WOCHE DER KRITIK : Les 10 ans de la Semaine de la critique de Berlin
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Festival Fantasia 2018 : Jour 19-20

Par La rédaction
amanitapestilens

AMANITA PESTILENS

René Bonnière  |  Québec  |  1963  |  90 minutes  |  Genre du Pays
 
Quand le Québec honorera-t-il enfin sa devise ? Comme tous ceux qui ont produit ici de grandes œuvres (pensons, en littérature, à Rodolphe Girard, à Arsène Bessette, à Albert Laberge…), René Bonnière n’a pas reçu les hommages qu’il méritait en son temps, a finalement plié bagage et demeure encore aujourd’hui méconnu. Quand on sort d’Amanita Pestilens, projeté à la Cinémathèque québécoise dans une superbe copie restaurée, on se demande, d’abord, à quoi est-ce qu’on vient d’assister, ensuite, pourquoi nous n’y avons pas assisté plus tôt. Qu’on se le dise, il s’agit là d’une œuvre inclassable, inqualifiable, singulière, une œuvre qui ne répond — ni ne respecte — aucun critère et qui, de surcroît, démontre une incomparable maîtrise du langage cinématographique. À chaque plan, nos yeux se dessillent et notre visage se fend. On a du mal à croire à ce qu’on voit et à ce qu’on vit. Nous sommes au début des années 1960, l’exode vers les banlieues vient à peine de commencer, et voilà que Bonnière se moque, avec pénétration et acuité, de cet inexplicable engouement qui sévit encore aujourd’hui. Dès la première minute, tout est exposé… visuellement. Pas un mot, pas un texte, aucun dialogue, tout est dans l’image, dans le soin apporté à chacun des cadrages, aux raccords économes, à la musique parfaitement décalée : Gros plan sur une pelouse où un vulgaire pissenlit est sèchement coupé. Plan large sur notre banlieusard qu’un panoramique suit dans une déambulation lors de laquelle il inspecte minutieusement chaque parcelle de son terrain. Caméra à l’épaule « shaky » captant, dans une ironique contre-plongée, Henri Martin pavanant sur un char allégorique roulant lentement sur une rue jouxtée d’admirateurs le félicitant de son prix pour la plus belle pelouse de banlieue. En trois plans et deux raccords, tout est dit. Rarement aura-t-on vu, au cinéma, une « sanction » se présenter si rapidement… et avec autant d’efficacité.
 
Arrivera toutefois la déstabilisante péripétie, dès le retour au bercail : un champignon défigure son gazon. Et voilà notre homme lancé dans sa quête : éliminer cette gênante aspérité afin d’honorer son titre. Dans l’univers du voisin (déjà) gonflable, il est absolument hors de question que son herbe soit moins verte que celle du voisin. Quiconque eût filmé ce récit l’aurait sans doute platement fait. Mais voilà que Bonnière use des espaces et de sa caméra pour donner un peu de profondeur à ce monde d’apparat. La banlieue (très souvent filmée en plongée : le regard des banlieusards semble rivé à leur parterre) s’oppose ici à la ville (très souvent filmée en contre-plongée, pour nous permettre d’admirer les superbes corniches). On me permettra de paraphraser Godard : « Quand on marche dans la ville, on lève la tête. Quand on arrive en banlieue, on la baisse » [1]. Au reste, à ces espaces sont injectées des valeurs qui renversent celles normalement établies. La ville, lieu de travail et d’aliénation devient un endroit de loisirs et d’émancipation (tavernes, bars, clubs de strip-tease où la fille du bonhomme, d’ailleurs, s’effeuille), tandis que la banlieue, supposément lieu de repos, devient, chez Bonnière, un endroit propice aux soucis, aux préoccupations et au travail acharné (admirable scène du tractopelle scalpant la pelouse). À ce jeu d’oppositions s’en ajoute un autre, tout aussi brillamment tordu : la campagne (lieu de liberté) et la prison (lieu de captivité). Chez Bonnière, la campagne devient le lieu où l’on s’enfonce dans la honte et l’humiliation (Henri va y acheter une nouvelle terre, plus pure, à de vils et cupides fermiers) tandis que la prison (où il se retrouvera pour avoir provoqué une échauffourée dans le club de strip-tease où il reconnaît sa fille) devient le lieu propice à l’illumination et à la découverte de soi : Henri en sortira avec l’indéracinable goût de « donner » (et non plus celui de s’approprier).
 
