WOCHE DER KRITIK : Les 10 ans de la Semaine de la critique de Berlin
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Black Films Matter (1)

Par David Fortin

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Cette liste offre un parcours sélectif de certains films importants réalisés par des Afro-Américains portant majoritairement sur l'expérience afro-américaine, en ne listant pas plus d’une fois le même réalisateur.rice. Elle ne prétend pas à l'exhaustivité, mais sert plutôt de survol éditorial puisé à même une histoire du cinéma encore trop méconnue, mais pourtant extrêmement riche.

LESTER WALTON (1882-1965)  

Cette liste s’amorce non pas avec un réalisateur, mais avec un journaliste sportif et critique de cinéma à ses heures. Militant des droits civiques, diplomate, auteur-compositeur, propriétaire de théâtre et rédacteur, Lester Walton a eu une carrière diversifiée qui a commencé dès 1906 au St. Louis Star, où il devenait le premier journaliste noir engagé à temps plein par le journal. En 1908, il déménage à New York et devient le rédacteur en chef du New York Age, commençant dès lors à écrire sur les films et particulièrement sur la représentation des Noirs au cinéma. Il a également été vice-président de la Negro Actors Guild of America. Il a même flirté avec la politique en 1913 alors qu'il a fait pression avec l'Associated Press pour que le mot « negro » soit orthographié avec un « N » majuscule.

 

WITHIN OUR GATES (Oscar Micheaux, 1920)

Considéré comme le premier cinéaste noir indépendant aux États-Unis, Oscar Micheaux a débuté comme romancier pour ensuite se lancer dans le cinéma. Entre 1919 et 1948, il a réalisé et produit un total de 42 longs-métrages par le biais de sa compagnie, la Micheaux Film and Book Company. Sorti en 1920 Within Our Gates constituait sa réponse à Birth of a Nation (1915) de D.W. Griffith qui était alors très populaire, mais dont se dégageait un racisme évident, incarné par la glorification diégétique du Ku Klux Klan. Le film de Micheaux avait pour but de montrer au public que le racisme blanc était une menace pour la survie des Noirs, contrairement à Birth of a Nation qui décrivait l'existence d'une société noire indépendante comme une menace pour la survie des Blancs. Les autres récits narrés par les films de Micheaux s'intéressent à la vie des Noirs à l'époque des lois Jim Crow, abordant des sujets tels que la violence raciale, le viol, l'oppression économique et la discrimination systémique. L'auteur souhaitait ainsi que la vie des communautés noires soit dramatisée à l’écran de la manière la plus réaliste possible. 

 

A WOMAN'S ERROR (Tressie Sounders, 1922)

Tressie Sounders est reconnue comme étant la première femme afro-américaine à avoir réalisé un film, A Woman’s Error en 1922. Selon le magazine Billboard du 28 janvier 1922, on constate que la publicité du film est centrée sur le caractère historique de la production, et les critiques de l’époque décrivent le film comme un portrait fidèle de la vie dans la communauté noire locale. Il est difficile de savoir comment Tressie Souders en est arrivée à réaliser ce film, et malheureusement aucune copie de celui-ci n’a été retrouvée à ce jour.



FLAMES OF WRATH (Maria P. Williams, 1923)  

Maria P. Williams est connue comme la première femme afro-américaine à devenir productrice de cinéma. Elle débute sa carrière comme militante et écrivaine, autrice en 1916 d'un ouvrage autobiographique intitulé My Work and Public Sentiment dans lequel elle se décrit comme organisatrice et conférencière pour la Good Citizens League, et dont 10% des recettes ont été versés pour la prévention des crimes chez les Afro-Américains. Elle travaille ensuite comme secrétaire et trésorière pour la Western Film Producing Company, dont son mari était président, avant de se voir attribuer des rôles de productrice et d'interprète. Bien qu'il soit rétroactivement impossible de déterminer la nature exacte de son rôle dans la mise en scène du film, la plupart des sources disponibles attribuent même la réalisation de Flames of Wrath à Williams, qui en était aussi la productrice et l’interprète.

 

COMMANDMENT KEEPER CHURCH, BEAUFORT SOUTH CAROLINA, MAY 1940
(Zora Neale Hurston, 1940)
 

Dans les années 1920, l'autrice et anthropologue Zora Neale Hurston a commencé à incorporer le cinéma dans son travail de terrain ethnographique, tirant plus d'une douzaine de bobines dans le Sud des États-Unis afin d'archiver visuellement les personnes, les pratiques et les lieux qu'elle y a rencontrés. Commandment Keeper Church documente les services religieux qui avaient lieu à l'époque dans une communauté Gullah en Caroline du Sud. Les images sont accompagnées d'enregistrements audio réalisés sur le terrain. En 2006, le film a été sélectionné pour la conservation par le National Film Registry de la Library of Congress.

