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Entrevue avec Jérôme Paillard (1/2)

Par Guilhem Caillard
PARTIE 1  |  PARTIE 2

AUX PREMIÈRES LOGES DE L'INDUSTRIE
GRANDS ACQUIS ET RÉCENTES MUTATIONS DU MARCHÉ DU FILM DE CANNES

L’arrivée de Jérôme Paillard à la tête du plus important marché du film remonte à 1996. Seize années durant lesquelles le directeur général a suivi assidûment les moindres mouvements de l’industrie cinématographique. Il a su faire de sa connaissance du terrain une expertise largement reconnue, au service du prestigieux Festival de Cannes. Autrefois collaborateur du producteur Daniel Toscan du Plantier chez Erato Films, Jérôme Paillard prend très à coeur son rôle d’accompagnateur visant à créer les rencontres entre producteurs, distributeurs, exportateurs, réalisateurs. Cela se passe en mai. Et si les bases du Marché se retrouvent d’une année à l’autre, les transformations de l’industrie du cinéma en font un espace de renouvellement continuel. C’est de cela, et plus encore, dont il a été question lors de notre rencontre en janvier dernier aux bureaux du Festival de Cannes.

Panorama-cinéma : En observant ce qui se faisait trente ans en arrière, le Marché du film apparaît aujourd’hui plus structuré, mieux encadré. Êtes-vous d’accord?

Jérôme Paillard : C’est vrai qu’il y avait moins de structure auparavant. Mais le Marché n’a pas pour autant de limites géographiques strictes. Cannes a de tous temps été ouvert sur la ville. Déjà parce que nous n’avons jamais eu assez d’espace pour accueillir toutes les sociétés présentes : la ville est coincée entre la mer et les montagnes et n’a pas la possibilité de s’étendre. D’autre part, il y a plusieurs marchés en parallèle, le premier étant le marché au sens le plus traditionnel. C’est la relation entre un vendeur et un distributeur. Puis il y a aussi un marché de producteurs : pendant la durée du festival, ils vont travailler sur des projets avec des réalisateurs et des financiers. Les sociétés s’installent donc à travers la ville selon leur profil, et je dirais même selon leur culture. Par contre, le coeur de l’action se situe bien sur la Croisette, dans la portion entre le Carlton et le Palais où sont réunies les principales sociétés. Au départ, le Palais des festivals et l’Espace Riviera n’étaient pas inclus aux activités : ils en sont devenus les symboles forts d’aujourd’hui, avec le Village international.

Panorama-cinéma : Vous faites référence à la présence simultanée de plusieurs marchés plaçant Cannes au-dessus de la formule classique. Qu’est-ce qui a permis cette position de force?

Jérôme Paillard : Tout le monde est présent à Cannes. C’est un incontournable. Etant donné que toutes les branches de l’industrie s’y sont rapidement retrouvées, Cannes est devenu un lieu où les professionnels pouvaient prendre le temps de parler de leurs projets. Je pense que c’est une évolution qui s’est d’abord faite naturellement, et que nous avons ensuite beaucoup soutenue. À la demande générale, nous avons développé depuis une dizaine d’année des programmes spécifiques pour les producteurs. Il s’agit par exemple d’outils de mise en relation comme le « Producers Network », où nous prenons l’initiative d’organiser des rendez-vous entre les producteurs aux intérêts communs. Nous avons aussi un nouveau programme davantage axé sur la formation : le « Producers Workshop », destiné aux moins expérimentés, et qui propose des conférences sur les méthodes pour tirer au mieux parti de la présence à Cannes. L’autre concept fondamental que nous avons développé, c’est le Village international, qui n’est pas le Marché à proprement parler : les vendeurs n’y sont pas présents. C’est un espace pour les pays et leurs institutions financières agissant dans le cinéma. Le Village permet ainsi à un producteur d’identifier les ressources disponibles dans un pays s’il souhaite, par exemple, monter un projet en coproduction avec l’étranger. Dans le pavillon de la Finlande ou du Canada, il pourra trouver la réglementation en cours, les différents volets d’aides, mais aussi les contacts directs de producteurs locaux et des commissions du film qui pourront plus tard aider à trouver des techniciens et des laboratoires.