À ce portrait décapant de la vie de banlieue, Bonnière s’ingénie à appliquer, ici et là, quelques touches subtilement surréalistes (et donc, proprement cinématographiques, car que serait le cinéma s’il ne se contentait que de reproduire fidèlement la réalité ?) : Cram l’inquiétant muet qui — bien avant le non moins inquiétant Sammy Barnathan de Synecdoche, New York (Charlie Kaufman, 2008) — épie sans cesse notre homme avant de devenir son amical confident. Le charroi de terre en calèche sur la métropolitaine. Le « lift » en camion-poubelle. Ajoutons à ces scènes d’anthologie, le jeu atrocement faux et, pour cette raison, si attachant de Jacques Labrecque, et celui, éminemment théâtral, de son voisin exagérément maniéré, campé — à coup de citations de Shakespeare, d’expressions latines et de subjonctifs imparfaits —, par l’admirable Roger Garceau (même la façon dont il traverse la rue suscite, chaque fois, un ravissement renouvelé). Soulignons l’envoûtante trame sonore jazzy de Larry Crosley qui, s’inspirant tantôt de Brubeck, tantôt de Mingus, fonctionne sans cesse comme un commentaire comique sur les actions montrées. Avouons enfin le plaisir malicieux dont jouiront certains spectateurs qui reconnaîtront certaines personnalités de l’époque (Denise Bombardier, Juliette Huot, Jacques Normand, Jean-Louis Millette) et repéreront certaines rues de Montréal (Sherbrooke, René-Lévesque, de Bulion, des Pins, Gouin). Et passons sous silence l’étonnante finale à coup de pelle que personne — absolument personne — n’aura vu venir. Voilà un film qui fait honneur au cinéma… et au pays qui l’a vu naître. On ne peut que souhaiter longue vie à cette section du Festival Fantasia qui, chaque année, sous l’égide de Marc Lamothe, nous fait découvrir — ou redécouvrir — les joyaux les plus précieux de notre cinématographie nationale. Qu’on s’en souvienne ! (Jean-Marc Limoges)
 

detectivedee
 
DETECTIVE DEE: THE FOUR HEAVENLY KINGS
Tsui Hark  |  Chine/Hong Kong  |  2018  |  130 minutes  |  Sélection 2018
 
Il ne reste plus grand-chose à dire qui n’a pas déjà été dit à propos du travail de Tsui Hark, l’un des plus grands maîtres du wu xia pian contemporain. Ceci dit, le nouveau chapitre des aventures cinématographiques de Di Renjie, chaînon manquant entre Rise of the Sea Dragon (2013) et Mystery of the Phantom Flame (2010) ne marquera sans doute pas son illustre filmographie, et ce malgré les nombreuses qualités de la production. Comme toujours, le spectacle est fabuleux, fruit de l’effet combiné d’une direction artistique somptueuse, d’un vaste arsenal d’accessoires fantastiques et de superbes chorégraphies d’action, filmées dans un style théâtral qui minimise les coupures en capitalisant sur le mouvement harmonieux des corps dans l’espace. Comme toujours, le paysage visuel est foisonnant, gracieuseté de la beauté baroque des costumes et des décors impériaux, mais aussi de la surenchère d’effets spéciaux numériques, qui grâce à leur aspect artificiel, participent activement à entretenir la facture fantaisiste de la production. Une telle hybridité de style, issue du concours d’éléments scéniques matériels et de l’esthétisme éthéré d’éléments de synthèse, permet en outre de façonner une panoplie d’antagonistes savoureux, qui n’hésitent pas à exhiber leurs costumes excentriques ou leurs pouvoirs magiques spectaculaires.
 