 

DIRTY GERTIE FROM HARLEM U.S.A. (Spencer Williams, 1946)  

Dirty Gertie From Harlem U.S.A. est une adaptation non-officielle de la nouvelle de W. Somerset Maughamde, Rain (1921), adaptée précédemment au cinéma en 1928 (Sadie Thompson de Raoul Walsh) et en 1932 (Rain de Lewis Milestone). Sans être un grand film, Dirty Gertie s'impose comme interprétation du récit de Maugham pour un public racisé. Changeant les noms des personnages et transposant le récit dans les Caraïbes, faisant de la protagoniste une artiste de variété plutôt qu'une prostituée, le film se dote aussi d’une distribution entièrement noire, mais surtout, il donne à Francine Everett l'opportunité de jouer une femme noire sexy et glamorisée, rôle stéréotypé de la femme libre et dangeureuse qui se voyait généralement attribué à des femmes blanches. À l’image des stars des deux adaptations précédentes, Gloria Swanson et Joan Crawford, Everett nous montre qu’elle aurait pu devenir une star elle aussi, si ce n'était des obstacles systémiques placés en travers la route des artistes de couleur dans l’industrie hollywoodienne.

 

SYMBIOPSYCHOTAXIPLASM, TAKE ONE (William Greaves, 1968)

Ce film a été financé de manière indépendante par l'un des anciens étudiants du réalisateur William Greaves à l'époque où il enseignait à l'Office national du film canadien et à l’Actors Studio. Il raconte l'histoire d'un tournage foireux à Central Park. Le réalisateur devient de plus en plus erratique, l’équipe du film devient de plus en plus frustrée par son comportement et les tensions montent. Sis entre fiction et documentaire, cet objet hybride et inclassable fut longtemps oublié avant d’être redécouvert et apprécié à la fois comme le portrait d’une époque, mais aussi l’expérimence méta qu’il est. Greaves présente son concept de symbiopsychotaxiplasme comme une série d'événements qui surviennent au cours de la vie d'une personne et qui ont un impact sur la conscience et la psyché de celle-ci, interrogeant par la même occasion le contrôle qu'elle exerce sur sa propre vie et sur son environnement. On peut s’y casser la tête par moments, mais il s'agit indéniablement d'une oeuvre singulière de la part d’un cinéaste afro-américain ancré dans la mouvance progressiste des années 1960.

 

THE LEARNING TREE (Gordon Parks, 1969)

Sortie de la Warner Bros., The Learning Tree est le premier film d’un grand studio hollywoodien réalisé par un Afro-Américain. Le film est basé sur le roman éponyme du réalisateur Gordon Parks qui retrace un moment décisif dans la vie d’un homme noir du Kansas rural des années 1920. D’une grande beauté visuelle, le film est porté par un rythme calme ponctué de quelques moments durs, et décrit entre autre les abus de pouvoir perpétrés par les autorités blanches à l'encontre des hommes noirs, ainsi que l’absence de conséquences qu'entraînent leurs actions. Se lançant dans le cinéma tardivement, Parks était alors âgé de 57 ans, mais il signe à la fois la mise en scène, le scénario, la production et la composition musicale. Surtout connu pour son film suivant, Shaft (1971), devenu aujourd'hui l'un des plus grands classiques du blaxploitation, The Learning Tree est plutôt ancré dans la tradition réaliste, et il reste l'un des rares films des années 60 à présenter le point de vue des Noirs étusaniens sur leurs propres communautés.

 

COTTON COMES TO HARLEM (Ossie Davis, 1970)

C’est avec une chimie indéniable et des dialogues vifs et plein d'esprit que les deux acteurs principaux (Godfrey Cambridge et Raymond St. Jacques) incarnent deux détectives loufoques impliqués dans une arnaque à la suite d’une enquête sur un hold-up, constituant à ce titre un précurseur du film dit de « buddy cop ». Aussi amusant dans ses moments comiques qu’efficace dans son suspense, le film se permet aussi de critiquer le pouvoir blanc et d'exposer l’état d’Harlem à l’époque via l'insertion de nombreuses vignettes quotidiennes. C’est aussi grâce à un sens habile du rythme que Cotton Comes to Harlem s'impose comme un prototype de la comédie policière popularisée plus tard dans le cinéma mainstream des années 80 tout en laissant la porte ouverte pour le film de blaxploitation qui arrive alors à grande vitesse.

