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Entrevue avec Christophe Nick et Thomas Bornot

Par Mathieu Li-Goyette
QUAND LA CHAIR DEVIENT VIANDE

Le documentaire fait un tabac sur France 2 depuis quelques mois, la presse française en parle ponctuellement, la balle est lancée et c'est au Québec qu'elle est atterrie après avoir fait le tour de l'Hexagone. Film choc ayant récemment pris l'affiche au Cinéma Parallèle et qui sera bientôt diffusé à Canal D, Le jeu de la mort est une création du producteur et scénariste Christophe Nick, invité à Montréal à l'occasion de la sortie du film en compagnie de Thomas Bornot, l'un des réalisateurs de l'opus. Visiblement passionnés par leur sujet, c'est vers une discussion sur la force de l'image dans notre société contemporaine que s'est rapidement déplacée l'entrevue dans un entremêlement (entre leur film et les autres) de réflexions non pas révolutionnaires, mais articulées par des documentaristes qui revenaient des camps de la mort. Ayant filmé l'impensable force de la télé, c'est un peu le jeu d'explorateurs revenus de très loin qu'ils nous ont fait joué. Ils sont allés jusque « là ». Voici le compte-rendu de leur expédition.
 
Lisez notre critique du Jeu de la mort.

Panorama-cinéma : Qu’est-ce qui vous a poussés, dans un premier temps, à produire et à scénariser Le jeu de la mort?

Christophe Nick : C’était au début des années 2000. Je travaillais à ce moment sur une série de documentaires qui s’appelait Chroniques de la violence ordinaire. Je lisais énormément de choses pendant que l’on tournait à travers plusieurs villes et, pendant mes lectures, j’ai retrouvé le livre de Stanley Milgram, qui est un livre clé pour comprendre les mécanismes de groupe. Ça ne m’a rien appris pour la série que je tournais à l’époque. Quelques jours plus tard, sur TF1, une émission qui s’appelle Le maillon faible, qui était un jeu stupide, est présentée. C’était le début de cette vague de téléréalité. C’était une animatrice qui insultait des candidats en leur disant qu’ils étaient nuls, bêtes, etc. Le principe du jeu était que les gens s’éliminent les uns les autres. Celui qui était le meilleur devait disparaître pour que le reste des participants l’emportent. C’était un jeu où les plus salauds gagnaient. En même temps, ils étaient traités comme des chiens. J’ai eu l’intuition qu’aujourd’hui, les gens obéiraient plus à une animatrice télé qu’aux scientifiques de Milgram. À partir de ce moment, l’idée m’est venue de transposer l’expérience de Milgram à la télé pour avoir une comparaison, une vraie mesure du pouvoir de la télé.
 
Milgram n’a pas seulement fait une expérience sur la soumission, mais bien un instrument de mesure de l’efficacité d’un pouvoir. Est-ce que la science a un pouvoir terrible? Bien sûr, car 2 personnes sur 3 peuvent en tuer une autre. Et quelle serait la statistique dans l’armée? Quel est le pouvoir d’un officier? Envers la religion? Cette fois-ci, c’est le pouvoir de la télé qu’on a mesuré.
 
Je suis ensuite allé voir des scientifiques et je leur ai proposé de m’aider, qu’ils s’en emparent et qu’ils en fassent une vraie expérience avec un vrai protocole et que cela soit une garantie absolue de crédibilité.
 
Panorama-cinéma : Votre documentaire sera présenté à la télévision.
 
Christophe Nick : En effet, le documentaire a été présenté sur la première chaîne de services publics, France 2.
 
Panorama-cinéma : Est-ce que vous aviez, dès le départ, le désir d’attaquer un certain pan de la télévision?
 
Christophe Nick : Totalement, je ne m’en cache pas. On a du mal à l’admettre, mais c’est ce qu’on montre au début du film. Depuis que cette téléréalité est arrivée, on en est arrivé à une telle mise en scène de l’humiliation, du passage à l’acte violent - ça procède par glissements année après année - qu’on s’est rendu compte qu’il y avait des programmes en Grande-Bretagne, au Japon et un peu partout où nous ne sommes pas loin de la limite de la mort. L’hypothèse qu’on pose : « à quand le jeu de la mort? », n’est pas une hypothèse absurde! Il y a quelque chose de fou qui est en train de se passer.
 