Le problème du film est qu’il multiplie ad nauseam les détours scénaristiques, distordant ainsi vainement la trame narrative tout en raréfiant les confrontations martiales. La prémisse est pourtant archisimple, n’évoquant d’abord que les efforts de la méchante impératrice Wu pour dérober au héros la masse dompteuse de dragons qu’il a hérité de l’empereur. C’est du moins l’idée centrale du premier acte, lequel implique non seulement la trahison du protagoniste par son meilleur ami, leader de la Garde dorée, mais aussi les exploits guerriers de cinq thaumaturges aux habiletés diverses. Certes, il s’agit là d’un canevas narratif plutôt simple, mais bien assez large pour y inscrire le récit entier. Nul n’était besoin de la multiplication subséquente des sous-intrigues (conflit politique intérieur entre Wu et le Bureau d’investigation, conflit politique extérieur entre le royaume et une tribu de barbares illusionnistes, recrutement d’un moine reclus, visites de l’impératrice chez un seigneur de guerre fantôme, etc.). Heureusement, même si les aller-retour constants entre les quartiers généraux du détective et les foyers périphériques de l’action deviennent vite lassants, au moins servent-ils à épaissir les groupes de belligérants en lice pour la scène finale, où se rencontrent arbalétriers et gardes dorés, fantassins vaporeux et sorciers extravagants, golems tentaculaires et gorilles géants à l’occasion d’une fantastique leçon de cinéma postmoderne, sorte d’Infinity Wars (2018) chinois, où la qualité du spectacle semble avant tout liée à la plus-value issue de la synergie intermythologique. (Olivier Thibodeau)
 
 
fivefingers

FIVE FINGERS FOR MARSEILLES
Michael Matthews  |  Afrique du Sud  |  2017  |  120 minutes  |  Sélection 2018
 
On se serait cru au Quartier Latin, un dimanche matin pluvieux, pendant le FFM. Un ennui de deux heures dont on ne retiendra que les superbes « transition shots » sur les paysages ocres et arides du Cap. La trame ? Tellement lâche qu’on n’arrive même pas à voir les fils blancs dont elle serait cousue. Les « cinq » du titre sont expéditivement « taggués » dans une scène d’ouverture nous les montrant enfants. Ils semblent se rejouer la finale de The Good, the Bad and the Ugly (1966). Le spectacle est attendrissant : les pistolets sont remplacés par des frondes. Mais en rentrant à la maison (ou à ce qui en tient lieu), le petits sont témoins d’une injustice éhontée impliquant les représentants de l’ordre auprès de leurs congénères. Le jeu n’est plus un jeu. Et nos attachants petits voyous n’auront que leurs jouets de pacotilles et leurs bécanes rouillées pour toute arme. Ils auront toutefois raison de l’autorité qui se retranchera, pour le plus grand plaisir de tous. L’enjeu est clair et annonce une captivante suite de scènes fortes et de puissants rebondissements. Générique. C’est au retour, 20 ans plus tard, que tout se gâte. Les personnages — adultes — ont perdu leur consistance et l’attachement du spectateur s’envole. Les liens qui les unissaient entre eux se sont aussi dissipés. Leur quête devient de surcroît nébuleuse, absconse, confuse… On ne sait plus trop qui est qui. Certains apparaissent dans le décor sans plus de présentations, d’autres disparaissent sans plus de raisons. Et puis, il y a ce chef de bande borgne aux dents en or qui s’exprime toujours trop lentement et qui empèse encore plus le rythme de cette histoire qui n’avançait déjà guère. Même la finale — Oh, la finale… ! Enfin ! — nous montre des fantoches supposés appartenir à deux gangs lever le bras pour se tirer dessus mais qui prennent une éternité avant d’appuyer sur la gâchette. Et le tout, platement raconté en ordre chronologique. Offrez-nous des flasbacks ! Le jeu des gamins était cent fois plus intéressant que l’enjeu des adultes. (Jean-Marc Limoges)
 