 

I AM SOMEBODY (Madeline Anderson, 1970)  

Documentariste de renom, Madeline Anderson pointe ici sa caméra vers les travailleuses noires des hôpitaux de Charleston, en Caroline du Sud, alors qu’elle entament une grève pour la reconnaissance de leur syndicat et pour une augmentation salariale, grève qui se transformera en confrontation avec le gouvernement local et la Garde nationale. Laissant ses sujets parler pour elles-mêmes, Anderson leur donne la parole et démontre ainsi toutes les ramifications des pratiques discriminatoires subies qu'elles subissent face à leurs homologues blancs. Les désirs syndicalistes se heurteront malheureusement à des violences policières et des arrestations massives, que documentent cette oeuvre importante pour la lutte des travailleurs contre la dicrimination raciale.

 

SWEET SWEETBACK'S BAADASSSSS SONG (Melvin Van Peeble, 1971)

« Le premier film noir vraiment révolutionnaire jamais réalisé, présenté par un homme noir » aura dit du film Huey Newton, co-fondateur des Black Panthers. Créé par Melvin Van Peebles, qui signe la réalisation, la production, le scénario, la musique et l’interprétation, Sweet Sweetback’s Baadasssss Song est certainement l'un des films les plus emblématiques de la blaxploitation. Majoritairement considéré comme le premier exemple du genre, c’est suite à son succès énorme que la blaxploitation prendra son essor. Controversé à sa sortie, même classé X, le film conserve encore aujourd’hui tout son impact. Financé et distribué en dehors des grands studios hollywoodiens, Sweetback a permis à Van Peeble de détourner les règles en créant les siennes, notamment en ce qui a trait à ses excentricités formelles, son montage énergique et ses jump cuts erratiques qui produisent une gamme de paysages visuels surprenants.

 

COOLEY HIGH (Michael Schultz, 1975)

Parfois comparé au American Graffiti (1973) de George Lucas, sorti deux ans plus tôt, Cooley High partage surtout avec celui-ci des similitudes temporelles et générationnelles. Situé en 1964 et basé sur les expériences personnelles du scénariste Eric Monte à Chicago, le film raconte l'histoire d'un étudiant issu des HLM et qui rêve de devenir écrivain. Avec son ami, celui-ci partage son temps entre l’école et les filles, jusqu'au jour où un problème avec la police donne à sa vie une tournure dramatique. Pour peu qu'on passe outre les quelques maladresses du film, il est possible d'y voir le prototype d’un genre qui prendra son essor dans les années 80 et 90, soit la comédie à la House Party (1990). Il faut également souligner l'excellente trame sonore du film, qui parcoure nombre des incontournables du motown.

 

EMMA MAE (Jamaa Fanaka, 1976)

Emma Mae a souffert d’un mauvais marketing à sa sortie, vendu comme un film d’action de blaxploitation alors qu'il s'agit plutôt d'une étude de personnage. Sa sortie en vidéo a renforcé davantage la méprise lorsqu'il a hérité du titre Black Sister's Revenge. Or, bien qu’il flirte avec les codes du genre, c’est plus vers le portrait social que tend le film de Fanaka, qui oeuvre ici à décrire le personnage d'Emma Mae, héroïne étasunienne forte qui mérite d'être redécouverte. Débarquant du Sud pour s’installer en « terre promise » californienne, Emma Mae désenchantera vite et fera face aux problèmes socioéconomiques qui gangrènent la communauté noire de l'époque. Réalisateur-phare du mouvement cinématographique L.A. Rebellion, Jamaa Fanaka est surtout connu pour son grand succès, Penitentiary (1979), et ses deux suites, inspirées par le cinéma d’exploitation. C'est pourtant quelques années plus tôt, avec Emma Mae, qu’il dote la blaxploitation d'un véritable coeur battant.

 

KILLER OF SHEEP (Charles Burnett, 1978)

Probablement le film le plus connu du mouvement cinématographique L.A. Rebellion, Killer of Sheep de Charles Burnett est une illustration poétique des pressions de la pauvreté dans le quartier de Watts à Los Angeles, un quartier alors très peu représenté au grand écran. Le film se concentre sur un père qui travaille dans un abattoir et dont le fardeau existentiel pèse lourdement sur sa famille. Autre film produit en dehors du système hollywoodien, aussi radical dans sa forme que dans son contenu, il a subi le même sort que nombre des films du mouvement, tombé dans l’oubli avant d’être redécouvert pour son importance historique. Percutant premier long métrage de Charles Burnett, Killer of Sheep sera suivi par des films comme My Brother’s Wedding (1983) et To Sleep With Anger (1990) qui finiront de consacrer le talent particulier de ce cinéaste à part.

