s'affirme déjà comme l'un des grands du royaume de l'animation.
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Critique publiée le 28 septembre 2008.