theranger
 
THE RANGER
Jenn Wexler  |  États-Unis  |  2018  |  80 minutes  |  Sélection 2018
 
Dire que The Ranger est un film sans idées propres n’est pas tout à fait exact. Certes, l’œuvre ne parvient jamais, dans son exploration déférente du genre, à transcender le pastiche, réutilisant sans gêne la plupart des éléments emblématiques du slasher : décors forestiers avec cabanes délabrées, personnages adulescents détestables, moralisme douteux, effets gore à formule, retournements de situation télégraphiés, exploitation psychanalytique du trauma infantile, et surtout, tueur psychopathe thématique obsédé par la protagoniste, délivreur d’un barrage de one-liners ringards qui constituent malgré tout le faîte du travail scénaristique. Même la musique est parfaitement synchronisée avec les déclencheurs affectifs d’usage, découverte de cadavres décomposés par exemple, ou anticipation de la découverte d’autres cadavres. C’est le triomphe de la complaisance. Le véritable problème du film réside pourtant dans les mauvaises idées dont il fait étalage, à commencer par sa caractérisation volontairement lacunaire des personnages, fruit d’un abandon total à l’économie perverse de la surprise.
 
Rappelons-nous ce que disait Hitchcock à propos de la différence entre surprise et suspense : la surprise est un choc passager, tandis que le suspense est un stress continu [2]. Ici, c’est presque toujours la surprise que privilégie l’autrice, dans l’exécution des scènes horrifiques certes, mais surtout, et c’est là que le bât blesse, dans le développement des personnages. Le problème prend racine dès le carton-titre, puisque l’identité du tueur nous y est déjà révélée. Tout le potentiel d’anticipation identitaire inhérent au genre s’évanouit alors, ne laissant plus comme recours narratif que la monstration ennuyeuse des horreurs commises par le garde-forestier titulaire. Les balles volent et tuent soudainement, sans que leur origine exacte ne soit révélée. Nous savons exactement de quel fusil elles proviennent, mais nous ignorons la position géographique précise du tireur : c’est le meurtre-surprise, ad hoc sans doute pour le type de personnages sacrificiels que nous propose ici Jenn Wexler. L’anomalie centrale se situe par contre dans le développement du personnage de Chelsea, protagoniste vaporeuse d’un récit qui en nécessite pourtant la matérialité. Le film débute ainsi sur un flash-back fragmentaire, souvenir partiel d’un acte prédateur perpétré par la jeune femme dans son enfance avec l’aval du meurtrier en uniforme. Or, on retarde beaucoup trop la révélation de cet acte, pourtant indispensable au profil psychologique des deux personnages principaux, de sorte que leur caractérisation demeure longtemps inachevée, forçant même la jeune star Chloe Levine à masquer les signes de son trauma, bref à jouer stérilement le stoïcisme. C’est le comble de l’autosabotage : plutôt que de capitaliser sur le potentiel de suspense inhérent à la tension préexistante entre le vilain et l’héroïne, plutôt que de miser sur le potentiel affectif d’une interprétation sensible de son personnage, on décide de tout obscurcir, privilégiant le mince effet de surprise provoqué par la révélation tardive du noyau dramatique au vaste potentiel tragique qu’aurait dégagé sa révélation hâtive. Le processus handicape également le film en empêchant l’identification intradiégétique initiale du spectateur, qui entre deux personnages principaux volontairement schématiques et une bande de gamins insupportables, n’a plus aucune prise dans le récit. (Olivier Thibodeau)
 

rondo
 
RONDO
Drew Barnhardt  |  États-Unis  |  2017  |  88 minutes  |  Fantasia Underground
 
La balance oscille furieusement ici, entre les éclairs de génie dont fait preuve Barnhardt et ses emprunts douteux au cinéma d’exploitation, entre astuces et excès stylistiques, entre amusantes invraisemblances et paresses scénaristiques, entre cinéphilie et misanthropie. Le résultat est une œuvre aussi impressionnante qu’elle est exaspérante, misant sur un ramassis confus de scènes et d’idées de mise en scène disparates, accolées à un récit de vengeance brutal, mais ô combien échevelé. Il faut attendre environ une demi-heure pour que le film déploie finalement ses ailes, une demi-heure de mise en situation invraisemblable, molle et déshumanisante, de misogynie écœurante et d’autopromotion crasse. Le tout débute avec la description du protagoniste par la voix off du « bon Dieu », qui avec toute la lourdeur et la platitude des documentaires d’utilité publique des années 50 débite une série d’informations factuelles et sommaires que reproduisent ensuite servilement les images. « Il noie sa tristesse dans l’alcool », nous déclare ainsi le narrateur avant que le personnage empoigne et siphonne une bouteille de Jack Daniel’s. Ce processus est réitéré sans cesse, de sorte que le protagoniste se trouve dérobé de toute voix, à l’instar d’ailleurs de la jeune femme droguée qu’un groupe de gangsters lui proposera bientôt de violer. Comble de malheur, la mutité des victimes est contrebalancée par l’inconcevable verbosité de la psychothérapeute chargée de traiter le héros, psychothérapeute qui plutôt que d’écouter, débite sans pudeur un flot incessant d’invitations à la débauche. L’expérience est détestable : une véritable orgie de narration complaisante et d’apologies bon enfant de la violence sexuelle.
 