 

PERSONAL PROBLEMS (Bill Gunn, 1980)

Cette vidéo-chorale entièrement conçue et produite par des Afro-Américains et récemment sauvée de l'oubli par Kino Lorber constitue l'une des rares traces du rôle de la communauté afro-américaine dans la révolution vidéo des années 1980. On ressent autant d'espoir que de désespoir à travers cette exploration de la vie de personnes diverses dans la communauté autour d'Harlem. Malgré l'aspect brut qu'apporte le visuel analogique, il se dégage une grande complexité émotionnelle de cet opus de trois heures, oeuvre ambitieuse aux moyens réduits dans laquelle on explore les diverses tensions et interractions entre une infirmière, son mari, son beau-père, son amant et son frère. Au détour des conversations, on glisse des réflexions sur la condition de la communauté noire en Amérique aux réflexions sur l'avenir de la classe ouvrière. Bien que Gunn soit plus connu pour le film-culte Ganja & Hess (1973), Personal Problems pousse sa recherche narrative beaucoup plus loin en développant lentement ses personnages, et reste à ce jour une oeuvre unique dans le paysage vidéographique afro-américain.

>> lire la critique de Thomas Filteau

 

ASHES AND EMBERS (Haile Gerima, 1982)

Gagnant du prix FIPRESCI dans la section Forum du Festival de Berlin en 1983, Ashes and Embers démontre l’aliénation des Afro-Américains de la classe moyenne qui se sont accommodés du système, mais aussi les désirs révolutionnaires d'individus radicaux, désireux de changer cette société enracinée dans un racisme institutionnalisé. On suit pour ce faire un vétéran du Viêt-Nam, qui, plusieurs années après la guerre, a du mal à accepter et à comprendre son rôle au sein de celle-ci, mais aussi son rôle d’homme noir dans les États-Unis de Ronald Reagan, contraint de suivre les conseils de ses amis et de sa grand-mère pour mieux dissiper son amertume et trouver le moyen de se reconstruire.

 

LOSING GROUND (Kathleen Collins, 1982)

Portrait d’un mariage déclinant, Losing Ground démontre les négociations difficiles entre une professeure de philosophie qui cherche l’extase et un artiste peintre séducteur qui recherche un espace pour travailler. On y traite autant des disputes domestiques que d’identité raciale, de sexisme, d’histoire de l’art et de cinéma noir. Rarement avait-on vu à l'écran des Afro-Américains personnifiant des personnage académiques ou des artiste de renom. Seret Scott incarne parfaitement la femme en quête d'identité tandis que l’acteur et réalisateur Bill Gunn donne une performance solide dans le rôle de l'artiste au sourire charmeur. Considéré comme le premier long métrage réalisé par une femme afro-américaine, il est d’autant plus dommage de constater que le film n’a jamais eu une véritable distribution en salle. Il fut donc vite oublié, avant sa redécouverte en 2015 grâce à le fille de l'autrice, qui prit soin de restaurer le film et de lui assurer une deuxième vie en salle. Kathleen Collins est décédée d’un cancer en 1988, n’ayant pas pu achever un second long métrage et privant ainsi le cinéma américain d'une voix indépendante singulière.

 

HAIR PIECE: A FILM FOR NAPPY HEADED PEOPLE (Ayoka Chenzira, 1985)

Une satire animée sur le thème de l'image de soi chez les femmes afro-américaines, vivant dans une société où la beauté capillaire représentée par les médias ne fait jamais écho à leur réalité. Dynamique et doté d’une narration pleine d’esprit, le court-métrage d’Ayoka Chenzira est devenu un essentiel des discussions sur le racisme et sur le cinéma afro-américain; il est encore régulièrement utilisé comme outil pédagogique par des groupes divers. Ayoka Chenzira fut l’une des très rares femmes afros-américaines à faire des films expérimentaux dans les années 70 (son film Syvilla: They Dance to Her Drum (1979), qui portait sur la danseuse et chorégraphe afro-américaine Syvilla Fort, est un des films marquants de cette période). Elle a depuis acquis une renommée internationale avec des productions variées qui passent de l’expérimental à l’animation et au documentaire.

 

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Article publié le 30 juillet 2020.
 

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