L’idée du film est de dire : « regarder jusqu’où on peut aller », « arrêtons ces conneries », et le film s’adresse autant aux professionnels en leur demandant de questionner leur démarche, de prévoir les conséquences. Ce qu’ils font est foncièrement dégueulasse, car la question se pose plus à ceux qui ont le pouvoir que nous, individus lambda, puisque nous constatons avec cette expérience qu’ils ne sont armés pour résister à des pouvoirs pareils.
 
Panorama-cinéma : Un important bassin de gens ont pourtant conscience de ces mécanismes. En regardant ces émissions, ils s’élèvent au-dessus du débat et se rassurent en disant qu’eux, contrairement aux voisins, ne tombent pas dans le panneau. Ça devient presque de l’humour ou, du moins, une parodie de la télévision.
 
Christophe Nick : En fait, non. Tout le monde a une raison de regarder ces émissions. « Je regarde l’émission parce que je ne veux pas être idiot » et « j’en parlerai demain, mais ça ne me touche pas. Je regarde parce que c’est horrible, mais je veux voir jusqu’où ils vont ». Ces programmes mettent en scène des situations pulsionnelles. Nous ne sommes plus dans l’émotion ou dans l’intelligence, mais dans la pulsion. Lorsque des gens doivent s’éliminer en étant enfermés, ils passent à l’acte via des zones qui sont leur intimité en exprimant des choses qui les mettent en exhibition et qui, du coup, ne nous posent pas comme un spectateur, mais comme un voyeur. Lorsque quelqu’un s’exhibe, la personne qui le regarde est un voyeur. Le voyeurisme est l'une des pulsions les plus primaires et l’on sait très bien que c’est mal. On le sait, on ne regarde pas. Nous y sommes éduqués. Celui qui est un voyeur est un pervers.
 
Or, la télé se met tout à coup à promouvoir cette posture alors que toutes les civilisations depuis l’origine de l’homme sont basées sur le contrôle des pulsions. Si on ne contrôle pas ces dernières, on court à la guerre civile permanente. On peut tuer ou violer une fille qui passe sans problème. Toute notre éducation ou tout système civilisationnel est basé sur le contrôle des pulsions soit par l’armée, la religion, l’éducation, la justice, car c’est la base même de l’humanité. Voilà que depuis 10-15 ans, la télé le promeut, le stimule et en fait une norme. C’est quasiment unique dans l’Histoire. Nous sommes entrés dans un monde pulsionnel et qui le légitime.
 
Thomas Bornot : Un monde de divertissement.
 
Christophe Nick : Et lorsqu’on regarde ce monde - on peut toujours justifier par après pourquoi on l’a regardé - on le fait parce que nous sommes sidérés. « Jusqu’où ils vont aller », est le crédo. Ça nous captive, c’est comme un film porno. C’est le même système.
 
Panorama-cinéma : C’est la transgression d’un interdit qui est commercialisé et devenu légal grâce à la télévision - depuis l’avènement de la télévision, ce qu’on y voit est légitimé, c’est une nouvelle voix divine. Elle nous dit que nous avons le droit d’être voyeurs. Le rapport voyeur-exhibitionniste est légal, car nous avons l’accord des individus filmés, accord dû à l’argent mis en cause. C’est la récompense qui alimente la machine.
 
Christophe Nick : C’est une promesse qui fait partie du spectacle. Le vrai truc, c’est l’univers créé pour capter l’attention du spectateur et qui participe à creuser des espaces de publicité dans le cerveau de ce dernier. En langage marketing, ils appellent ces émissions des écrans publicitaires. C’est là que l’impact est à son maximum, car on ne peut plus réfléchir. Il y a une phrase absolument stratégique du patron de TF1 - la grande chaîne française qui présente particulièrement beaucoup de ces émissions - à une conférence de marketing, face à des professionnels de la pub : « Mon métier consiste à vendre à Coca-Cola du temps de cerveau disponible ».
 