Il faut attendre la mort du héros et son remplacement par sa contrepartie féminine pour que le film prenne une tournure intéressante. À cet égard, force est de constater que la scène de passation des pouvoirs est d’une ingéniosité hors du commun, misant sur l’opposition entre le drame émotionnel de la (nouvelle) protagoniste, témoin du meurtre de son frère, et la violence protocolaire des antagonistes. C’est l’amalgame miraculeux de deux univers non miscibles, preuve indéniable du talent de metteur en scène que possède malgré tout le réalisateur. L’usage expressif des filtres et du montage, même les ralentis dramatiques fonctionnent parfaitement. C’est la quintessence de l’esthétique du film de vengeance des années 70. Le plan d’après, où Jill est surcadrée devant une fenêtre fouettée d’aspersoirs est également fort astucieuse puisqu’elle permet de superposer la violence explosive du monde interlope à la violence tranquille de l’univers suburbain. Autant de petites fenêtres qui s’ouvrent ainsi sur l’énorme potentiel de l’œuvre, perdu malheureusement dans une mer d’idées bancales et de changements de registre constants, noyé en outre par une bande sonore éclectique et surchargée qui semble aiguiller chaque scène au-delà de toute autre considération. Et bien que la transition entre les deux parties s’effectue harmonieusement, la seconde n’éclipse pas complètement la première puisqu’à l’ineptie de Paul succède bientôt l’ineptie de Jill, dont la psychologie est lacunaire et dont le parcours émancipateur est compromis par son incroyable stupidité, cause directe de sa victimisation obligatoire en fin de récit, lors d’une scène de captivité qui voudrait bien ressembler à celle de Texas Chain Saw Massacre (1974), mais sans jamais y parvenir. La séquence finale est presque pire, malgré le fait que « justice » y est finalement rendue, puisque cette « justice » implique un interminable montage alterné de plans fétichistes, où la protagoniste en sous-vêtements massacre mécaniquement ses ennemis avec un fusil d’assaut, et de plans au ralenti de ses agresseurs se faisant cribler de balles. C’est presque impardonnable. Sans doute faudrait-il rappeler à Barnhardt que nous sommes en 2018, et que le simple hommage au grindhouse n’est plus, et ne sera plus jamais une excuse adéquate pour ce genre d’imagerie. (Olivier Thibodeau)
 

tigersarenotafraid
 
TIGERS ARE NOT AFRAID
Issa López  |  Mexique  |  2017  |  83 minutes  |  Sélection 2018
 
Depuis le début de la Guerre des cartels en 2006 au Mexique, nous dit l’écriteau d’ouverture, 150 000 personnes ont été tuées, un décompte terrible où les enfants ne sont pas encore du lot. Avec sa main froide dans notre dos, Tigers Are Not Afraid nous fait comprendre rapidement qu’il s’intéresse à ces petits fantômes qui errent dans les bas-fonds, à ces innocents morts parce qu’ils étaient les enfants de parents impliqués (ou pas), parce qu’ils étaient isolés (ou trop près de mauvaises fréquentations), parce qu’ils étaient trop curieux (ou trop naïfs). Un monde obscur s’érige autour d’eux, composé de monstres cadavériques enveloppés dans le plastique morbide des paramédicaux, de graffitis qui s’animent contre les murs, des éléments surnaturels qui construisent un univers où le fantastique articule la perception qu’ont les enfants de la violence qu’ils subissent.
 
