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Captain America: The Winter Soldier (2014)
Anthony Russo et Joe Russo

Raser pour mieux reconstruire

Par Ariel Esteban Cayer
Les films de super-héros se suivent et pour la plupart se ressemblent. Du côté privilégié de Marvel Studios, « l’origin story » est une affaire du passé et il s’agit maintenant de solidifier les sous-franchises ; étoffer leurs personnages, approfondir leurs univers respectifs, tout en tissant des liens de plus en plus concrets entre ceux-ci. En d’autres mots, bâtir, toujours bâtir, sans regarder vers l’arrière. Où Iron Man 3 détroussait Tony Stark de son armure, Thor : The Dark World se défaisait de ses ancrages terrestres pour explorer les astres et mettre en place les bases d’un univers cosmique. Si les quelques derniers films de cette colossale franchise étaient dans l’ensemble inégaux, ils étaient surtout quelque peu hermétiques, ne dévoilant cet univers commun qu’au compte-gouttes. Dans cette optique, Captain America : The Winter Soldier surprend, tout autant qu’il brise avec cette continuité pour s’avérer plus ambitieux, voire même plus « important » que la moyenne ; certes il est un prélude calculé pour l’attendu Avengers : The Age of Ultron qui suivra l’an prochain, mais voilà aussi un film dont l’ampleur et les qualités scénaristiques sont, au final, inespérées.  
 
En plus d’offrir un film de super-héros s’inscrivant dans la tradition du thriller paranoïaque, les scénaristes Christopher Markus et Stephen McFeely osent regarder vers l’arrière, utilisant le genre en question pour raser le statu quo ayant donné naissance aux Avengers. Tiré hors de son temps et lancé à la tête d’une équipe de vengeurs confrontés à une invasion extra-terrestre dans The Avengers, nous retrouvons Steve « Captain America » Rogers tentant de s’acclimater à l’idée d’être un soldat de l’État. On le voit jogger autour du Capitole, mais l’Amérique, bien que photographiée comme une carte postale, ne colle plus à sa vision du monde. Le S.H.I.E.L.D. omniprésent et bureaucratique à la solde duquel il œuvre n’est pas le service militaire des années 40, ces agents aperçus dans Captain America : The First Avenger. De plus, le projet Insight s’apprête à être lancée, projet avec lequel S.H.I.E.L.D. planifie déployer de nouveaux helicarriers surpuissants : autant d’outils de surveillance et de terreur à grande échelle qui finiront de tisser un parallèle entre l’Amérique d’Obama et l’univers encore naïf de Marvel, ce dernier confronté ici à l’imaginaire de la guerre à la terreur automatisée, où la figure du super-héros juste et manichéen s’y trouve dorénavant complexifiée. 
 
Une mission bâclée et une tentative d’assassinat confirment plusieurs doutes, et transforment le Capitaine en fugitif. Et comme si ce n’était pas assez, l’apparition du mystérieux Winter Soldier vient davantage compliquer le complot, dont Captain America, ne pouvant plus faire confiance à personne, tâchera de s’extirper avec l’aide de ses seuls alliés, Natasha « Black Widow » Romanoff  (Scarlett Johansson) et Sam « Falcon » Wilson (Anthony Mackie, nouveau venu de la franchise). Si le schéma narratif semble familier, c’est qu’il reprend des motifs clés du thriller d’espionnage et du thriller paranoïaque des années 70 : le fond politique, la tentative d’assassinat, l’appareillage de surveillance de l’État, l’infiltration, les échos de la 2e Guerre mondiale, et ainsi de suite (il s’agit également du genre de prédilection du scénariste Ed Brubaker, dont les bandes dessinées publiées entre entre 2005 et 2012 auront servi d’inspiration pour cette adaptation). Au terme de leur scénario sinueux, Markus et McFeely auront non seulement confronté Steve Rogers à Apple, Marvin Gaye et aux hantises de son passé, mais auront également réussi à façonner un nouveau héros et à le laisser sans balise ni ancrage autre que l’héroïsme pur qui lui est inhérent (et qu’il sera intéressant de voir déployé dans Avengers : Age of Ultron). La réussite du film est dans cet élan de réinvention, cette nécessité de raser afin de mieux reconstruire. De plus, Captain America : The Winter Soldier, en un simple regard vers un genre du passé, court-circuite l’idéalisme du New Deal, commente sur la paranoïa nationale post-Watergate (on retrouve par exemple l'aura de 3 Days of  the Condor et All The President’s Men dans le casting de Robert Redford), pour atterrir dans le monde du Patriot Act, du drone d’Obama et du « data-mining » de la NSA. Il en émerge quelque chose d’étonnamment juste, où les enjeux sont, de plus, ramenés à un niveau humain, politique et non fantastique où la violence (étonnamment présente) est ressentie mano-a-mano. Celle-ci est est moins l’affaire de vaisseaux extra-terrestres rasant des immeubles anonymes que l’histoire de soldats, mercenaires et unités tactiques mitraillant à tout va dans un territoire de guérilla urbaine. Si The Avengers témoignait encore du 11 septembre dans son iconographie, The Winter Soldier s’inscrit parfaitement dans son sillage, témoignant du monde sous surveillance qui en découle et, par cette terreur paranoïaque pouvant s’immiscer dans le quotidien, souligne de manière plus viscérale qu’impersonnelle une grande problématique de l'Amérique contemporaine.
 
Ceci dit, si les thrillers conspirationnistes des années 70 étaient principalement menés par des stylistes hors pair tels qu’Alan J. Pakula ou Francis Ford Coppola (armés de Gordon Willis à la direction photo), cette relecture s’avère, sur le plan esthétique, une bête histoire de technicien. Film de producteur mené par deux réalisateurs de sitcoms, Anthony et Joe Russo (Community, Arrested Development, mais aussi You, Me and Dupree), Captain America : The Winter Soldier possède l’esthétique d’un film tourné rapidement, et sans doute quelque peu comme de la télévision non câblée. Une certaine banalité s’en dégage, et par moment lui convient ; il s’agit tout de même d’un film se déroulant principalement dans la grisaille des bureaux, des bases souterraines, des porte-avions, des hôpitaux, des autoroutes et autres non-lieux étatiques, pour la plupart adroitement filmés par Trent Opaloch (à la photo de films tels que District 9 et Elysium). Les séquences d’actions s’avèrent quant à elles plutôt confuses, et dans l’ensemble, le résultat final aurait gagné à être davantage recherché, plutôt que simplement assemblé. D’ailleurs, si les films de la « Phase 2 » se sont avérés jusqu’ici plutôt mécaniques – une affaire de producteur et non d’auteur où Alan Taylor de Game of Thrones remplace un Kenneth Branagh sur Thor, par exemple – il sera intéressant de voir si les singularités d’Edgar Wright et de James Gunn réussiront à teinter Ant-Man et Guardians of the Galaxy
 
Dans un film où le passé de Steve Rogers revient le hanter, un joli parallèle est créé par cette citation du thriller politique spécifique aux années 70, tout autant qu’il s’y voit brillamment transposé, et transformé comme le Capitaine lui-même à l’issue du film. Outre ses lacunes esthétiques, Captain America : The Winter Soldier demeure un film propulsif et efficace duquel l’univers cinématographique de Marvel émerge profondément transformé. On contourne ainsi une certaine fatigue risquant de s’installer face à l’éternel film de super-héros, et bien qu’elle ait encore le temps de nous rattraper, on se permet d’être étonné que l’énorme franchise ait encore autant de cordes à son arc.  
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Critique publiée le 9 avril 2014.