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I'm Here (2010)
Spike Jonze

L’amour en pièces détachées

Par Maxime Monast
Suite au désastre financier éventuel et aux nombreux déroutages qu’à vu la production de l’adaptation cinématographique du chef-d’œuvre de Maurice Sendak, Where The Wild Things Are, Spike Jonze se trouve dans un moment particulier de sa carrière. Sans trop généraliser, les mots des autres ne l’intéressent plus. Que ce soit Dave Eggers ou bien Charlie Kaufman, l’artiste polyvalent semble trouver un réconfort dans ses propres paroles. I’m Here, un court-métrage produit en partie par Absolut Vodka, se trouve à être le projet personnel qui permettra à Jonze d’explorer un univers qu’il crée de toutes pièces pour la première fois en solitaire. Il nous livre une histoire de romance et de dévotion entre deux robots, Sheldon (Andrew Garfield) et Francesca (Sienna Guillory) dans un monde où l’amour est toujours primitif. 
 
Cela va sans dire que Jonze s’est bâti un excellent curriculum vitae depuis les années 90 et tout ce qu’il a appris avec Where The Wild Things Are est appliqué dans ce court-métrage. Tant techniquement qu’au niveau du développement émotionnel de ses personnages, il réussit à créer un monde que nous sommes capables d’imaginer et de nous y accrocher. Même avec ses concepts innovateurs venus du vidéoclip ou encore avec la mise en scène des idées méta de Kaufman, il a toujours su rendre l’histoire plausible dans ses ramifications les plus folles comme les plus tangibles. En résulte un univers créé par Jonze qui s’avère être une copie quasi conforme de notre réalité, avec l’exception que les robots sont parmi nous.
 
Dans un premier temps, les robots dans le film sont, à leur essence, une autre forme d’humanité. Plus simplement, ils sont carrément une minorité, un autre groupe social. Jonze va même créer une forme de séparation entre les robots eux-mêmes. Certains d’entres eux sont plus esthétiquement modernes tandis que d’autres sont plutôt primaires; la différence entre un vieux PC et un nouveau MacBook Pro si l’on peut dire. De plus, Jonze pousse leur anthropomorphisation en donnant une véritable personnalité à ces machines. Pour celles-ci, l’émotion passe par le ton de voix, la gestuelle et surtout par le regard. Paradoxalement, la performance d’Andrew Garfield est l’une des plus riches et touchante de toute sa carrière, et ce, même si on ne voit jamais son visage.
 
Ensuite, il faut savoir que l’une des marques de commerce de Jonze demeure le traitement émotionnel de ses personnages et leur évolution vis-à-vis l’auditoire. Dans I’m Here, Sheldon est le typique garçon introverti. Il cherche quelque chose et cette chose prend la forme de Francesca. L’amour naissant entre les deux se solidifie. On le voit très vite lorsque Sheldon est prêt à même lui donner ses différents membres pour qu’elle soit à son tour un robot complet. Cette dévotion, pour Jonze, signifie peut-être qu’il faut tout donner pour être en amour. Ce rapport est si fort, si extrême qu’un réalisateur moins habile aurait perdu son auditoire dans une fable bien plus mièvre que touchante. Par contre, ce parallèle est ici tellement pur qu’on devient vite complice de cette dévotion de l’un envers l’autre.
 
Bref, I’m Here consacre Spike Jonze comme un véritable auteur et non plus comme un réalisateur visuel, sorte de metteur en images dont on aurait toujours pu restreindre son talent visionnaire. Le tout n’est pas sans fautes. Plusieurs séquences paraissent étranges et sans lien direct avec le récit, comme ces apartés plus ou moins intéressants et ficelés à même l'histoire d’amour. Même si Jonze se concentre sur cette relation extrême, on se demande que peut-il bien se passer dans ce monde où les robots cohabitent avec les humains... De toute évidence, I'm Here est un premier pas, le premier d’une écriture plus directe et intime, d'une oeuvre unique qui cherche déjà à délimiter le concept qu’il concrétisera dans ses opus à suivre. Rendre tangibles et nobles les choses les plus doucement romantiques, c’est ce qui importe pour Spike Jonze et c’est surtout ce qu’il réussit avec le plus grand brio.
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Critique publiée le 10 février 2014.