Ce n’est pas une théorie du complot, c’est son métier de nous rendre sans conscience.
 
Panorama-cinéma : D’après vous, quand est arrivé ce point de fracture dans l’histoire de la télé? Aurait-on déjà franchi un point de non-retour?
 
Christophe Nick : Il n’y a pas de point de non-retour, mais bien un point de départ. Nous le situons, en France, au début des années 80. La télévision avait jusque-là une promesse, celle d’être une « fenêtre sur le monde ». Elle vous amènera même sur la Lune, car elle vous apporte le cinéma, l’information, tout l’extérieur chez vous. La chose dont ne traitait jamais la télévision, c’était l’intimité des gens. Au début des années 80 sont donc apparus les premiers Talk-Show. On a commencé à y parler de sexualité, de psychologie, etc. Les dispositifs mis en place pour le faire ont rapidement quitté le documentaire et ont été assimilés par la télé.
 
On a vu rapidement des couples aller à la télévision se faire interroger par une animatrice, une pseudo-psychologue qui pouvait leur demander s’ils avaient une vie sexuelle active. C’est le début de l’exhibition. C’était important, car il fallait bien dire que tout le monde avait des problèmes de sexualité, par exemple. L’idée était donc novatrice et importante pour la société. Par le fait même, on a aussi ouvert une boîte de Pandore. On s’est rendu compte qu’en voyant ces émissions, on était complètement hypnotisé. Avec la commercialisation des écrans, avec les enjeux publicitaires devenant de plus en plus importants, les diffuseurs ont demandé à radicaliser ce type de situations. C’est-à-dire qu’il ne fallait pas simplement que les gens aillent à confession en se mettant à nu, il fallait en plus mettre en scène leurs problématiques et, forcément, inciter un participant à en humilier un autre. Avec les années, la dose a monté.
 
Il y a eu un moment de ras le bol en France dans les années 90 et, l’invention du Maillon faible, ce jeu anglais qui a été un peu partout sur Terre, a eu une idée « géniale » : c’est le pire participant qui gagnera. Cette recette a déclenché la téléréalité. John de Moll, son inventeur et patron de la société Moll, a imaginé à partir de ce jeu que l'on pourrait faire un système parfait d’enfermement où un groupe de gens seraient éliminés les uns après les autres par le public qui irait voter. On demande au spectateur d’être sadique, d’en virer un, et il devient alors complice. Les tensions qui y sont créées ne peuvent aboutir, au final, qu’à la violence ou à l’humiliation ou au sexe.
 
Tout à coup, l’arrivée de la téléréalité a été celle de Big Brother. Ce n’était plus simplement l’exhibition, mais bien le passage à l’acte. Le jeu de la roulette russe en Angleterre en 2004 ou la dissection de cadavre en 2007, marquent l’entrée de cette télé dans les pulsions de mort. C’est une escalade progressive. Bien sûr que les chaînes ne sont pas condamnées à suivre cette voie. Certains journaux, eux, ne sont pas obligés de mettre des femmes nues à la une. Pour la télé, on pense encore ces jeux comme nécessaires. Est-ce qu’il y aura finalement un mouvement de dégoût global ou bien la situation s’aggravera encore? Je ne peux pas vous le dire.
 
Panorama-cinéma : C’est qu’avec l’état du cinéma aujourd’hui, si on pense au cinéma gore par exemple, on sent que le goût d’en voir toujours plus s’accentue considérablement.
 
Thomas Bornot : Le cinéma réaliste qui va parler de faits divers ou le nombre de films d’horreur comme Eden Lake qui sont de vrais faits divers. Dans ce cas-ci, un homme a réellement séquestré deux filles et le cinéaste reconstitue la torture réelle. Quand j’ai vu cette fille qui se fait planter un couteau dans la moelle épinière, qui est paralysée par le meurtrier, c’est à la place des parents que j’ai ressenti énormément d’empathie. Dans le cas de ce film, l’événement n’avait que trois ans. Tout comme United 93 qui utilise le 11 septembre quelques années plus tard et qui incarne les familles et les terroristes avec des héros et des méchants, des comédiens jouant de véritables victimes.
 