C’est ce qui permet à la réalisatrice Issa López de signer un film où l’enfance interagit avec la violence sans jamais se satisfaire dans sa réussite, sans nous choquer par la simple rencontre de deux mondes que notre sens moral tient naturellement pour irréconciliables. Grâce à ses images de conte de fées lugubre (comme ces poissons rouges pris dans une marre d’eau stagnante, image parfaite de son projet narratif en entier), à cette ligne de sang qui suit la jeune héroïne Estella où qu’elle aille, López fait de la violence une force obscure qui dévore l’enfance et l’attire vers un âge de raison baptisé dans la colère et la vengeance, montrant, à partir du bas de l’échelle, la logique cyclique du conflit dont on ne peut finalement sortir que grâce au miracle d’un vœu — il n’y a que les histoires qui peuvent nous sortir d’un tel malheur.
 
Dans ces moments où Tigers Are Not Afraid est au plus près de la magie, il parvient à créer un véritable royaume où l’enfance est souveraine, où elle permet aux jeunes personnages autant qu’au spectateur de gagner en perspective sur ce conflit (qui se contente depuis trop longtemps des représentations masculinistes et complaisantes d’une guerre hyperviolente entre les trafiquants, l’armée mexicaine et les U.S. Marshals). Ainsi López réalise un conte qui n’a pas besoin de s’inventer des monstres et qui doit surtout trouver une manière poétique de rendre supportable l’existence de ces enfants, « kings of this kingdom of broken things ». Refusant aussi d’en faire les témoins passifs de cette violence, le film les implique (la teneur critique de son propos se serait évaporée autrement) et les rend responsables du mal qui s’abat sur eux (c’est parce que la fillette a préféré mentir sur un meurtre qu’elle aurait commis — pour intégrer le gang des gamins — que les cartels sont à leurs trousses). López rabat avec intelligence la brutalité sur la fragilité, la révélant dans son innocence tout en prenant ses responsabilités de cinéaste qui se doit de filmer ce qui lui tient à cœur (il y a beaucoup de cœur ici) sans non plus en faire la saveur du mois du cinéma d’exploitation. Rarement voit-on l’enfance côtoyer de si près la violence sans tomber dans l’indécence. (Mathieu Li-Goyette)
 
 
 

NUMÉRO HOMMAGE À JOE DANTE
JOURS 1-3
(Being Natural, Dans la brume, Microhabitat, Tremble All You Want)
JOURS 4-5
(Aragne: Sign of Vermillion, Cold Skin, Crisis Jung, Unity of Heroes)

JOURS 6-7
(The Blonde Fury, Luz, Profile, Relaxer, Satan's Salves)

JOURS 8-9
(Fireworks, I Have a Date With Spring, La Nuit a dévoré le monde, Laplace's Witch,
People's Republic of Desire, The Vanished, The Witch: Part 1. The Subversion)

ENTREVUE AVEC JOE DANTE
JOURS 10-11
(Amiko, Blue my Mind, Buffalo Boys, Chained for Life, L'inferno,
True Fiction, Unfriended: Dark Web)

JOURS 12-13
(Cam, Da Hu Fa, Hanagatami, Lôi Báo, Our House, Parallel, 
Under the Silver Lake)

JOURS 14-15
(Le Nid, La Quinceañera, Small Gauge Trauma 2018,
V.I.P., Violence Voyager, Windigo)

JOURS 16-18
(1987: When the Day Comes, The Dark, The Field Guide to Evil, Number 37, Pledge,
Pourquoi l'étrange monsieur Zolock s'intéresserait-il tant à la bande dessinée ?)

JOURS 19-20
(Amanita Pestilens, Detective Dee: The Four Heavenly Kings,
Five Fingers for Marseilles, The Ranger, Rondo, Tigers Are Not Afraid)

JOURS 21-22
(Arizona, Brothers' Nest, DJ XL5's Outtasight Zappin' Party, Madeline's Madeline,
Mandy, The Oily Maniac, One Cut of the Dead, Penguin Highway, Piercing, What Keeps You Alive)




[1] Godard disait : « Quand on va au cinéma, on lève la tête. Quand on regarde la télévision, on la baisse. »
[2] Voir Hitchcock/Truffaut, Éditions Ramsay, 1983, pp. 58-59
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Article publié le 1er août 2018.
 

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