Panorama-cinéma : Justement, le nombre de commissions du film a explosé partout dans le monde. Il en existe aux Etats-Unis presque autant que ce qu’il y a d’états, et en France de régions. Se tiennent tout au long de l’année des rendez-vous importants pour ces professionnels de l’industrie, à commencer par le Location Shows de Los Angeles. Comment le Marché du film a-t-il suivi l’entrée de ces nouveaux professionnels? Fallait-il réviser les formules d’accueil, développer certains services adaptés à ces commissions?

Jérôme Paillard : Il existe deux grandes familles de commission du film. En premier : celles qui offrent du « servicing », et dont le rôle est d’accompagner un tournage pour les repérages de décors et la logistique. Cannes n’est pas une plateforme intéressante pour celles-ci : les « Locations expos » leur sont destinées. Les personnes qui assistent à ces rendez-vous sont  des régisseurs et des directeurs de production. Cannes accueille plutôt la seconde catégorie : les commissions qui ont aussi une activité de financement (Île de France Cinéma, la région Rhône-Alpes). On retrouve aussi les Fédérations, comme la European Film Commissions Network ou l’AFCI (Association of Films Commissioners International).

Le Village International

Panorama-cinéma : Puisqu’il est question d’organisations publiques : vous avez publié cette année pour la première fois le « Funds Book », destiné aux participants du Marché du film.

Jérôme Paillard : Ce document contient la liste de 153 fonds disponibles à travers 57 pays dont les responsables étaient présents sur place pour rencontrer les producteurs. Pour chaque fond, nous avons identifié le type de réductions fiscales offertes, le secteur d’intervention (documentaire, animation), le nombre de sessions par année pour le dépôt des candidatures, etc. Par exemple, le Canada était représenté par 15 fonds, pas moins! Parmi eux, on retrouve des « tax credit » purs, mais aussi des organismes de subvention : Ontario Media Development Corporation, Téléfilm, Sodec, Manitoba Film and Video Production Tax Credit, etc.

Panorama-cinéma : Il n’y a rien pour les États-Unis.

Jérôme Paillard : C’est qu’ils agissent évidemment sur des fonds privés, ce qui ne les empêche pas d’être présents. Mais comme je vous le disais, les « Location shows » répondent mieux à leurs besoins. À Cannes, nos équipes mobilisent des efforts considérables pour mettre à jour ces données et les offrir aux professionnels en mai. C’est notre expertise, dressée en partenariat étroit avec les institutions publiques concernées. Nous accueillons bien-sûr certaines commissions qui cherchent à attirer les tournages : mais Cannes agit davantage sur la sphère politique puisque nous nous adressons aux producteurs qui n’en sont pas encore à faire du repérage de décor.

Panorama-cinéma : Pour revenir une dernière fois sur les commissions du film, on note une forte présence des organismes sud-américains parmi la liste des nouveaux exposants en 2011 : Panama, Uruguay, Mexico City, Venezuela…

Jérôme Paillard : L’Amérique du sud est en effet plus active à ce niveau. C’est récent. Il n’y a que l’Argentine et le Brésil qui participent au Marché depuis longtemps. La Colombie, que vous n’avez pas citée, fait un énorme travail pour attirer des tournages étrangers qui va de pair avec l’assainissement politico-terroriste du pays. Mais encore une fois, à Cannes, il s’agit d’une action plus politique : ces pays viennent au Marché pour élaborer des réflexions avec d’autres gouvernements, mettre en place des traités institutionnels de coproduction.

Panorama-cinéma : Dans son livre Sundance to Sarajevo, Film Festivals and the World They Made, le journaliste américain Kenneth Turan fait une distinction entre les festivals d’affaires (Cannes, Sundance, ShoWest), les festivals à l’agenda géopolitique (Fespaco, La Havane), et enfin ceux avec une priorité dite « esthétique » (Telluride). Qu’en pensez-vous?

Jérôme Paillard : Je ne suis pas d’accord avec le classement de ce monsieur. D’abord, parce qu’il n’y a non pas trois, mais quatre catégories de festivals, la dernière étant Cannes. Les qualificatifs qu’il identifie s’y appliquent tous parfaitement, et je le dis sans prétention. Cannes est totalement incontesté sur le plan de l’indépendance artistique. L’événement est par ailleurs au coeur du terrain géopolitique, puisque s’y décident chaque année des grands accords de coproduction, avec la Chine, par exemple. Jack Valenti disait : « si vous n’êtes pas à Cannes, vous n’êtes rien. »
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Article publié le 17 mai 2012.
 

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