Christophe Nick : Pour moi, le problème n’est pas la technologie ou le réalisme, mais bien l’intention de celui qui fait un programme. À partir du moment où l’intention consiste à jouer sur des ressorts pulsionnels ou propagandistes - l’essentiel dans tout travail de créateur est de réfléchir vers quoi il veut nous amener - c’est là que c’est terrible. Le problème est beaucoup plus diffus que ce dont on parle. Prenez la série Les experts (CSI) alors que tout à coup, on s’est mis à avoir ce degré de réalisme. On prend le cadavre, on sort les vers de terre, on les montre à 20h30 et tout est normal. Le corps devient viande.
 
Alors que dans le gore, l’hémoglobine est le grand guignol, c’est un jeu. Nous sommes dans la catharsis, c’est jouer avec nos peurs comme Hitchcock savait le faire, mais par « too much ». Là, au contraire, dans Les experts ou dans les séries policières, on se met à jouer avec des choses où l’individu n’existe et où ce n’est que du ver de terre. C’est normal que les gosses écoutent ces émissions. Ça aboutit à ces émissions de dissection de cadavres réels. Et il faut voir qui est ce savant fou! Un Autrichien, un véritable scientifique, il organise des expositions de cadavres disséqués (comme ici, à Montréal) et il fait venir ses cadavres de Chine - qui sont tous des condamnés à mort. C’est tout un buisiness qu’il s’est monté en faisant venir ces 60-80 cadavres par an! Qu’est-ce que c’est que ce barge!?
 
Et puis on regarde le tout comme un programme de télé bien normal. Ceux qui produisent cette émission, ils le savent.
Concernant le 3D, on a vu dans un salon de technique en France de nouvelles petites caméras 3D. On voit que c’est « plus réaliste », que c’est comme l’arrivée du son, de la couleur, des écrans larges, c’est dans le cours normal des choses. Mais qu’est-ce que nous allons en faire? Que nous soyons à la fin du muet où aujourd’hui, la question n’a pas changé.
 
Thomas Bornot : Le réalisme du cinéma est mis en scène à travers la technologie et ne nous ôte pas du fait que nous sommes en train de regarder une fiction. Qu’elle soit au théâtre ou au cinéma, on entre dans la réalité du scénario. On se mélange, on finit par se dire que ce n’est qu’un film. Tandis qu’avec la téléréalité, on vous répète que c’est vrai.
 
Pourtant, il y a un scénario, des prises de vues avec différents angles, du montage et des gens qui, on l’a montré, obéissent à l’autorité. Ils deviennent des acteurs. C’est de la fiction et non de la réalité, mais si on vous disait que c’était de la fiction, vous ne regarderiez pas puisque c’est vraiment chiant au bout du compte.
 
Panorama-cinéma : Pour revenir à l’expérience de Milgram, on pense à I comme Icare ou Das Experiment, est-ce que certains candidats avaient démasqués la supercherie?
 
Thomas Bornot : On a cherché à les écarter. L’organisme qui devait sélectionner les candidats et faire un panel représentatif pour faire l’expérience devait sortir les étudiants en psychologie et les gens qui étaient susceptibles de connaître l’expérience.
 
Christophe Nick : Vous savez ce qui m’a surpris? On a fait beaucoup d’interviews avec les gens de la télé et de la radio et ils connaissaient tous l’expérience. Cette dernière est, pour ceux qui s’intéressent à la question, ultra-connue. Pour les autres, et ils sont nombreux, ne la connaissent pas du tout.
 
Panorama-cinéma : Par rapport à l’esthétique que vous avez préconisée, qui est en deux temps - les scientifiques qui préparent le jeu, puis le jeu téléréalisé par une équipe de télévision - jusqu’où avez-vous tenté de fictionnaliser l’expérience? De tenter de la rendre plus attrayante pour le spectateur?
 
Thomas Bornot : Un film documentaire est toujours de la mise en scène. L’honnêteté sera le support utilisé et nous ne sommes là que pour transmettre, via le cinéma, une réalité. Prenez Peter Watkins lorsqu’il a fait Punishment Park. Il fait un film documentaire qui est en fait une fiction, mais avec les outils du documentaire (caméra à l’épaule, etc.) pour montrer quelque chose d’ignoble. Le film est interdit pendant trente ans aux États-Unis et les gens ont le goût de se révolter en le voyant tellement il est efficace. Il faut faire attention à ce que l’on regarde.
 
