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Bataille de Solférino, La (2013)
Justine Triet

Politique familiale

Par Jean-François Vandeuren
Les luttes politiques et les relations interpersonnelles se révèlent souvent le miroir l’un de l’autre, projetant, par la même occasion, le reflet d’une certaine réalité sociale. La bataille de Solférino, premier long métrage de fiction de Justine Triet, vient habilement positionner une mésentente entre deux parents séparés au coeur des présidentielles françaises de 2012. Durant les heures qui auront précédé et suivi la victoire de François Hollande, nous assisterons à la guerre de tranchées que se livreront Laetitia (Laetitia Dosch) et Vincent (Vincent Macaigne). La mère monoparentale ne saura d’abord plus où donner de la tête lorsque son ex-conjoint se présentera devant l’immeuble où elle habile dans l’espoir de passer du temps avec leurs deux filles. Appelée à couvrir les élections devant les bureaux du Parti socialiste pour un important réseau de télévision, Laetitia confie ses enfants à Marc (Marc-Antoine Vaugeois) en lui ordonnant de ne jamais laisser Vincent les approcher, prétextant que ce dernier serait violent. Un premier affront qui marquera le début d’une très longue journée pour le père, qui cherchera simplement à obtenir ce qui lui revient de droit (littéralement).

Le film de Justine Triet repose ainsi sur autant d’oppositions que de vives contradictions, révélant le portrait d’une France confuse, fortement divisée, forcément réactionnaire, ne semblant pas toujours savoir quelle position adopter face à sa propre devise de même que ses plus profondes convictions. Un feu n’ayant besoin que d’une seule étincelle pour prendre rapidement des proportions démesurées que la réalisatrice abordera dans un premier temps par l’entremise des témoignages des supporters des deux candidats à la présidence – plusieurs scènes du présent exercice ont d’ailleurs été tournées sur le vif au cours de cette journée historique. La profonde ironie entourant la condition ainsi que le parcours des principaux personnages s’impose dès lors comme principal moteur d’un drame social des plus virulents. L’intelligence et l’intensité redoutable de la démarche de Triet ressortiront déjà de cette simple tranche de vie qu’elle nous servira en guise de séquence d’ouverture. Ce moment, qui impressionnera d’abord de par la justesse et la véracité des comportements rapportés, s’imposera plus tard comme le premier fondement d’un discours limpide et savamment imagé sur le manque, voire l’absence, de cohésion entre le geste émotif et l’opinion politique.

Les événements de La bataille de Solférino seront d’abord mis en scène et articulés de manière à altérer le point de vue du spectateur par rapport aux deux protagonistes. Triet nous poussera en ce sens à appréhender la présence du père, laissant le poids des mots de Laetitia écraser la moindre intention de son adversaire, et ce, même si le comportement de cette dernière se révélera souvent beaucoup plus répréhensible, tandis que Vincent finira pour sa part par exprimer le discours parental le plus cohérent. Plus l’effort progressera, plus la cinéaste se jouera des apparences comme des réflexes et des habitudes de son auditoire, confrontant celui-ci, par l’entremise de situations tout ce qu’il y a de plus concrètes, à l’étonnante facilité avec laquelle ses opinions et ses sentiments pourront être constamment manipulés. Le tout en dira certainement long sur la façon dont le bénéfice du doute est plus facilement accordé à un parti plutôt que l’autre. Une idée que Triet abordera de manière suffisamment nuancée, visant l’atteinte d’un juste milieu plutôt qu’à renverser complètement la vapeur, tout en se permettant de secouer les fondements de notre propre (im)partialité.

Les passions divisent ainsi beaucoup plus qu’elles unissent dans La bataille de Solférino, et ce, aussi bien sur le plan relationnel que politique. Dans un cas comme dans l’autre, tous cherchent à défendre un certain idéal, espérant tous un peu la même chose, mais à des fins différentes. Nous conviant à une véritable guerre de nerfs entre deux partis se disputant un seul et même enjeu, la réalisatrice nous placera judicieusement dans la position de personnages médians. D’abord de Marc, toujours d’un calme détonnant face aux mascarades répétées dont il sera témoin - et dans lesquelles il sera entraîné à jouer un rôle par la force des choses. Ensuite d’Arthur, qui adoptera un ton beaucoup plus autoritaire face aux enfantillages des deux principaux personnages. Toute la perspicacité de la démarche de Triet relève d’ailleurs de la neutralité du regard privilégié. Un détail qui aura d’autant plus permis à la cinéaste de faire fi de la plupart des pièges de même que des nombreux irritants généralement associés à ce type de prémisses, ayant dû marcher continuellement sur des oeufs pour arriver à ses fins, mais en faisant toujours preuve de suffisamment de discernement pour éviter tout conflit d’intérêt.

Le dernier acte viendra parfaitement cimenter la totalité des intentions mises de l’avant par la cinéaste tout au long de cette lutte acharnée menée sur deux fronts. Et si le film n’en fait jamais directement mention, il demeure tout de même assez difficile de ne pas ressentir ici les contrecoups des deux années de politique française ayant suivi ce jour de mai 2012. Ainsi, tandis que l’euphorie qui s’emparera des habitants de l’Hexagone entraînera d’inévitables débordements dans les rues de Paris, Vincent et Laetitia se retrouveront à bout de souffle pour un ultime face-à-face. Mais tout comme le calme regagnera peu à peu les électeurs, lesquels ne pourront au final que renouer avec le confort de leur foyer et attendre la longue suite des choses aux côtés d’un ennemi redevenu leur semblable, les deux figures parentales parviendront eux aussi à un certain terrain d’entente. La bataille de Solférino s’insurge du coup contre l’affaissement du dialogue à une époque où il est tout à fait possible de gagner son point en faisant la sourde oreille et en ne prêchant qu’aux convertis. Une pensée que Justine Triet aura su encore là canaliser à l’intérieur d’un geste cinématographique aussi vif qu’authentique, résultat d’une mise en scène certainement modeste en apparence, mais néanmoins d’une grande pertinence émotionnelle.
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Critique publiée le 6 juin 2014.
 
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Panorama-cinéma - Volume 2. Numéro 3.

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