L’idée de mettre en place une expérience scientifique dans ce bâtiment, c’est un peu une supercherie, l’allégorie de quelqu’un qui réfléchit seul devant son ordinateur. Cela ne cache rien à la réalité, car ces gens ont vraiment travaillé ensemble. L’idée était d’abord de capter cette expérience.
 
Christophe Nick : Le travail des scientifiques qu’on a filmé dans la villa s’est fait six mois plus tard. Capter cette expérience supposait d’abord qu’elle soit totalement crédible. Il fallait avoir un vrai plateau de jeu. On recréé exactement un plateau de jeu sur un plateau de jeu avec des professionnels qui savent faire ce genre de choses. Nous avions des équipes autour qui tournaient ceux qui étaient en train de tourner l’expérience, puis une autre équipe qui tournait le public. Il y a eu 21 caméras pendant ces 10 journées. L’idée n’était pas d’être panoptique comme la téléréalité. Chaque équipe savait plutôt ce qu’elle devait chercher et il y avait une intention. Après, comme les résultats n’étaient pas ce qu’on attendait (ils ont été plus forts), il y a eu un gros travail fait par l’équipe scientifique pour conceptualiser les résultats.
 
On s’est finalement retrouvé fin août dans cette villa avec des choses complétées et des choses qui n’étaient pas encore au point. Pendant une semaine, il a fallu faire un vrai travail collectif où convergeaient nos pensées. Entre le début et la fin de cette semaine, la précision des concepts, l’explication de ce qui s’était passé s’est vraiment déroulée pendant les scéances que vous voyez à l’écran. Il y a donc une narration qui est une mise en scène, un montage qui nous a permis de raconter cette expérience, qu’elle soit claire bien que cinq ou six discours différents s’entrechoquent. Il fallait avoir la déconstruction du jeu sans être ennuyant, en donnant tous les enjeux et en ne niant pas la complexité des choses. Le principe même de l’écriture de ce film est de déconstruire complètement une situation de plateau de jeu.
 
Panorama-cinéma : L’expérience vous a d’ailleurs montré que votre jeu était bien efficace.
 
Christophe Nick : Il nous a montré des choses que l’on n’imaginait pas. D’abord, ce taux d’obéissance qui était bien supérieur que ce que les scientifiques imaginaient - ils ne croyaient pas que la télévision n’avait pas la même légitimité que des scientifiques lorsque l’on arrive à des seuils de souffrance de cette sorte. Leur exemple était très bon : si nous sommes dans la rue et qu’un type est blessé par terre et que nous voulons l’aider, s’il arrive un médecin et qu’il nous demande de les laisser faire, bien sûr qu’on va s’écarter. Si c’est une animatrice de télé, notre réaction risque d’être fort différente.
 
Face à la souffrance, lorsqu’un scientifique comme Milgram en blouse blanche dit qu’il assume les responsabilités, on se dit qu’il est légitime puisque c’est lui l’expert. Une animatrice, elle, elle est légitime de quoi?
 
Milgram a fait plusieurs variantes. Une de celles-ci, à 180v, fait entrer un deuxième scientifique pour contester l’autorité. Que va faire le questionneur? Ils désobéissent tous. « Enfin l’autorité nous propose d’arrêter ». Finalement, l’être humain n’est humain que lorsqu’il est socialisé et non lorsqu’il est seul.
 
Nous avons donc refait cette expérience, mais avec une productrice qui entre sur le plateau et fait tout arrêter. Tania Young, l’animatrice, lui répond que c’est son émission et que le jeu doit continuer. Dans ces cas, les résultats n’ont pas changé. Nous avons encore 80%. C’est autre chose qu’un simple problème d’une autorité incarnée par une animatrice. Nos scientifiques appellent le jeu que nous avons mis en scène un système d’emprise, c’est l’emprise de la télévision sur nous, individus.
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Article publié le 6 octobre 2010.
 

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